Publié le 15 Nov 2016 - 07:43
DOCTEUR MAKHTAR DIOUF, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CIMEL

‘’Les aviculteurs ont beaucoup de mérite, parce qu’ils ont eu le courage d’investir’’

 

Le Docteur Makhtar Diouf est le Directeur du Centre d’impulsion pour la modernisation de l’élevage (CIMEL). Dans cet entretien accordé à EnQuête, il revient sur l’évolution de la filière avicole depuis la décision de l’Etat d’interdire l’importation de la viande de volaille. Même s’ils sont nombreux les Sénégalais qui pensent que c’est cette décision de l’Etat du Sénégal qui a boosté le développement de la filière, M. Diouf, lui, voit que tout le mérite revient aux aviculteurs sénégalais qui ont eu le courage de faire de gros investissements dans un sous-secteur qui, à l’époque, souffrait de la concurrence des produits importés.

 

Comment se porte aujourd’hui la filière avicole sénégalaise ?

La filière se porte très bien. Celle en chair explose de jour en jour. Le ministre disait au mois de février (2016), lors du week-end du poulet, qu’entre 2006 et maintenant, il y a eu plus de 330% de croissance. On est à plus de 30 millions de poulets de chair produits. En 2012, on était à 24 millions de poulets. En 2013, c’était 27 millions. Pour le ramadan dernier, rien qu’au mois de mai, il y avait plus de 5 millions de poulets qui ont été produits. Cela équivaut à la production annuelle en 2004 et 2005. Avant, dans les années 2009, c’était 1 million de poulets par mois en moyenne. Si vous prenez les mois de fêtes, ça pouvait aller jusqu’à 2 millions. Aujourd’hui, c’est au minimum 2 millions par mois et quand c’est en période de fête, la production peut atteindre 5 millions. Et ces chiffres ne révèlent que l’activité contrôlée. La production traditionnelle n’est pas prise en compte. Pour les œufs, c’est plutôt stable. Le boom qu’on a avec la production de poulets de chair, on ne l’a pas avec les pondeuses. Il y a une légère augmentation mais pas un boom extraordinaire.

Mais est-ce que ce n’est pas la décision de l’Etat de suspendre les importations de viande de poulets qui a boosté le développement du secteur ?

Disons qu’à quelque chose malheur est bon. Mais, je veux juste préciser que quand le gouvernement du Sénégal a pris la décision de suspendre l’importation de volailles vivantes, de produits avicoles, de matériels avicoles, ce n’était pas pour aider le secteur. C’est parce qu’il y avait la grippe aviaire dont les dégâts étaient incommensurables. La grippe aviaire tue énormément. Quand elle attaque, c’est 100% de mortalité. La probabilité pour qu’une poule échappe est extrêmement faible. Nous avons pris alors nos responsabilités. Et cela a été fait, de concert, avec les éleveurs, mais aussi avec beaucoup de ministères parce que c’est un arrêté interministériel. Je pense que les aviculteurs ont eu beaucoup de mérite. Ce n’était pas évident. Quand le gouvernement a pris la décision de suspendre les importations, la filière souffrait à cause de ces importations. On s’est rendu compte qu’en Afrique, la grippe aviaire est passée par ces importations de produits avicoles. Si la grippe aviaire arrivait, il n’y aurait plus de poulets au Sénégal. Non seulement l’aviculture moderne allait être à terre mais l’aviculture traditionnelle, aussi, allait en pâtir. Donc, les aviculteurs ont beaucoup de mérite, parce qu’ils ont eu le courage d’investir. Il y a eu de nouvelles fabriques d’aliments qui ont été mises en place. Il y a eu de nouveaux couvoirs. Les Sénégalais se sont battus pour mettre en place des élevages, ce qui donne le résultat maintenant. La filière en a profité, ça c’est clair, mais il faut louer le courage des aviculteurs sénégalais qui ont osé investir. Cette partie, les gens l’occultent. Il y a aussi un savoir-faire qui est là et qui a permis tout cela.

Donc, il y a eu de gros investissements dans le secteur ?

Il y a eu de très gros (il répète le mot 2 fois) investissements après. Non seulement les aviculteurs s’y sont mis, mais aussi l’industrie a suivi.

La fin de cette mesure protectionniste est-elle à l’ordre du jour ?

Moi, je dis que ce n’est pas une mesure protectionniste, c’est une mesure de protection de la filière avicole. Vous allez en France, aux Etats-Unis, partout, il y a la grippe aviaire. Quand la grippe aviaire rentre, elle s’installe. Au mois de juin dernier, il y avait encore la grippe aviaire en France. Donc, il faut tout faire pour qu’elle ne rentre pas. Les produits qui voyagent sur le plan international, quelques fois, on ne peut pas tous les contrôler.  D’ailleurs, nous avons demandé à la Banque mondiale de financer le plan de protection du Sénégal. On ne peut pas laisser rentrer les produits parce qu’on ne pas peut tout contrôler. Et nous sommes, en tant que service vétérinaire, responsable de la santé des populations. La grippe aviaire tue. Toutes les mesures qu’on doit prendre pour que la grippe aviaire ne rentre pas, nous sommes tenus de les prendre.

Mais beaucoup de pays exportateurs comme le Brésil, les Etats-Unis mettent la pression sur le Sénégal.  N’y a-t-il pas là un risque que le pays cède ?

Le Sénégal est un pays souverain. Nous avons effectivement reçu les Brésiliens, les Américains. Nous leur avons dit qu’il y a des accords internationaux qui ont été signés, mais nous leur avons aussi fait comprendre que le Sénégal doit se mettre à niveau pour pouvoir contrôler tous les produits qui rentrent et cela demande du temps et de l’argent. Quand ce système de protection sera bien mis en place, les frontières pourraient (il répète le verbe) être ouvertes. Donc, il y a des conditions qui font que tant que la grippe aviaire menace, nous, en tant que service vétérinaire responsable, en partie, de la santé du cheptel sénégalais et des Sénégalais, on n’a pas le droit de laisser la grippe aviaire rentrer. D’où que viennent les pressions. Ce n’est pas une question de pressions, mais de principes. Il ne faut pas penser qu’on ferme nos frontières. Quand est-ce que ça va s’arrêter, je ne saurai vous le dire. En tout cas, il y a cette mise à niveau qui doit être faite. En plus de cela, les professionnels de la filière ont demandé un moratoire sur les importations au moins jusqu’en 2022. Je pense qu’ils l’ont obtenu.

Malgré cette interdiction, on note qu’il y a toujours de la viande de volaille importée sur le marché sénégalais…

Effectivement, il y a eu des saisies qui ont été faites. La fraude, c’est un phénomène international. Il y en a partout et dans tous les domaines. Il y a toujours des gens qui pensent être plus intelligents et qui cherchent la facilité. Les aviculteurs se battent, des gens investissent des milliards dans les fabriques d’aliments, dans les couvoirs. Les Mbodj (Ahmedou Makhtar) de la FAFA se battent, ils font des formations, pendant ce temps, il y a des gens qui font de la fraude. Les poulets de la fraude, on ne sait pas d’où ça vient. Comment ils ont été abattus ? Est-ce qu’ils ont des maladies ? Il y a une maladie qui s’appelle la zoonose qui touche l’animal et qui va toucher l’homme. Quand la personne mange la viande de cet animal, elle peut tomber malade. Il y a toute sorte de maladies que vous ne pouvez pas imaginer. Pour moi, ces gens sont des assassins. Les services régionaux de l’Elevage, de concert avec le ministère de l’Intérieur sont vraiment en train de faire un travail remarquable. Mais ce n’est pas toujours facile. En début 2016 par exemple, il y avait une tension sur l’offre des œufs. Mais on a vu des gens faire des trafics d’œufs. Ce sont des personnes qui sont là et qui essaient toujours de voir là où ils peuvent faire du trafic. C’est comme ceux qui trafiquent la drogue,  les armes, les véhicules. Ce sont des bandits. Tout le monde doit se lever pour combattre ce phénomène.

Mais est-ce que ce n’est pas parce que ce poulet qui vient de l’Europe, du Brésil est plus accessible pour certains Sénégalais que la fraude existe toujours?

Je ne sais pas si ça vient d’Europe ou d’ailleurs. Je ne peux pas vous le confirmer. Maintenant, est-ce qu’on a pris des choses étiquetées Union européenne ? Je ne sais pas. Mais, d’habitude, ce sont des produits vendus en vrac ou dans des cartons.  Je ne connais pas le prix de la fraude, parce que ça ne m’intéresse pas. Je sais que c’est un très mauvais produit. Par contre, sans parler de la fraude, les cuisses de poulets et les ailes qui étaient importées qu’on appelle découpes coutaient beaucoup moins cher que le poulet local. Ça c’est vrai. Dans les pays industrialisés, le poulet est vendu au poids et en fonction de la partie du poulet. La partie la plus chère du poulet c’est le blanc de poulet, c’est-à-dire la poitrine. Ça coûte cher. Les parties qui coûtent le moins cher sont les ailes et les cuisses. L’aviculteur ou le centre de découpe va mettre un maximum de profit sur le blanc, ce qui fait que les cuisses et les ailes vont coûter beaucoup moins cher.

Est-ce que vous savez que tout ce qu’on importait au Sénégal c’était des ailes de dindes, des cuisses, des ailes de poulets qui sont la partie la moins chère ? Le vendeur a déjà fait son profit sur le blanc. Donc nous étions concurrencés par des produits de catégories inférieures. Le Sénégalais pour un problème de pouvoir d’achat ou de prix plus accessible, il va acheter un produit de catégorie inférieure à un prix inférieur. Pendant ce temps, il va laisser le poulet entier, il va laisser le blanc. Du point de vue sanitaire, du point de vue diététique, le blanc est meilleur. Les cuisses, les ailes sont riches en cholestérol. Nous étions une fois invité aux Etats-Unis, en Géorgie, qui est l’Etat américain du poulet. On a discuté avec des industriels. Qu’est-ce qu’ils nous ont dit ? Ils ont dit : ‘’Nous, quand on produit du poulet et qu’on vend le blanc, on a déjà rentabilisé notre produit. Donc, quel que soit le prix, même si on jette les cuisses et les ailes, on s’en sort’’. Donc, cette personne peut vendre à 300F le kilo de cuisse ou d’ailes.

L’autre problème, selon certains acteurs est que le poulet sénégalais n’est pas compétitif comparé au poulet brésilien ou américain ?

D’abord il y a un problème de matières premières. Par exemple, ici (CIMEL), je travaille dessus avec des étudiants. Pour faire un poulet de chair d’environ un kg, il faut au moins 1 900 F CFA. Il y a un bénéfice qu’on veut avoir en vendant à 2500F Cfa en fonction des charges. Dans l’aliment, 62% du coût c’est le maïs. Pour faire l’aliment, vous avez besoin de maïs, de soja, de tourteau d’arachide… Mais le principal casse-tête c’est le maïs. Le maïs est importé d’Argentine, de la Russie. Il y a le coût du transport. Tout cela doit être tenu en compte dans le prix de l’aliment. C’est pour cela qu’on ne peut pas concurrencer ces pays sur le prix, parce qu’ils ont la matière première sur place. En plus, il y a des économies d’échelle. Quand vous faites 100 000 poulets de chair, c’est différent de celui qui fait 500 poulets de chair. Il y a aussi l’amortissement du matériel. Ce sont des gens qui sont là depuis longtemps,  produire et vendre leur coûtent moins cher.

Pourtant ces dernières années, on a noté que beaucoup d’industriels s’activent dans l’aliment volaille. Qu’est ce qui justifie que le prix ne baisse pas, malgré la forte concurrence?

Si, au même moment que les industries se sont mises dans la fabrique, on avait des milliers d’hectares de maïs, ça pouvait baisser. Les industriels, peut-être qu’ils ont vu que le secteur marche, ils sont venus. L’avantage est qu’on a de l’aliment de qualité sur le marché. Avec la concurrence, chacun est obligé de produire le meilleur aliment possible pour s’en sortir. Mais le coût ne va pas baisser, si le Sénégal continue d’importer les matières premières.

On parle de l’élevage comme un des piliers du Plan Sénégal émergent. Quelle place est réservée au sous-secteur de l’aviculture ?

On sait qu’il y a des investissements dans l’aviculture moderne. C’est plutôt l’aviculture familiale qui est en retard. Il y a un projet de 5 milliards dénommé Projet de développement de l’aviculture familiale (PRODAF). Ce projet vise à booster l’aviculture familiale. Ce qui fait qu’on aura plus de viandes et plus de revenus pour les familles. En quoi faisant ? D’abord en vaccinant. Quand vous vaccinez, la maladie ne tue pas. Le projet c’est aussi l’amélioration des techniques avicoles. En aviculture traditionnelle, on laisse les poulets se promener. Pas d’habitats, pas d’alimentation… Si vous travaillez un peu sur l’habitat, vous êtes sûrs que vous gagnez déjà quelque chose. Le Pse sait qu’il y a de la marge dans l’aviculture traditionnelle. C’est à partir de là-bas qu’on veut booster la filière. 

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

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