Publié le 16 Aug 2018 - 22:36
MOUSSA DIAW (ENSEIGNANT CHERCHEUR A L’UGB)

‘’La gauche ne mobilise  plus’’

 

Enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), Moussa Diaw analyse dans cet entretien les raisons du soutien des partis historiques de la gauche sénégalaise au libéral Macky Sall, en perspective de la Présidentielle de février 2019. Selon le Pr Diaw,  la gauche n’arrive plus à mobiliser, ni à convaincre.  

 

Comment analysez-vous le soutien que des partis de gauche comme la Ld, l’Afp, le Ps et le Pit apportent au Président Macky Sall en perspective de 2019 ?

Ces partis sont dans une coalition et la logique voudrait qu’il y ait une cohérence dans leur position. Au moment d’organiser l’espace politique, cette coalition a permis à Macky Sall  de gagner les élections de 2012. Le problème qui s’est posé par la suite, c’est celui des orientations politiques et des consultations pour gouverner. Ils n’étaient pas évidents qu’ils soient associés à l’ensemble des processus décisionnels concernant les politiques publiques. Les rivalités entre les différents leaders, les conceptions idéologiques des uns et des autres, ont abouti à une fissure au sein des différents partis de gauche rassemblés autour de la personnalité du Président pour gouverner ensemble.

Cette situation n’a pas laissé indemne ces partis politiques avec des dissidences notées en leur sein. Comment expliquez-vous tout cela ?

Parmi ces leaders, certains se réfèrent à l’idéologie de gauche. Or, c’est une coalition avec des idéologies différentes. D’ailleurs, on se pose des questions sur la cohérence à savoir comment on peut rassembler l’ensemble de ces leaders de gauche dans une seule coalition alors qu’ils n’ont pas la même vision, les mêmes conceptions politiques. Donc la fissure était évidente. Ce qu’il  faut noter, c’est qu’il y a eu des fissures parce que certains leaders ne se reconnaissent plus dans la politique gouvernementale, parce qu’ils sont imprégnés des valeurs de gauche. Pour eux, ce n’est pas du tout logique de soutenir une politique libérale. C’est de là qu’est venue la friction des leaders, les dissensions internes et l’éclatement de certains mouvements de gauche. L’évolution de ces partis politiques a donné naissance à une érosion des idéologies quand on regarde l’évolution du système international.

Les soubresauts notés dans ces différentes formations politiques sont-ils liés au soutien qu’elles apportent à Macky Sall ?

L’enjeu des élections de 2012 était de faire partir l’ancien président de la République qui n’allait  pas  dans le sens de la construction de l’Etat républicain et de la démocratie. Il n’y avait pas auparavant un programme de gouverner ensemble pour satisfaire les problèmes des sénégalais. Ils ne se sentaient pas impliqués dans la politique gouvernementale et le processus de prise de décision. Ils se sont alors  considérés comme étant marginalisés dans un système qui les a laissés à côté.

Est-ce que cela n’a pas contribué à affaiblir ces partis de gauche ?

Tout à fait ! Ces partis ne mobilisent plus. Le discours de gauche ne tient plus parce que cela demande une réadaptation par rapport aux préoccupations des Sénégalais et surtout des jeunes. Les partis de gauche  sont disséminés avec des fractions comme la Ld/Debout et d’autres mouvements.  On verra peut-être ces mouvements se coaliser et former une entité  pour mener le combat au regard des principes et règles de morale qui les guident.

Comment se fait-il que des libéraux, marxistes et maoïstes portent la candidature d’un libéral ? Est-ce que cela ne traduit pas la mort des idéologies au Sénégal ?

Cette question mérite d’être posée. Quand on regarde l’évolution du système politique sénégalais, le fait qu’il y ait coalition entre des leaders de gauche, des libéraux, des socialistes et communistes qui  gouvernent ensemble pose problème. Il n’y a plus cette référence à l’idéologie de base alors que la substance même de certains partis, c’est le combat pour le social, la liberté, l’égalité des personnes et des citoyens. Actuellement on voit l’écart. C’est ce qui explique d’ailleurs le départ de certains. La gauche ne rassemble plus. Quand on regarde en France, c’est la même chose, il y a une érosion. Par exemple, le Parti communiste français ne mobilise plus. Les jeunes ne se reconnaissent plus dans le discours communiste qui n’a pas beaucoup varié. Cela demande une réadaptation par rapport à la réalité politique. La substance de la gauche n’attire plus les jeunes. Il nous faut un changement de discours par rapport aux réalités politiques. Ce n’est plus les mêmes préoccupations.

Que faut-il faire, selon vous, pour s’adapter à cette réalité politique ?          

Il faut un discours adapté aux nouvelles réalités sociales. C’est une jeunesse de l’internet, ouverte, qui a de l’exigence, une jeunesse citoyenne qui réfléchit sur la société, sur l’avenir. On est dans un contexte de mondialisation. Il faut tenir un discours qui va dans le sens de ces préoccupations. Sinon, il va y avoir un décrochage entre le discours des hommes politiques et les aspirations des jeunes et des populations. Ce qu’on voit dans le paysage politique sénégalais, c’est une gauche dépassée qu’il faudra reformater, réadapter. Pour ce faire, il faut tenir un autre discours qui colle avec les nouvelles exigences sociales.

Ne va-t-on pas vers une disparition de la gauche ?

Certains disent qu’elle n’existe plus idéologiquement. Ce qui est évident, c’est qu’on n’est plus dans la logique des luttes de classe alors que c’est cela le fondement des partis de gauche. Les gens cherchent aujourd’hui des places avec des ambitions personnelles, individualistes et des retombées de positionnement. C’est ce qui explique le départ de certains leaders et l’arrivée d’autres avec un  discours révolutionnaire. Mais est-ce qu’il colle avec l’attente des citoyens, surtout des jeunes ? Je ne le pense pas.

HABIBATOU TRAORE

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