‘’Blasphème’’ ou simple défiance

Une partie importante de la population a répondu à l’appel de la coalition Yewwi Askan Wi à donner un concert de casseroles, pendant l’adresse du président de la République à la nation. L’initiative est diversement appréciée par les analystes politiques.
A la demande de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), un concert de casseroles s'est tenu, le soir du 31 décembre 2022, çà et là, alors que le président de la République prononçait son discours à la nation Sénégalaise. Dans plusieurs quartiers, dès 20h, les populations ont envahi les rues. Munies de marmites, de bols, de louches, entre autres ustensiles, elles ont produit, pendant plusieurs minutes, un bruit infernal accentué par les coups de klaxon des voitures. Un brouhaha qui ne plaît certainement pas aux gens du pouvoir.
‘’Ce concert est un moment de boucher les oreilles. Pendant 11 ans, chaque fin d'année, on nous sert un discours mensonger. Et ce sera une sorte de référendum pour dire non à une troisième candidature’’, annonçait le député Maïmouna Cissé, dénonçant par la même occasion, les détournements, le troisième mandat et les difficultés de la vie.
‘’Il y a une sorte de blasphème’’
Des experts en politique livrent leur analyse sur cet événement. Assane Samb souligne que le concert de casseroles, comme forme de protestation de la part de l’opposition, n'est pas nouveau au Sénégal. Toutefois, il dénonce celui de ce 31 décembre 2022. ‘’On l’a observé dans les années 1980-90, avec le président Abdoulaye Wade notamment. Mais ce qui est sûr aujourd'hui, c'est que ce concert a coïncidé avec un évènement majeur de la République. Il y a une sorte de violation du pacte républicain, non écrit certes, qui veut que, quand le Président se prononce, tout le monde puisse l’écouter solennellement’’, dit-il.
Pour lui, la coalition YAW a été maladroite sur cette affaire. Écouter le discours à la Nation est important, aux yeux de M. Samb, parce que ce n'est pas (seulement) un chef de parti qui parle, mais le chef de l’Etat. ‘’C'est événement important pour la nation. Il est solennel pour ne pas dire sacré. Donc, il y a une sorte de blasphème. Ce n'est pas une méthode adroite’’, dit-il.
Ceux qui cherchent à conquérir le pouvoir, souligne Assane Samb, doivent se conformer à une certaine éthique républicaine pour ne pas violer certaines règles importantes pour la Nation. ‘’S'ils devraient arriver un jour au pouvoir, ils souhaiteraient que tout le monde respecte la solennité de l’événement’’, indique-t-il.
Par contre, l’analyste politique Mamadou Sy Albert n’est pas du même avis. Il estime qu’il ne s'agit pas d’un manque de respect envers l’institution. ‘’Le président de la République est au pouvoir, depuis presque dix ans. C'est la première fois qu'il y a usage de casseroles en cette période. Ce n'est pas contre l’institution républicaine, le discours du président de la République. C'est le contexte politique’’, a-t-il expliqué.
‘’De part et d’autres, c'est des radicaux, puisqu'ils s'affrontent’’
Il en veut pour preuve le rapport de la Cour des comptes qui a soulevé des vagues, l’émoi, la colère des populations et la question du troisième mandat se rajoutent à l’écho de ce rapport sur la gestion du Fonds force Covid-19. Et pour Mamadou Sy Albert, toutes les incertitudes liées à une éventuelle troisième mandat de Macky Sall créent des divisions entre le pouvoir et l’opposition. En effet, les partisans du président de la République se radicalisent, en disant déjà que Macky Sall sera leur candidat et en estimant que c'est une demande sociale.
De l’autre côté aussi, l’opposition se radicalise en disant : tout sauf la candidature de Macky Sall. D’après l’expert, tout ça fait qu'il y a eu recours au concert de casseroles qui a correspondu à la date du 31 décembre.
Ainsi, Mamadou Sy Albert souligne que le concert de casseroles est une forme de protestation populaire comme la marche, le grève, etc. Le concert est aussi, dit-il, une forme de communication, parce que les casseroles portent des messages à l’endroit de l’opinion et du pouvoir en place. Ainsi, la portée politique est évidente, selon lui. ‘’Il y’a une mobilisation, particulièrement des jeunes, qui ont manifesté dans la rue durant trente minutes environ. Il y a une portée politique, même si c'est un petit groupe. C'est une lutte contre le pouvoir, une protestation contre le discours que le Président a à prononcer’’, dit-il, soulignant qu’un jour avant, il y a eu la manifestation de la société civile.
Et en début d’année, il y aura une autre manifestation. Mamadou Sy Albert relève une défiance par rapport au Président qui, estime-t-il, défie aussi des franges de l’opposition. Dans son discours, le Président Sall a à peine fait allusion au rapport de la Cours des comptes. Il n’a pas évoqué la question du troisième mandat. Et il n'a pas parlé de l’opposition et de ses droits et libertés démocratiques. ‘’C'est toutes ces défiances du Président contre l’opposition, contre l’opinion, qui créent des radicaux’’, déclare l’analyste politique.
‘’De part et d’autre, poursuit-il, c'est des radicaux, puisqu'ils s'affrontent. Malheureusement, ça perturbe la solennité du discours du président de la République’’. Ainsi, Mamadou Sy Albert regrette ainsi un contexte de tension et de radicalisation. ‘’Le 04 avril arrive bientôt. Qu'est ce qui va se passer ? Et le 31 décembre prochain ? On est dans une cycle de violences. Si on ne l’arrête pas, la situation va s’aggraver’’, a-t-il prévenu.
BABACAR SY SEYE