Publié le 18 Feb 2025 - 19:04
NGOR DIENG, PSYCHOLOGUE CONSEILLER

“Notre société est plus dans le jugement, la stigmatisation, la marginalisation, l’isolement...”

 

Le suicide présumé d’un étudiant à l’UGB, accompagné d’une lettre bouleversante, remet sur la table la question de la santé mentale et du mal-être profond qui touchent une partie de la jeunesse sénégalaise. Dans une société où l’accompagnement psychologique reste marginalisé, quelles leçons tirer de ce drame ? Le psychologue conseillé Ngor Dieng analyse les enjeux et les responsabilités de la famille, de l’université et de la société dans la prise en charge du bien-être mental.

 

Que vous a inspiré, en tant que psychologue-conseiller, la lettre de l'étudiant qui se serait suicidé à l'UGB, la semaine dernière ?

Cette lettre, si elle est authentique, est une sorte de confession renversante, bouleversante ; un récit de vie glaçant, symptomatique de toute la souffrance physique et mentale de son auteur, mais surtout du désespoir extrême qui a marqué ses derniers instants de vie sur terre.

C’est une lettre-confession qui semble laisser apparaitre en filigrane les causes profondes de son suicide. Sa lettre a le mérite d’interpeller nos consciences, d’inviter les vivants que nous sommes à faire une introspection sur nos comportements et attitudes de tous les jours vis-à-vis de nous-mêmes, de notre entourage immédiat et des autres. Elle met à nu notre capacité à accorder de l’attention, voire de l’importance à autrui, de lui prêter une oreille attentive, d’être tout simplement bienveillant autour de nous et avec nos semblables. Cette lettre pose une réflexion profonde sur le sens de la vie, sur l’espoir qui doit aussi la sous-tendre.

Enfin, pour moi, cette lettre pose la problématique générale de la santé mentale, un sujet jusque-là tabou dans notre société qui a tendance à mettre l’accent plus sur le paraître, l’apparence que sur le véritable bien-être mental, dans un contexte de pressions sociales sur les familles et surtout sur les jeunes.

On a tendance à considérer que l’accompagnement psychologique, c’est plus pour les autres. Pensez-vous que notre société prend suffisamment en charge cette problématique ?

Nous vivons dans une société qui n’a pas toujours la culture d’aller voir le psychologue en cas de difficultés, même si c’est une tendance qui commence à se renverser aujourd’hui. Pour preuve, beaucoup de Sénégalais préfèrent se confier à un “voyant” avec ses cauris plutôt que de solliciter l’expertise d’un psychologue, d’un thérapeute ou d’un coach. On associe souvent consultation psychologique à folie telle qu’on la connaît, de manière populaire, dans notre société.

Mais ce n’est pas toujours le cas. Souffrir mentalement ne veut pas toujours dire perdre carrément la tête et traverser les rues en haillons. Notre société est une société qui exerce une pression sur les gens que tout le monde n’est pas prêt à supporter. C’est une société où le stress, l’anxiété, la déprime, la dépression, bref la détresse psychologique sont monnaie courante. Elle laisse peu de bouffées d’oxygène à ses différentes composantes.

Ces segments traditionnels d’assistance sociale et mentale, que sont la famille traditionnelle, l’arbre à palabres, les groupes de pairs, la case de l’homme, les rites traditionnels, les sagesses ancestrales, se sont effrités, laissant la place aux déballages de la vie privée et des secrets de famille et de couples dans les médias et réseaux sociaux et/ou à la solitude et à l’isolement total, au rejet et à la stigmatisation de l’autre, à la vindicte populaire. Notre société actuelle met plus l’accent sur la course aux richesses que sur l’exploration des chantiers de l’humain. Elle est plus dans le jugement, la stigmatisation, la marginalisation, l’isolement, la mauvaise foi, l’hypocrisie que dans l’intercompréhension, la bienveillance et le soutien psychosocial.

Pouvez-vous revenir sur l’importance de cette prise en charge psychologique et qui en a besoin ?

La prise en charge psychologique ou psychosociale est fondamentale dans une société. La vie, n’étant pas un exercice facile, est faite de hauts et de bas. L’individu étant aussi solide qu’il est fragile a, par moments, besoin d’accompagnement psychosocial pour traverser des périodes difficiles qui peuvent lui arriver dans sa vie.

Le besoin de parler et d’être écouté est naturel, mais faudrait-il que l’écoute soit une écoute active pour comprendre et pas pour juger, pour soutenir et pas pour faire des secrets partagés une arme. Souvent, on peut ignorer le cri d'un appel au secours, rester sourd à une voix intérieure qui nous parle. L’accompagnement psychologique est un besoin pressant dans notre société où la communication interhumaine est aujourd’hui plus virtuelle que réelle avec les Tic et Internet.

C’est d’autant plus important que la vulnérabilité de la famille est devenue une réalité dans ce contexte de vitesse et de modernité accélérée, et que les instances d’écoute et de partage sincères se sont considérablement réduites, voire quasi inexistantes maintenant et l’attention tournée vers des faits divers et le buzz.

Qu’en est-il de l’accessibilité des spécialistes, sur les plans géographique et financier, mais aussi en nombre ?

Il faut d’abord noter, comme je l’ai dit plus haut, que notre société n’a pas la culture de la consultation chez le psychologue. À cela s’ajoute, ensuite, le fait que les psychologues ne sont pas assez nombreux au Sénégal, surtout en ce qui concerne certaines spécialités. À côté de ces considérations, il y a l’aspect financier de la consultation et du suivi psychologique dont le coût n’est pas toujours à la bourse de tout le monde. La consultation chez le psychologue est aussi associée, dans notre imaginaire collectif, à la folie, à l’internement à Fann, à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye ou à Dalal Xel et, par conséquent, parfois mal vue dans notre société.

Mais c’est un créneau qui doit être davantage exploré au profit d’une population confrontée aux dures réalités de la vie, aux problèmes de santé mentale et de bien-être mental et affectif. Et pourtant, l’un des enseignements majeurs qu’on devrait tirer de la crise de la Covid-19, c’est la nécessité pour nos pays de renforcer ou repenser leurs systèmes de santé en y intégrant la dimension psychologique ou psychosociologique et en valorisant davantage les “métiers de la relation d’aide”.

Quid du rôle de l’université et de la famille ? Quel rôle devrait être les leurs pour éviter ce genre de drame ?

La famille avant, la famille maintenant et la famille après ! Le premier pilier de l’être humain, c’est la cellule familiale. Dans le cadre familial, on doit renforcer la confiance en soi de nos enfants en adoptant une parentalité bienveillante, en les respectant et en les écoutant exprimer leurs émotions positives comme négatives, poser leurs questions et faire leur questionnement. La famille doit être le premier réconfort de la personne. Elle doit être soucieuse de chacun de ses membres et pour cela, il faudrait qu’elle accorde plus de temps, mais aussi d’attention à ces derniers. La communication au sein de la cellule familiale est fondamentale. C’est un élément essentiel de socialisation et d’intériorisation des valeurs. Elle permet d’exprimer ses émotions et d’extérioriser ses sentiments et/ou ressentiments.

Quant à l’université sénégalaise, elle n’est que le réceptacle des réalités de la société sénégalaise. Elle doit plus tenir compte de la dimension psychosociale dans les enseignements-apprentissages. La réussite dans les études n’a pas pour préalable que l’aspect pédagogique. Elle tient compte, en particulier, de l’aspect psychosocial, c’est-à-dire des dispositions mentales et des réalités sociales dans lesquelles baignent les apprenants et leurs enseignants.

C’est pourquoi il est nécessaire de réfléchir sur la création de services dédiés à la prise en charge psychosociale des étudiants dans chaque université publique avec un personnel qualifié, c’est-à-dire un psychologue, un assistant social, bref un spécialiste de la relation d’aide et de l’accompagnement au bien-être. Ces services vont jouer le rôle d’alerte et de veille, pour anticiper et éviter ce genre d'événement dans l’espace scolaire et universitaire. Et c’est bien possible au Sénégal avec la volonté politique et l’appui des autorités étatiques.

MOR AMAR

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