Publié le 18 Mar 2025 - 20:49
EXCLUSION TEMPORAIRE D'ÉLÈVES VOILÉES À L'ÉCOLE SAINT GABRIEL DE THIÈS

La polémique voilée autour des signes religieux 

 

L'exclusion temporaire d'élèves portant le voile du collège privé catholique Saint Gabriel, à Thiès, a déclenché une vive polémique, ravivant les débats sur la place des signes religieux dans les établissements scolaires au Sénégal. Alors que les élèves seront bientôt réintégrées, à la suite de l'intervention des autorités, cet incident a mis en lumière les tensions entre liberté religieuse et respect du règlement intérieur ainsi que les risques de polarisation dans une société traditionnellement tolérante.

 

L'atmosphère était électrique devant les grilles du collège privé catholique Saint Gabriel de Thiès. Des groupes de jeunes filles, accompagnés de leurs parents, manifestaient bruyamment, réclamant leur réintégration immédiate après une exclusion temporaire qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Les élèves exclues, en pleurs pour certaines, dénonçaient le manque de préavis et l'injustice d'une décision qu'elles qualifient de brutale.

Cette exclusion a immédiatement provoqué une vague d'indignation sur les réseaux sociaux. De nombreux internautes ont accusé l'établissement de discrimination envers les élèves voilées, ravivant un débat récurrent sur le port du voile dans les écoles privées catholiques. D'autres ont dénoncé une atteinte aux libertés individuelles et religieuses.

Face à la montée des tensions, la direction de l'école Saint Gabriel a publié un communiqué pour expliquer sa position. Dans ce texte, l'administration a nié toute interdiction du port du voile, affirmant que la mesure prise visait uniquement à corriger un ‘’mauvais port du voile’’ qui masquait l'uniforme scolaire. ‘’Nous ne saurions interdire le port du voile, mais nous exigeons qu'il soit porté correctement, sans cacher l'insigne de l'école’’, a déclaré la direction.

Le communiqué a également rappelé que des mesures similaires avaient été prises contre des garçons portant des coiffures jugées non conformes ou utilisant des téléphones portables en classe. ‘’Notre objectif est de maintenir une discipline propice à l'apprentissage et à l'épanouissement de tous les élèves’’, a ajouté l'administration.

 L'intervention de l'inspecteur d’académie

L'inspecteur d'académie de Thiès, Gana Sène, est rapidement intervenu pour apaiser les esprits. Lors d'une conférence de presse, il a insisté sur le fait que l'incident n'était pas une affaire de religion, mais plutôt une question de respect des règles internes de l'établissement. "Ce n'est pas une affaire de religion. C'est un incident lié à une situation constatée : quelques élèves portaient le voile d'une manière non adaptée, ce qui cachait l'insigne de l'école", a-t-il expliqué. M. Sène a également rappelé que la question du port du voile dans les écoles avait été définitivement tranchée par les autorités nationales, notamment grâce à l'arrêté du 6 octobre 2024. "Cette question a été réglée par le ministre de l'Éducation nationale. Il n'y a pas de place pour la polémique", a-t-il affirmé, tout en assurant que les élèves exclus réintégreraient rapidement leurs classes.

L'arrêté du 6 octobre 2024, signé par le ministre de l'Éducation nationale Moustapha Guirassy, a joué un rôle clé dans la résolution de cette crise. Ce texte, qui porte la référence officielle 08001.2024, a été publié en réponse à une série de polémiques concernant le port du voile dans les établissements scolaires, tant publics que privés. Il vise à clarifier les signes religieux tout en garantissant le respect des convictions de chacun.

Selon l'arrêté, les établissements scolaires doivent accepter les élèves portant des signes religieux tels que le voile ou la croix, à condition que ces signes n'entravent pas l'identification des élèves ou le bon déroulement des activités pédagogiques. "Le port du voile est autorisé, mais il ne doit pas masquer l'uniforme ou empêcher la reconnaissance des élèves", avait précisé le ministre.

L'arrêté réaffirme également l'importance de maintenir un environnement propice à l'apprentissage, tout en respectant les libertés individuelles et collectives. Il encadre d'autres aspects du règlement intérieur, comme la gestion des comportements, la prévention des violences et la promotion de la mixité et du respect mutuel.

Risque de polarisation et de conflit ouvert entre musulmans et chrétiens

Pour beaucoup d'observateurs, l'incident survenu à l'école privée catholique Saint Gabriel a révélé des tensions sous-jacentes qui menacent de polariser la société sénégalaise, traditionnellement connue pour son modèle de coexistence pacifique entre communautés religieuses. Alors que le pays est majoritairement musulman (environ 95 % de la population), la minorité chrétienne (5 %) jouit d'une place importante dans la vie sociale, culturelle et éducative.

Cependant, des incidents comme celui de Saint Gabriel risquent de fragiliser cet équilibre, en alimentant des discours de division et en exacerbant les clivages religieux.

L'exclusion temporaire des jeunes filles portant le voile à Saint Gabriel a rapidement dépassé le cadre d'un simple différend scolaire pour devenir un sujet de débat national, voire un symbole des tensions entre communautés religieuses. Sur les réseaux sociaux, les réactions ont été vives et souvent polarisantes. Certains internautes musulmans ont accusé les écoles catholiques de discrimination religieuse, tandis que des chrétiens ont défendu le droit des établissements privés à imposer leurs propres règles. ‘’Les écoles catholiques ont leur propre éthos. Les parents ne sont pas d'accord, ils peuvent choisir une autre école", a commenté un internaute.

Cependant, cette polarisation des débats sur les réseaux sociaux fait craindre une escalade des tensions. Des discours haineux et des accusations mutuelles ont émergé, alimentant un climat de méfiance entre les communautés. ‘’Cette affaire est une étincelle qui peut rallumer les clivages entre chrétiens et musulmans’’, a averti un observateur averti. ‘’Dans un pays où l'on aime le modèle du vivre-ensemble, il est crucial d'éviter que des incidents comme celui-ci ne dégénèrent en conflits ouverts”.

L'intervention de M. Ndour, inspecteur de l'éducation nationale à la retraite

Dans ce contexte tendu, M. Ndour, inspecteur de l'éducation nationale à la retraite, est intervenu pour clarifier les responsabilités et les limites des établissements privés. Contacté par ‘’EnQuête’’, il a affirmé sans attentat que l'école Saint-Gabriel n'avait aucun droit d'exclure des élèves pour défaut de port du voile. ‘’Les écoles privées catholiques qui enseignent le programme sénégalais doivent se conformer à la Constitution sénégalaise’’, a-t-il déclaré. ‘’Même s'il y a un règlement intérieur, il ne peut pas être au-dessus de la loi’’, souligne l'inspecteur à la retraite. 

Monsieur Ndour a également rappelé que la Constitution sénégalaise garantit la liberté de religion et interdit toute forme de discrimination.

‘’Toutefois, la Constitution est accompagnée de décrets et d'arrêtés. S'il y a des choses pas claires, c'est le règlement intérieur qui doit les éclaircir’’, a-t-il ajouté.

Pour rappel, le débat sur le port du voile dans les écoles avait été relancé en août 2024 par le Premier ministre Ousmane Sonko, qui avait pris une position ferme en faveur de la liberté religieuse. ‘’Certaines choses ne peuvent plus être tolérées dans ce pays’’, avait-il déclaré lors d'un discours au Grand Théâtre national de Dakar. ‘’En Europe, ils nous parlent constamment de leur modèle de vie, mais cela leur appartient. Au Sénégal, nous ne permettrons plus à certaines écoles d'interdire le port du voile”.

Le Premier ministre avait insisté sur l'égalité de traitement entre les élèves, qu'elles portent ou non le voile. «Lorsqu'une enfant, parce qu'elle porte le voile, est interdite d'accès dans une école, je trouve que ce n'est pas bien. Il faut que ces pratiques-là cessent’’, avait-il affirmé.

Cette sortie a néanmoins suscité des réactions contrastées. Si elle a été saluée par de nombreux citoyens, elle a également provoqué l'ire de certains responsables catholiques, qui y ont vu une ingérence dans les affaires des établissements privés.

Parmi les voix critiques, celle de l'abbé André Latyr Ndiaye, curé de la paroisse de l'île de Gorée, avait particulièrement retenue l'attention. Dans une lettre ouverte publiée dans les colonnes du ‘’Quotidien’’, l'abbé Ndiaye a vivement réagi aux propos du Premier ministre. ‘’Mon cher jeune politique nouvellement promu !’’, avait-il ironisé. ‘’Vous avez été élu pour le combat contre la vie chère, contre la pauvreté, contre le chômage des jeunes, mais pas pour le combat pour Dieu, le combat pour un signe religieux’’. Le ton peu œcuménique de la missive a enflammé les réseaux sociaux et engendré des réactions en cascade. Certains ont vu dans cette lettre une défense légitime des droits des établissements catholiques, tandis que d'autres l'ont perçue comme une attaque contre les musulmans.

Face à ces risques, de nombreux acteurs appellent à une pédagogie et à un dialogue apaisé pour éviter une crise. ‘’Il faut une vraie pédagogie pour expliquer les règles et les enjeux à tous les acteurs concernés : élèves, parents, enseignants et responsables religieux’’, a déclaré un représentant d'une association de défense des Droits de l'homme. ‘’Le but est de trouver un équilibre entre le respect des convictions religieuses et les besoins éducatifs’’.

Les autorités éducatives, les responsables religieux et les acteurs de la société civile ont un rôle crucial à jouer pour éviter que des incidents comme celui survenu à Saint Gabriel dégénèrent en conflit ouvert. En rappelant les valeurs de tolérance et de coexistence qui fondent la République sénégalaise, ils peuvent contribuer à apaiser les tensions et à renforcer l'unité nationale.

Dans un monde de plus en plus polarisé, le Sénégal à l'opportunité de montrer la voie en matière de dialogue interreligieux et de gestion pacifique des différences.

Amadou Camara Gueye

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