Publié le 20 May 2025 - 21:06
VERSEMENT CAUTION À LA CDC

La nouvelle vache à lait

 

Pour renforcer ses capacités de financement, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) mise sur plusieurs leviers, dont la caution des locataires. Alors que ces derniers semblent ravis par cette annonce, les bailleurs, eux, regrettent un manque de concertation et montent sur leurs gardes. 

 

Mobiliser plus de ressources pour financer l'économie et certains grands projets de l'État. C'est l'une des grandes ambitions du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Fadilou Keita. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'homme compte sur tous les moyens pour mobiliser davantage de ressources. Il ne manque d'ailleurs pas de donner l'exemple du Bénin qui se serait beaucoup inspiré du modèle sénégalais, mais qui, en quatre ans, est parvenu à faire bien mieux. “Alors que nous sommes autour de 480-490 milliards F CFA, eux sont à plus de 1 100 milliards. L'usine de textile la plus performante au monde se trouve au Bénin, et c'est la CDC qui l'a mise en place. Ce qui leur a donné cette possibilité, c'est qu'ils ont des ressources stables et longues, alors que nous n'en disposons pas”.

 Pour pallier ce gap, le DG de la CDC compte sur plusieurs leviers, dont le loyer et ses accessoires. 

Récemment, lors d'une émission sur Seneweb, il a précisé : “Nous sommes en train de mener des démarches pour voir comment faire en sorte que la caution soit déposée au niveau de la CDC. Cela va non seulement permettre de mobiliser des ressources stables et longues que nous pouvons injecter dans l'économie, mais ça va aussi permettre de lutter contre la spéculation, avec des bailleurs qui demandent parfois l'équivalent de trois à quatre mois de loyers, en violation de la législation. Et qui à la fin du contrat rechignent à restituer les montants perçus.”

À en croire M. Keita, les ressources mobilisées vont permettre de financer l'économie. 

Les locataires jubilent, les bailleurs attendent de pied ferme

L'annonce a été diversement appréciée par les parties prenantes. Si les locataires l'ont globalement bien accueillie, les bailleurs, eux, sont moins emballés.

Conseiller juridique et manager de l'agence immobilière ASKANE PARTNERS, Abou Bakari Kane regrette l'absence de concertation, d'autant plus que la mesure, si elle est concrétisée, compromet les intérêts des bailleurs. “Cette mesure ne prend pas en compte les préoccupations du bailleur qui n’a aucun intérêt à ce que la caution soit versée à la CDC. Non seulement on le prive d'un moyen de financement, mais aussi on l'expose à des procédures administratives ou judiciaires pour recouvrer la garantie en cas de défaillance du locataire”, analyse-t-il. 

Pour cette raison et pour tant d'autres, l'agent immobilier estime que l'État doit discuter avec les différentes parties, pour éviter le syndrome des décrets 2014 et 2023 portant baisse des loyers qui avaient généré plus de problèmes que de solutions. “Comme en 2014 et 2023, cette mesure unilatérale risque d’être un échec patent, si aucune concertation sérieuse n’est entreprise en prenant en compte les intérêts de toutes les parties au contrat”, renchérit l'agent immobilier, qui relève déjà une certaine réticence des propriétaires, du fait notamment des lourdeurs que ce mécanisme va engendrer.

“Après tant d’années de sacrifices, d’investissements, les propriétaires sont souvent confrontés aux lourdeurs judiciaires pour pouvoir expulser un locataire défaillant, recouvrer les sommes considérables qui leur sont dues, en sus des prêts bancaires à rembourser. C'est déjà beaucoup de lourdeurs pour en rajouter. Avec la caution versée à la CDC, c'est d'autres procédures judiciaires ou administratives et ça peut être problématique” met en garde M. Kane, qui insiste sur la nécessité des concertations. 

Les facteurs de blocage 

Pendant que les bailleurs se plaignent et restent sur leurs gardes, les locataires, eux, semblent contents et appellent de tous leurs vœux l'État à rendre la mesure effective.

Président de l'Association pour la défense des locataires, Elimane Sall ne cache pas son impatience. “Nous pensons que cette annonce vient à son heure. La question du cautionnement a souvent été une source de conflits entre bailleurs et locataires. Que les autorités veuillent y apporter des solutions, c'est une excellente chose. Pourvu que l'État ne fasse pas de demi-mesures comme il en a l'habitude”, disait-il sur Trade FM.

À son avis, ce serait un bon début pour prendre en charge tous les problèmes des locataires liés à la caution. “Maintenant, il faut des concertations inclusives pour qu'une fois la décision prise, qu'elle soit acceptée par tout le monde”, prévient le président des locataires, qui invite l'État à penser à l'allégement des procédures pour faciliter les versements, surtout que tout le monde n'est pas à Dakar. “Si tout le monde doit se déplacer à Dakar pour déposer une caution, il va de soi que c'est un facteur de blocage. Je pense qu'il faut tout dématérialiser pour favoriser l'adhésion de tous”, a-t-il souhaité, lui qui ne semble pas nourrir d'appréhensions particulières sur la récupération de la caution. “La CDC, c'est ça son rôle de garder l'argent. Si le locataire laisse l'appartement en bon état, il doit aller récupérer son dû. S'il y a des choses à rembourser et que c'est prouvé, cela sera défalqué sur la caution”, soutient-il très optimiste. 

Promoteur du site www.loger-dakar, Ousmane Sow, lui, invite l'État à lever un peu la pression sur les investisseurs en général, les bailleurs en particulier. “Le fait que l'État s'implique autant dans le marché n'est pas une bonne chose, à mon avis. C'est vrai que l'État doit penser aux consommateurs, mais il doit aussi soutenir les investisseurs. En retour, ces derniers seront encouragés à faire des efforts pour les consommateurs”, indique le promoteur de cette plateforme de rencontre entre bailleurs et locataires. “Ce n'est pas une bonne chose que l'État ait une mainmise sur le secteur privé. L'État doit plutôt aider les bailleurs à être plus transparents. Les enjeux, à mon avis, sont ailleurs”, selon l'intermédiaire, qui estime que l'État doit plutôt travailler à faire en sorte que l'on soit dans une maison de verre, avec des bailleurs qui vont rendre publiques toutes les informations concernant leurs activités.

L'autre défi, selon lui, c'est l'identification de tous ceux qui s'activent dans le secteur, notamment les courtiers. “Dans nos pays, on pense trop répression, législation. J'ai l'impression parfois que quand tu as de l'argent, des biens, tu deviens un peu une cible pour tout le monde, y compris pour l'État. Il faut changer cette façon de voir. Ce n'est pas un crime d'être riche et d'avoir des biens. L'État doit accompagner ceux qui investissent”, ajoute M. Sow. 

Relativement à la base légale de ce versement de la caution à la CDC, le juriste Abou Kane n'y voit pas de vices particuliers. Selon lui, suite à des difficultés de mobilisation des ressources, des réformes ont été apportées pour donner à la CDC plus de moyens. “C’est ainsi qu’il est procédé à des innovations majeures non exhaustives, notamment l’élargissement des missions de financement au logement de standing et l’extension de la consignation, etc. C’est certainement sur ce dernier point que le directeur général s’est appuyé pour développer l’idée du dépôt de la caution du loyer à la Caisse des dépôts et consignations”, analyse-t-il. 

Une motivation en question 

À son avis, cette proposition avait été initiée pour la première fois par le docteur Malick Diop, ancien député de Benno Bokk Yaakaar, sans qu’il puisse trouver un écho favorable à l’Assemblée nationale.  “Sur le plan légal, la CDC, à travers la loi 2017-32 portant ses règles de fonctionnement, peut étendre ses domaines de consignation dans le domaine de la location en enjoignant les locataires à verser les cautions dans ses comptes. De surcroit en cas de procédure d’offres réelles, c’est-à-dire si le bailleur refuse de prendre la location ou conteste la somme, le locataire peut utiliser la procédure d’offre réelle et le montant est consigné à la CDC en attendant la fin de la procédure”, explique l'agent immobilier. 

En attendant de voir les modalités de la mise en œuvre de cette mesure, il est déjà confronté au refus des propriétaires d’être un moyen de mobilisation de la CDC, surtout qu’ils sont confrontés à des taux d’emprunts bancaires élevés et un fisc à leurs trousses. Mais pour lui, l'État ne doit pas non plus perdre de vue la vocation de la caution qui, selon lui, est une garantie pour couvrir les éventuelles dettes locatives.

“Dans ses argumentaires, le DG insiste beaucoup sur les difficultés de mobilisation des ressources en faisant référence à la CDC du Bénin. Cela montre que la principale préoccupation, c'est la mobilisation de fonds au profit de la CDC”. 

MOR AMAR 

Section: