Publié le 1 Jul 2025 - 19:20
ASSISES DES MÉDIAS AU SÉNÉGAL

Un tournant incertain pour une presse en crise

 

À l’heure où les rédactions suffoquent, où le Cored ferme les portes de ses bureaux faute de moyens, et où les cartes de presse dorment dans les tiroirs d’une commission paralysée, la presse sénégalaise se retrouve à la croisée des chemins. Ce mardi 1er juillet 2025, les Assises nationales des médias livrent enfin leurs conclusions. Deux années de réflexion pour sauver un secteur en crise.

 

Ce mardi 1er juillet 2025, la Coordination des Associations de Presse (CAP) organise un atelier de restitution et de validation des conclusions des Assises nationales des Médias à Dakar. Soutenu par la Fondation Friedrich Ebert et la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA), cet événement marque une étape cruciale pour repenser en profondeur un secteur médiatique sénégalais fragilisé, à bout de souffle et traversé par une double crise – financière et institutionnelle. Depuis octobre 2022, ces Assises ont mobilisé journalistes, patrons de presse, régulateurs et experts autour de six commissions thématiques. L’objectif ? Accoucher d’un plan cohérent de réforme des médias au Sénégal. Deux ans de débats, de rapports et de consultations doivent désormais déboucher sur un consensus opérationnel. Ce rendez-vous du 1er juillet vise à faire le pont entre la réflexion et l’action, à travers un partage des recommandations, une appropriation collective, et l’élaboration de propositions à court, moyen et long terme. Une ambition noble, mais qui se heurte à une réalité autrement plus chaotique.

Début mai, le Sénégal a gagné 20 places dans le classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières, passant du 94e au 74e rang. Une performance saluée à l'international, mais qui contraste violemment avec les tensions internes persistantes entre le pouvoir politique et les professionnels de l'information. En effet, le pays reste marqué par une succession d’interdictions de couverture d’événements, de fermetures administratives de médias, et de poursuites judiciaires contre des journalistes. L’affaire Public.sn, suspendu puis réhabilité par la Cour suprême en juin dernier, est emblématique de cette instabilité réglementaire. Dans les rédactions, l’atmosphère est morose. La Maison de la Presse Babacar Touré a récemment été secouée par l’annonce de la fermeture des bureaux du Cored (Conseil pour l’Observation des règles d’éthique et de déontologie), organe d’autorégulation du secteur. Ses bureaux ont été fermés « jusqu’à nouvel ordre » faute de moyens : 14 mois d’arriérés de salaires, un budget 2024-2025 jamais versé, et aucune subvention en vue. Ce gel du financement survient malgré les engagements clairs du Code de la presse, en particulier les articles 46 et 53, qui obligent l’État à garantir un fonds de soutien pérenne au secteur.

Dans le même sillage, la Commission nationale de la Carte de presse, autre pilier du dispositif réglementaire, est paralysée depuis plus d’un an. Elle n’a délivré aucun document officiel, mettant ainsi des centaines de journalistes dans l’irrégularité administrative et professionnelle. Pendant ce temps, de nombreux journaux historiques fonctionnent au ralenti, minés par les charges sociales, la hausse du coût du papier et la chute des recettes publicitaires. Le secteur numérique, encore peu structuré, souffre de la méfiance des annonceurs et de l’absence de réglementation claire sur la monétisation. Résultat : une précarisation accélérée, une perte de crédibilité, et une défiance grandissante du public.

Le gouvernement entre promesses et mainmise

Le nouveau régime, conduit par le Président Bassirou Diomaye Faye, a pourtant promis une refondation du secteur. Le ministre de la Communication, Alioune Sall, a annoncé que le Fonds d’appui à la presse passerait de 1,9 milliard à 2,7 milliards de FCFA dans la Loi de finances rectificative 2025. L’objectif est de mieux cibler les bénéficiaires – passés de 535 à 258 médias reconnus – et de garantir une enveloppe plus efficace, adossée à un audit rigoureux. Une autre promesse concerne la création prochaine d’une Haute autorité de régulation des médias et de la publicité. Cette instance devrait combler le vide juridique et administratif laissé par la coexistence parfois conflictuelle entre le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA), le Cored et le ministère de la Communication lui-même. Mais là encore, les acteurs de la presse restent prudents. La réforme de décembre 2024, qui a mené à la suspension de plus de 270 médias non reconnus, continue de nourrir les soupçons de volonté de contrôle étatique.

Selon Ibrahima Lissa Faye, président de l’Appel et patron du média en ligne PressAfrik, cette réforme est une avancée sur le principe, mais une dérive dans l’exécution. ‘’ Cette innovation est à saluer. Les professionnels de la presse écrite doivent effectivement s’enregistrer auprès du ministère de la Communication. Mais à l’usage, cette réforme du gouvernement s’est transformée en un droit de vie ou de mort du ministère de la Communication sur les médias. Il s’adjuge des pouvoirs du Conseil national de régulation de l’audiovisuel et de l’organe d’autorégulation.’’, déplore-t-il dans les colonnes de Jeune Afrique. Pour lui, le ministère de la Communication ne peut être à la fois juge et partie . Il souligne également que l'arrêté ministériel instaurant une commission d’agrément a usurpé des prérogatives relevant des organes de régulation.  Omar Ndiaye, chef du desk Relations internationales au quotidien national Le Soleil, partage cette analyse. Pour lui, « la presse écrite est à l’agonie, mais le véritable problème est plus profond : il s’agit d’un vieux schéma conflictuel entre l’État et les médias ». Il appelle les autorités à « sortir de cette logique d’affrontement pour entrer dans une dynamique d’apaisement et de co-construction ».

D’après lui, il est temps d’adopter une stratégie nationale de communication publique inclusive, structurée autour de principes de transparence, d’accès à l’information et de professionnalisation. « On ne peut pas construire une démocratie moderne avec une presse paupérisée, marginalisée et perçue comme un ennemi politique », insiste-t-il. La restitution des Assises du 1er juillet intervient donc dans un moment charnière. Elle pourrait poser les jalons d’une réforme ambitieuse, ou être perçue comme un énième exercice de façade si aucune mesure forte ne suit. Entre espoirs déçus, fragilisation structurelle et attentes pressantes, la presse sénégalaise joue peut-être sa survie dans les mois à venir?

Amadou Camara Gueye

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