Publié le 7 Jan 2015 - 18:45
3 FATOU CISSE (PRESIDENTE DES BAJENU GOX DE ZIGUINCHOR)

‘’Des filles sont violées par leur propre père’’ 

 

Quelles appréciations faites-vous de la progression du viol en Casamance ?

C’est un phénomène assez fréquent et inquiétant à la fois. Certes, les cas de viol étaient déjà nombreux dans la région, mais actuellement, avec l’existence de structures qui travaillent dans ce domaine, le phénomène est devenu plus visible. Auparavant, le sujet était tabou et les victimes souffraient en silence. Mais présentement, on peut enregistrer jusqu'à 4 cas de viol par mois. Si on fait le calcul, on aura 48 cas pour l’année.

Le nombre peut même aller au-delà. Car parmi les cas de viol, il y a des victimes d’inceste. Des filles sont violées par leur propre père. Il faut dire que le conflit qui prévaut dans la région participe au développement des cas de viol. La porosité des frontières milite en faveur des violeurs et autres bandits qui peuvent s’échapper facilement Ce qui est surprenant, c’est qu’on ne peut pas dresser un profil exact des violeurs. Des fois ce sont des marabouts. Parfois des enseignants. Ils sont de tous bords. Ce sont des gens sains et correctes comme vous et moi. 

Qu’est-ce qui doit être fait pour résoudre le problème ? 

La solution est simple. Toute personne coupable de viol doit être sanctionnée par la loi, si effectivement le viol est dénoncé. En pareil cas, une fois mis au courant, nous nous y attelons en tant qu’organisation œuvrant pour une bonne santé maternelle et infantile. La difficulté, c’est que les parents ont tendance à nous laisser seuls dans le règlement du problème. Personnellement, je n’accepte pas la signature d’une plainte. Je peux accompagner les parents mais il n’est pas question de prendre un quelconque engagement. Je peux les orienter et les mettre en rapport avec des structures capables de les aider. Il arrive même que nous mettions les parents en rapport avec des gens qui peuvent leur prendre un avocat.

Avec cette récurrence des viols, êtes-vous de ceux qui pensent que l’avortement médicalisé serait une solution pour sauver la vie de plusieurs mamans ? 

Si l’avortement médicalisé était accepté au Sénégal, beaucoup de vies allaient être sauvées. Le cas de la petite Massata nous a couté beaucoup d’argent. La grossesse et l’accouchement ont été particulièrement difficiles. Heureusement que les ONG et organisations de femmes ont été là pour nous appuyer. Aujourd’hui encore, le problème n’est pas totalement réglé car nous avons à nouveau inscrit la petite fille à l’école ; elle est en classe de CMI.

Aussi, nous nous occupons des jumeaux avec tout ce que cela renferme en termes d’achat de lait pour le biberon, traitement en cas de maladie etc. Malheureusement, la législation sénégalaise ne permet pas l’avortement. Personne ne souhaite l’avortement clandestin puni par la loi. Mais à mon avis, une loi sur l’avortement médicalisé aurait permis de régler plusieurs cas de viol et d’inceste suivis de grossesse sur des mineures comme Massata.

COMMENTAIRE : Des chiffres et des maux

L’avortement médicalisé bien qu’autorisé exceptionnellement, n’est toujours pas un droit auquel les femmes sénégalaises peuvent recourir. Le code de déontologie médicale du Sénégal le permet, mais si et seulement si il est susceptible de sauver la vie de la mère. Une exception à fort taux de dissuasion, puisque la procédure relève, à la limite, d’une corvée. Il faudrait recueillir d’abord les avis de trois médecins qui attestent que la vie de la mère est réellement en danger et qu’elle ne peut être sauvée que par une interruption de la grossesse. Ensuite, ils doivent envoyer leur décision au président de l’ordre des médecins. Ce n’est pas fini, parce qu’après cela, il faut la délivrance d’un certificat médical  qui permet l’autorisation. Lequel s’arrache à 10 mille FCFA (environ 15 euros).

Cette procédure légale est si laborieuse que les femmes, couche vulnérable, proies  privilégiées de toute sorte de violences,  ne l’utilisent presque jamais. Aujourd’hui, le taux d’avortement clandestin enfle au Sénégal et constitue la cause de 8 à 13% des décès maternels, selon un rapport conjoint publié en novembre 2014 par la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH ) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (RADDHO).

Le rapport mené dans différentes localités du Sénégal sur l’avortement médicalisé met aussi l’accent sur le nombre important d’infanticides. Les avortements clandestins et l’infanticide constitueraient aujourd’hui 38% des causes de détention des femmes. Un détour au tribunal de Dakar permet de constater qu’en 2012, 39 femmes ont été détenues dont 10 cas d’avortement et 29 cas d’infanticide. Dans le premier semestre 2013, 24 infanticides et 8 avortements ont été notés. Que dire alors du décompte macabre de fœtus ramassés à la décharge publique de Mbeubeuss, ces dernières années ? Les peines qui punissent l’infanticide et l’avortement sont lourdes. Il convient de constater qu’avec une telle législation, les victimes de viol ou d’inceste suivi de grossesse éprouvent toutes les peines du monde à recourir à un avortement.

En 2012, une étude d’ONU Femmes a révélé que 50% des cas de violences à l’égard des femmes rapportés dans les services de police au Sénégal sont des viols. Ces derniers sont considérés comme des délits et non des crimes.

Ces deux dernières années, le Centre de guidance infantile familiale a fait état au Sénégal de 420 cas d’abus sexuels sur des mineures âgées de 7 à 14 ans. 30% de ces mineures sont tombées enceintes et 10 à 15% d’entre elles ont dû subir une césarienne à cause de leur jeune âge. Elles sont donc des victimes. De ces victimes dont la société sénégalaise ne veut pas entendre parler. Ces victimes dont la souille et l’humiliation retombent sur l’ensemble de la famille. Ces victimes si incommodantes et perturbantes qu’il serait plus simple d’en faire des coupables. Coupables d’avoir été victimes. Le drame ne s’arrête pas. Le silence devient lourd. Il urge d’agir. 

AMADOU NDIAYE

 

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