Publié le 17 Nov 2022 - 19:15
ADOLESCENTES VICTIMES/SURVIVANTES DE VIOLENCES SEXISTES

Les souffrances des structures d’hébergement

 

Les structures d'hébergement des adolescentes victimes/survivantes de violences sexistes au Sénégal sont insuffisantes, inéquitablement réparties sur le territoire national, sous-dotées en ressources matérielles et humaines et très peu connues. La cartographie de ces centres d’accueil a été faite dans le cadre de la mise en œuvre du projet Hira (Informer, accueillir, héberger  et resocialiser). 

 

La cartographie des structures d'hébergement pour les filles et les femmes basée sur le genre au Sénégal, a été réalisée dans le cadre du projet Hira (Informer, accueillir, héberger et resocialiser) mené par le Laboratoire d’analyse des sociétés et pouvoir/Afrique-Diaspora (Laspad) de l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Elle a permis de constater que ces structures sont peu nombreuses. ‘’La cartographie a permis de montrer qu’au Sénégal, il existe une diversité de structures de prise en charge. Et nous avons mis un certain nombre de critères pour les identifier. Il y en a 28 réparties sur l’ensemble du territoire, à l’exception de quelques régions’’, souligne l'anthropologue et sociologue Pr. Cheikh Sadibou Sakho.

Se prononçant lors d’un atelier national de production de modèle de référence pour la prise en charge de la santé des adolescentes victimes/survivantes victimes de violences sexistes au Sénégal, il a révélé que l’objectif de cette cartographie est de faire connaître l’existence de ces centres, mais aussi de faire un linkage entre les centres pour qu’ils puissent travailler ensemble. ‘’On note une forte concentration des structures d'hébergement dans les capitales régionales et dans les grandes villes. Quatre régions (Matam, Diourbel, Kaffrine et Sédhiou) ne disposent d'aucun centre et sont contraintes de référencer leurs cas à d'autres régions ou de trouver des palliatifs plus ou moins informels comme le recours à des familles d'accueil provisoires’’, indique le Dr Khalifa Diop, cartographe (UGB).

Et l’étude révèle que le paquet de prise en charge minimal comprend l'hébergement (court et/ou long), l'assistance scolaire et professionnelle, l'assistance sociale et l'accompagnement juridique. D'autres services complémentaires sont proposés par quelques centres, notamment l'assistance psychologique et les soins médicaux. 

Quant au personnel des vingt-huit  centres, il est constitué de 332 agents. En moyenne, ils sont au nombre de 11 agents par centre. Ils ont des profils différents. Il s'agit notamment de travailleurs sociaux, d'agents des ONG/Associations, de sages-femmes, de personnel de soutien (gardiens, techniciens de surface, cuisinières), de juristes, d'enseignants, de professionnels de la communication. Un nombre important d'entre eux travaillent sous le régime du bénévolat. 

Sous-utilisation des centres d’hébergement

Dans cette même veine, la question de l'accès à l'information se révèle centrale. Le Dr Khalifa Diop souligne que si les professionnels de la justice disposent, depuis juillet 2020, d'un ‘’répertoire des établissements publics et privés de protection accueillant de jour ou en internat des enfants au Sénégal (DESPS, Unicef), les adolescentes, les familles, le personnel de santé, le personnel communautaire, le personnel dédié à l'assistance sociale n'ont qu'une connaissance limitée de l'existence de ces structures, de leurs modalités d'accès et de séjour, ainsi que des divers services qu'elles peuvent fournir dans la prise en charge des survivantes.

‘’Les centres sont très peu présents en ligne et sur les médias sociaux. Seuls trois centres disposent de sites Internet et deux sont présents sur les réseaux sociaux. Plus de 82 % des structures n'ont aucun dispositif de communication. Même au sein d'une même région, la plupart des structures ne se connaissent pas (ou peu) et ne travaillent pas de manière collective et collaborative’’, indique le cartographe. Avant d’ajouter : ‘’Cette méconnaissance a été corroborée par l'enquête de perception que nous avons réalisée dans le cadre du programme Hira, qui montre que la quasi-totalité des adolescentes interrogées (83,8 %) ignore l'existence, au Sénégal, de centres d'hébergement susceptibles d'accueillir les victimes de violences sexuelles. Les adolescentes non scolarisées sont proportionnellement plus nombreuses (92,8 %) que celles scolarisées (82,7 %) à ne pas connaître ces centres d'hébergement’’, ajoute-t-il.

Malgré la hausse des cas de VGB et de l’utilité reconnue des centres d’hébergement par les parties prenantes qui regrettent leur rareté, ces centres sont paradoxalement sous-utilisés par les victimes/survivantes. En ce qui concerne les dortoirs, il y a 450 lits disponibles au niveau national - dont près de la moitié dans la région de Dakar - pour une population plafond de 1 844 868 adolescentes âgées de 10 à 19 ans ou plancher de 866 276 adolescentes, si on se limite à la tranche d'âge allant de 15 à 19 ans (ANSD, 2021).

Dans cette tranche d'âge, dit-on, une adolescente sur dix a été ou sera victime de VBG (ANSD, 20193), soit une population de victimes projetées de 86 627 adolescentes et une moyenne nationale d'un lit disponible pour 190 victimes/survivantes.

D’après l’étude, même si la perception de la hausse des cas de VBG est générale (personnel judiciaire, sanitaire, communautaire, agents des structures d'hébergement), les centres sont partout sous-utilisés. ‘’Aucun centre n'a pu accueillir des pensionnaires à la hauteur de sa capacité d'hébergement. Bien au contraire, 54 % des lits demeurent inoccupés’’, selon M. Diop.

Se rajoutant au défi de l'information, la problématique de l'acceptabilité sociale des centres est donc un défi majeur de la prise en charge.

‘’Pays du nëpp néppel’’

D’après les auteurs de la cartographie, les auteurs sont souvent dans le cercle familial ; un proche, un éducateur, un tuteur. ‘’Cette proximité des auteurs de VBG a un impact majeur dans les arbitrages individuels et familiaux, en cas de survenue d'abus sexuels ou de violences conjugales. Presque toujours, la peur des perturbations et des effets adverses multidimensionnels que génère la reconnaissance de la violence dans un foyer, prédomine sur le souci de la réparation. Cette dénonciation peut ou ne peut pas entraîner’’, indiquent-ils.

Ainsi, ils constatent que les enjeux en termes de réputation, de ruptures familiales, de détresse psychologique, d'isolement social, de stigmatisation conduisent à préférer le silence. Ces arbitrages rationnels que font les victimes/survivantes et leurs proches maintiennent la force du tabou.

Le Sénégal est ainsi décrit comme le ‘’pays du nëpp néppel’’ ou de refus de la mise en mots et de la dénonciation publique des violences sexuelles.

Ce tabou opère alors comme une double peine, car en plus de l'acte délictuel ou criminel qu'elle a subi, la victime/survivante et ses proches se retrouvent piégés à devoir choisir entre le silence qui laisse impuni l'agresseur et rend impossible le processus de réparation ou la dénonciation qui déchire le tissu familial et installe la communauté dans le mal-être.

Déficit de financement

Par ailleurs, ces centres qui accueillent les adolescentes victimes/survivantes de violences sexistes au Sénégal sont confrontés à des problèmes. Le déficit de financement est évoqué. ‘’La plupart des centres que nous avons identifiés manque de financement global ou alors sont peu ou pas financés par l’État, même si ce dernier finance un certain nombre de structures de prise en charge. Mais globalement, les financements viennent du privé. Et donc, il y a un déficit de financement’’, indique le Pr. Sakho. 

Cheffe de projet Hira et politiste, professeure en sciences politiques à l’UGB, Mame Penda Ba indique que les centres sont majoritairement à l'initiative de la société civile : associations et ONG représentent 75 % des structures d'hébergement. Seuls sept établissements sont publics. Il s'agit des centres de premier accueil (CPA) de Saint-Louis, de Ziguinchor, de Dakar (Liberté 6), du centre Ginddi de Dakar, du Centre polyvalent de Thiaroye (Dakar), du Centre départemental d'assistance et de formation pour la femme (Cedaf) de Tambacounda, du Centre d'accueil et de transit de Bakel (Tambacounda).

‘’Dans les centres gérés par l'État, dit-on, l'hébergement n'est pas spécifiquement destiné aux victimes de VBG, notamment dans le cas des CPA. Le travail qui y est fait correspond davantage à une protection de l'enfance (0 à 18 ans) de manière générale’’. Ainsi, l’État finance exclusivement ses propres centres. Et les collectivités territoriales (départements) ne financent aucune structure d’hébergement.

De ce fait, la précarité financière et la dépendance vis-à-vis des partenaires extérieurs sont les caractéristiques structurelles des centres.

Recommandations

Ainsi, le Sénégal est invité à renforcer sa politique et ses stratégies de prévention et de prise en charge des VBG à l'égard de cette partie de la population. L'hébergement, ainsi que l'accès aux services liés, est un mécanisme efficace de protection et de resocialisation des victimes, notamment dans le cas de violences répétées.

Cependant, d’après les auteurs de la cartographie, ‘’cet instrument est peu accepté, peu connu, peu doté et demeure marginal dans la réponse nationale’’.  Il convient de lui donner une place idoine.

C’est pourquoi des recommandations sont formulées. Entre autres, il est indiqué qu’un travail sur les éléments de langage et les arguments juridiques, religieux, médicaux et sociaux à mobiliser pour centrer l’hébergement dans les mécanismes de prise en charge doit être réalisé. Et l’on estime que, dans un contexte de décentralisation et de transfert des compétences, mais aussi de parité, ‘’les départements ont la responsabilité de participer à l’entretien et à la gestion des centres de promotion et de réinsertion sociales’’.

Quant aux conseillers départementaux, ils devraient intégrer les centres parmi ces infrastructures et grâce à une budgétisation sensible au genre et, plus généralement, élaborer des réponses locales centrées sur les besoins des filles et des femmes victimes de VGB.

Au-delà de la cartographie, il y a trois autres études qui ont été faites. Une monographie des centres, en particulier le centre de Kullimaaroo, et une enquête nationale sur les perceptions des adolescentes sur les violences basées sur le genre.

Cette dernière étude a concerné près de 1 400 adolescentes. ‘’C’est une étude qui a montré que les adolescentes ont une perception différente des violences basées sur le genre. Mais globalement, elles sont conscientes de ces violences. Elles ont aussi des attentes assez particulières, notamment sur la prise en charge’’, renseigne le Pr. Cheikh Sadibou Sakho.

BABACAR SY SEYE 

 

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