Publié le 11 Jul 2017 - 00:27
BASKET - LA POLITIQUE DE LA PETITE CATEGORIE AU SENEGAL

La grande friche 

 

C’est la traversée du désert pour le basket sénégalais de la petite catégorie. Les clubs tentent, selon les moyens du bord, de s’acquitter de cette tâche tant bien que mal. Les équipes nationales de jeunes, quant à elles, sont envoyées au placard depuis un bon bout de temps. L’équipe fédérale cherche toujours les voies pour redynamiser ce secteur de la discipline où tout reste à faire.

 

Vêtu d’un short et d’un t-shirt aux couleurs (vert-blanc) de l’Ascc Bopp, le coach Khadim Fame est prêt pour la séance du jour. Il ne compte pas se laisser ramollir par le soleil de plomb, ni la fatigue due au ramadan. ‘’On ne peut pas suspendre nos activités malgré le jeûne’’, dit-il, sous une mine assoupie. Comme toujours, il a rendez-vous avec les potaches au centre de Bopp. La formation des jeunes basketteurs, c’est son affaire. En tant qu’entraîneur principal, il a la charge d‘inculquer aux gamins les techniques et valeurs du basket. Et ces derniers s’y mettent allègrement. En amoureux de la discipline, ils ont préféré la balle orange à tous autres loisirs auxquels s’adonneraient les enfants de leur âge à cette heure de l’après-midi.

‘’Nous avons ici toutes les catégories (minime, cadet et junior) en garçons et en filles. On a 35 filles et autant de garçons en minime, pareil en cadets et 27 juniors’’, renseigne-t-il, entouré de ses protégés. Le bruit assourdissant des ballons rebondissant sur le parquet du terrain contraste avec le vrombissement des moteurs de voitures au dehors. Selon l’encadreur, même si les pensionnaires ne sont pas internés au centre, les dirigeants du club sont regardants sur leur scolarité. ‘’Les jeunes sont tenus de faire de bons résultats à l’école. Au cas contraire, on leur demande d’arrêter le basket jusqu’à ce qu’ils améliorent leurs notes’’, confie-t-il. Si à Bopp, l’accès est ouvert à tous, celui-ci est sur tri à la Jeanne d’Arc de Dakar. ‘’Nous avons une quinzaine de jeunes dans toutes les catégories (minime, cadet et juniors). A chaque début de saison, nous procédons à une sélection’’, fait savoir un des encadreurs à la ‘’Vieille dame’’, Lamine Diallo.

La formation à la base, le grand fiasco

La mission est exaltante mais difficile aussi. La formation ayant un coût, les clubs s’y prennent tant bien que mal. Les plus nantis s’en sortent tandis que les autres y arrivent à peine. Les épines ont pour noms le manque d’infrastructures, de matériel et l’insuffisance des finances, entre autres. Et l’Ascc Bopp ne fait pas l’exception. ‘’Nous rencontrons des difficultés, notamment le manque de ballons, vu l’effectif que nous avons’’. Heureusement, le coach Fame peut compter sur de bonnes volontés pour faire face aux besoins. ‘’On reçoit souvent des dons de ballons et d’équipement de la part de nos anciens joueurs’’, confie-t-il.

Des doigts, il montre deux cerceaux rangés à quelques mètres du terrain. ‘’C’est un don de Khadim Sèye, un ancien pensionnaire de Bopp qui joue en France actuellement’’, explique le technicien. Khadim Fame qui fait état également des difficultés financières. Il arrive des fois de rencontrer des soucis de trésorerie en ce qui concerne la rémunération des entraîneurs. ‘’Grâce à ces bonnes actions des anciens comme Youssou Ndoye, Gaby, Pape Moussa Bathily, Abdoulaye Ndir, Oumar Mare, nous arrivons à faire jouer les enfants qui viennent des quartiers environnants’’, salue-t-il. C’est le même sentiment de reconnaissance qui anime le coach des équipes de jeunes de la Jeanne d’Arc (JA) de Dakar, Lamine Diallo. Selon lui, ‘’même si le club ne souffre pas sur le plan des infrastructures, l’apport des anciens pensionnaires est quand même d’une grande utilité’’.

Contrairement à l’Ascc Bopp qui ne dispose que d’un seul terrain, la JA est mieux lotie dans ce domaine, la ‘’Vieille Dame’’ étant logée au sein de l’Ucao-Saint-Michel qui disposent de deux terrains de basket. Ainsi, le coach Diallo peut, tous les après-midi, travailler avec ses collaborateurs et avec les cadets et les juniors en même temps. ‘’Vous avez là les juniors garçons qui préparent un match de quarts de finale, dimanche (4 juin)’’, fait-il savoir.

Cependant, le problème des infrastructures se pose avec plus d’acuité chez d’autres clubs. Ainsi en a fait le constat le directeur technique national (DTN). ‘’Vous arrivez dans un club où il y a un seul terrain, il n’y a pas assez de ballons’’, révèle Maguette Diop. ‘’Les équipes fanions, filles et garçons, doivent s’entraîner. Qu’est-ce qu’il faut faire avec les jeunes ? C’est des problèmes qui ont existé et qu’il faut résoudre’’, s’interroge-t-il. A son avis, la question doit être prise en charge de façon globale : ‘’Les solutions doivent être trouvées au plan local, départemental, régional et national’’.

L’insuffisance des compétitions locales

La formation va de paire avec la compétition. C’est en étant confronté à d’autres équipes que le jeune joueur deviendra plus aguerri et se forgera l’esprit de gagne. En ce qui concerne la petite catégorie de basket au Sénégal, à en croire le DTN, c’est les ligues régionales qui sont chargées d’organiser les compétitions en rapport avec les clubs : ‘’Les clubs s’organisent. Il y en a qui ont de petites catégories, qui participent aux compétitions au niveau de chaque ligue. La direction technique nationale intervient lors des phases finales’’.

Ainsi, à la Ligue de Dakar, les équipes sont à l’étape des quarts de finale. Selon son président de la commission d’organisation des compétitions, Daouda Niang, le tournoi a démarré depuis février dernier. Sur les 33 clubs affiliés, 23 sont engagés et 8 ont désisté. Il s’agit de l’Olympique de Ngor, l’Us Gorée, Jokko, Bargny, Dieuppeul, NAC, Médina BC, Blaise CS. Pourtant, renseigne M. Niang, les textes régissant le basket-ball sénégalais font obligation à tous les clubs désireux de prendre part au championnat chez les séniors de faire jouer leurs équipes de jeunes, sans quoi ils encourent des sanctions. Mais, poursuit-il, la Ligue a préféré ne pas appliquer ces sanctions. 

Au total, les équipes jouent une dizaine de matches, précisément 13, si elles parviennent à atteindre le dernier tour. Un nombre jugé insuffisant par les acteurs. ‘’Nous jouons mais ce n’est pas suffisant’’, déplore Khadim Fame. Ce dernier soutient que le décalage entre les matches n’arrange pas ses protégés. ‘’Mais on fait avec’’, se résigne-t-il. Pour sa part, Lamine Diallo regrette le temps où la compétition se tenait sur une poule unique. ‘’Auparavant, on jouait jusqu’à 20 matches. Maintenant, avec les deux poules, on a que 10 matches ou 13 si on va jusqu’au bout’’, dénonce-t-il. Pour lui, il faut revenir à l’ancienne formule. ‘’Ce n’est pas satisfaisant de s’entraîner pendant neuf mois et ne jouer que 13 matches’’, fulmine-il. 

L’âge des joueurs en question

La question de l’âge des joueurs en petite catégorie a fait couler beaucoup d’encre et de salive. On se rappelle encore le scandale qui a éclaboussé la famille du basket-ball sénégalais en 2012 avec la fraude sur l’âge des joueurs des équipes U18 filles et garçons. Aujourd’hui encore, ce problème mine la discipline si on en croit les acteurs. Car si le phénomène de la réduction des âges des gamins est connu de tous, le sens inverse existe aussi. Selon Lamine Diallo, il y a une tendance à surclasser très tôt les jeunes joueurs pour les faire évoluer en équipe première. Pour lui, cette pratique est nocive pour le joueur qui, n’ayant pas terminé sa formation, brûle les étapes. Ce qui impacte négativement sur la progression du  jeune en question. ‘’C’est la faute aux dirigeants qui ne sont intéressés que par les résultats’’, dénonce-t-il. Cet entraîneur titulaire d’un 3e degré depuis 2003 pense que ses pairs sont complices de ces actes. 

La disette des équipes nationales de jeunes

‘’La relève de cette équipe, il faut la préparer maintenant’’. Cette phrase, le sélectionneur national de l’équipe féminine du Sénégal de basket, Moustapha Gaye, n’arrête pas de la répéter depuis quelque temps. Mais son vœu d’assurer l’alternance générationnelle ne saurait se réaliser si le travail à la base ne suit pas. Le rayonnement des équipes sénégalaises de basket-ball, notamment les Lionnes, championnes d’Afrique en titre (11 trophées), contraste avec la léthargie des équipes de jeunes. La sélection féminine des U18 avait remporté son premier titre en 1985. Elle a été sacrée à nouveau 27 ans après, en 2012, à Dakar. La même année, les garçons U18 gagnaient leur premier titre, à Maputo (Mozambique). Malheureusement, ces deux trophées seront retirés au Sénégal à cause de fraudes sur l’âge des joueurs.

Depuis cette date, aucune équipe de jeunes n’a pris part aux compétitions internationales. Le retour sur le plan continental et mondial, annoncé il y a quelques années, tarde à se faire. Selon Maguette Diop, ‘’il faudra voir comment faire pour revenir sur le plan international’’. Pour ça, croit l’ancien sélectionneur de Lionnes, il est impératif de suivre un processus qui est déjà enclenché. ‘’Cela consiste d’abord, au niveau national, à tenir des compétitions comme le tournoi des jeunes que nous avons initié l’année dernière. Après, il fallait regrouper les meilleurs jeunes et faire un stage de perfectionnement pour voir ce qu’il faudrait améliorer chez eux’’, explique-t-il. Pour cette année, dit-il, il est prévu de renouveler le même procédé pour voir s’il y a possibilité de retenir de nouveaux jeunes, en plus de ceux qui étaient déjà ciblés la saison écoulée. ‘’On est en train de travailler dans ce sens. Tout récemment, certains de ces jeunes ont représenté le Sénégal dans un tournoi  où on a été invité au Maroc. Ce groupe peut nous valoir beaucoup de satisfaction au prochain Afrobasket U18. Tout le monde a reconnu que cette équipe a été excellente’’, se réjouit-il.

Cependant, le Directeur technique national se veut prudent. ‘’Il ne faut pas aller vite en besogne’’. Pour lui, il faut continuer à travailler et être plus regardant sur l’aspect administratif. Car, estime-t-il, on doit voir ‘’si au plan administratif tout est ok’’ pour avoir une base solide. ‘’Si le Sénégal revient, c’est pour avoir d’abord des équipes compétitives qui vont s’installer dans la durée dans les compétitions internationales’’, a-t-il conclu.  

LOUIS GEORGES DIATTA

 

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