Publié le 1 Feb 2023 - 21:23
CÉLÉBRATION DU MAGAL DE POROKHANE

Mame Diarra racontée par son petit-fils Serigne Abdoul Ahat Bousso Marame

La communauté mouride va célébrer, ce 2 février, le Magal de Porokhane qui doit sa notoriété à une femme : Mame Diarra Bousso. À travers cet entretien avec ‘’EnQuête’’, Serigne Abdoul Ahat Bousso Marame, fils de Serigne Dame Bousso, Imam de la grande mosquée de Touba et petit-fils de Sokhna Diarra Bousso, nous parle de la mère du fondateur du mouridisme, Serigne Touba Cheikh Ahmadou Bamba Khadimou Rassoul, qui a vu le jour en 1883 à Golléré (Podor) et qui n’a vécu que 33 ans. Entretien.

 

Serigne Abdoul Ahat Bousso Marame, parlez-nous de la naissance de Mame Diarra Bousso ?

Son homonyme est Marième, la mère du Prophète Insa. Son père s’appelle Mouhamed Bousso et sa mère Mame Asta Walo Mbacké. Elle a vu le jour en 1833. Elle est descendante directe du Prophète Mouhamed (PSL) pour ne pas dire chérif. Elle est sa petite-fille, car son grand-père s’appelle Matabara Bousso, fils d’Amath Aly. En suivant cette lignée, elle ira directement chez Abdou Khadre Jeylani. Elle est de la lignée du Sceau de l’humanité, le Prophète Mouhamed (PSL).

Qu’en est-il de son cursus scolaire ?

Concernant son éducation, comme il est de coutume dans la famille dont elle est issue, c’est son père qui l’a instruite en premier lieu. Par la suite, elle a été remise entre les mains de son oncle du nom de Tafsir Mbacké. Il lui a fait mémoriser le Saint Coran. Ensuite, il lui a appris les sciences religieuses. À l’âge de 19 ans, elle avait appris les plus grandes connaissances dans la charia et les autres types de connaissances religieuses musulmanes.

Évoquons ses relations avec son époux. Comment étaient-elles ?

Elles se basaient comme entre deux vrais musulmans. C’est le fait d’obtenir l’agrément d’Allah qui les unissait. Sokhna Diarra, après avoir mémorisé le Coran et les connaissances religieuses, s’est mariée avec Serigne Mame Mor Anta Saly Mbacké. Ce dernier était un grand enseignant islamique, un grand savant, un ami et proche de Lat Dior. Il était un cadi chez le roi du Cayor concernant les questions religieuses. À préciser qu’il ne vivait pas avec Lat Dior dans le même village et ils se voyaient chaque jeudi pour juger les détenus en rapport avec la religion musulmane pour, par la suite, rentrer chez lui. À l’époque, le jeudi était un jour férié pour les élèves coraniques. C’était un homme de Dieu.

Il existait entre eux une relation particulière. Elle lui vouait un grand respect et considération. Elle faisait tout ce qu’il lui disait et laissait tout ce qu’il lui interdisait. En guise d’exemple, je vous raconte l’histoire qui s’est déroulée à Khourou Mbacké qui se trouve entre Diourbel et Mbacké où il habitait.

Un jour, il y avait une forte pluie accompagnée de beaucoup de vent. La clôture de leur maison était sur le point de s’affaisser. Mame Mor Anta Sally était sorti pour la stabiliser et il a fait appel à Sokhna Diarra pour lui demander de lui tenir un point stratégique, afin qu’il puisse aller chercher un outil pour le nouer. Il est reparti dans sa chambre et la pluie était plus abondante et il a pensé que Sokhna Diarra est aussi partie rejoindre sa chambre pour se mettre à l’abri. Jusqu’au petit matin, quand il se préparait pour la prière de l’aube, il est sorti et a aperçu une ombre. Il a demandé : qui est-ce ? Elle lui a répondu : c’est Sokhna Diarra. À la question de savoir ce qu’elle y faisait, elle lui a rétorqué qu’il lui avait demandé de lui tenir une partie de la clôture qui menaçait de s’affaisser. Il était émerveillé et lui a dit : ‘’Tu as mon estime, ma considération et les remerciements que toute femme devrait avoir de son mari. Saches que tu seras bénie par Allah (SWT).’’ Il y avait une complicité, entre eux. Ils se comprenaient et se respectaient mutuellement. Des exemples de ce genre, on en compte à tire-larigot.

Un jour, pour faire plaisir à son époux, il a pris son écrin qui était en bois où elle gardait ses objets de valeurs, pour le prendre et le servir comme du bois à fagot, car il n’y en avait pas dans cet endroit, alors que son époux voulait servir du café à ses hôtes. Elle voulait juste faire le café et le plus rapidement possible.

Mame Diarra avait un collier de marque Pémé (une grande valeur à l’époque, avec une grande valeur marchande). Elle l’avait pris pour aller voir un Peul et faire un troc. En retour, chaque jour, elle y prenait une quantité de lait et pendant longtemps. Juste pour lui faire plaire en cuisinant du ‘’lakh’’ (bouillie de mil), au petit matin.

Qu’en est-il de la dimension spirituelle de Sokhna Diarra ?

C’est une chose innée chez elle, c’est-à-dire qu’elle est née dans une famille spirituelle, de dévotion religieuse. Le jour où elle devait rejoindre son domicile conjugal, elle avait dit à ses parents qui lui prodiguait des conseils ceci en pleurant : ‘’je ne pleure pas, parce que je ne veux pas rejoindre mon mari, mais, je pense à ce verset du Coran qui dit :’’Mouhamed (PSL) est le dernier envoyé de Dieu…’’. Donc, certainement je ne mettrai pas au monde un prophète, mais je vous jure que j’aurai de cette relation un homme de Dieu. On parlera de lui à chaque fois qu’on va évoquer le nom de Mouhamed (PSL)‘’.

Elle était consciente que, pour réussir un tel pari, il lui fallait une certaine dimension spirituelle, un engagement envers Allah. Une fois chez son époux, chaque nuit, elle lisait le Coran entier, mais aussi, disait les 114 sourates avant de dormir, sous forme de nafilas. Le matin, elle nettoyait la chambre de son époux et celle de Sokhna Anta Ndiaye Mbacké, sa coépouse, qui était l’homonyme de sa grand-mère. Sa coépouse a beaucoup contribué à la venue de Mame Diarra dans le domicile de son mari. En effet, elle a proposé à Mame Anta Sally de la prendre comme seconde épouse, en lui expliquant toutes les qualités qu’elle connait d’elle pour être une bonne et épouse modèle. Elle est partie négociée avec Sokhna Walo pour faciliter cette noble mission. C’est la raison pour laquelle, quand elle a rejoint le domicile de son mari, elle l’a considérée comme une maman et non une coépouse. Elle faisait tout pour elle.

Elle jeûnait plusieurs jours dans la semaine. N’empêche, elle partait chaque jour à la recherche des fagots de bois qui se faisaient rares. C’était une habitude chez elle. Elle jeûnait le jour et, la nuit, elle faisait ses nafilas et lisait le Coran. Chaque matin, elle cuisinait et partageait avec les hôtes et proches. Elle avait une grande dimension spirituelle jamais égalée. Elle était un exemple dans ce sens.

Serigne Touba a fait un témoignage sur elle en soutenant que : ‘’Dieu a fait de Sokhna Diarra ma mère à cause de 3 choses : ‘’elle était la plus pieuse, celle qui craignait plus son Seigneur dans le monde, à son époque ; elle était celle qui vouait à Dieu le plus de respect et la considération qu’il méritait ; et elle suivait le plus les onctions et recommandations d’Allah (SWT).’’

Serigne Mame Mor Diarra, son autre fils, faisait au quotidien ses nafilas avec les 114 sourates du Coran. C’est ce dernier qui veillait sur les jeunes Mbacké-Mbacké qui venaient pour apprendre le Coran jusqu’à la mémorisation totale. C’est lui qui validait la mémorisation. Parmi ses fils, on peut en citer Mame Abiboulakhi Mbacké, Sokhna Fatimouta Mbacké… Elle a eu quatre enfants de cette union.

Elle était une femme pieuse, qui savait ce qu’elle voulait dans sa relation avec son époux. Elle avait aussi d’excellentes relations avec sa coépouse. Elle prenait bien soin des disciples de son époux. Ils étaient aux anges, quand elle cuisinait. Elle cousait des draps pour les élèves coraniques, histoire de les protéger contre le froid. Elle parlait avec ses enfants. Il leur traçait des chemins qui menaient vers Allah. Elle disait à Serigne Touba de ne pas dormir la nuit. Beaucoup de témoignages ont été faits dans ce sens. Toute jeune, elle a appris à Serigne Touba qu’il ne devait pas dormir la nuit. Étant jeune, il pensait qu’il devait rester debout, toute la nuit. C’est après qu’il a compris quand il a fini de mémoriser le saint Coran. Quand on avait faim ou soif, tout le monde se rendait chez elle. Elle avait le sens de l’écoute et du partage. Une épouse parfaite, c’est ce qui résume tous les témoignages faits à son encontre dans différents écrits.

Parlons maintenant de sa relation avec son fils Serigne Touba.

C’est une excellente question. Elle était basée sur la sutura. Vous savez que Serigne Touba est un miracle de Dieu, comme il a dit dans un de ses panégyriques. C’est une chose que sa mère a découverte très tôt chez lui, mais n’a pas voulu la rendre public. On dit que quand Serigne Touba a été sevré, il ne s’est plus assis sur le lit de sa mère. Il ne voulait pas le faire à son âge. Il refusait à chaque fois. C’est une chose rare. Sur le dos de sa mère, il refusait que sa maman passe sur un chemin où il y avait des gens qui faisaient des choses que Dieu n’aimait pas. C’était connu de tous.

Un jour, le père de Serigne Touba a entendu dire des choses qu’un enfant ne devrait pas dire. Son père se posait la question à savoir comment un enfant pouvait connaitre ce genre de paroles. Sokhna Diarra lui avait répondu en soutenant que ce n’est une première chez lui, qu’elle a l’habitude de l’entendre. Chaque jour, il lui montrait des miracles. Serigne Touba a dit que sur cette terre, il n'a pas vu une personne aussi discrète que sa mère Sokhna Diarra. Il lui a fait un tel témoignage. Il a ajouté que, depuis sa naissance en passant par sa tendre enfant, il a fait tellement de miracles, mais il n’a jamais vu ni entendu sa mère en parlait publiquement. Elle pouvait le faire pour se vanter, mais, elle ne l’a jamais fait. Ce qui montre qu’elle est une femme complète. Elle a su garder tout ce qu’elle a vu de lui comme miracles. C’est à cause de cela que nous avons connu Serigne Touba, sinon, si elle avait rendu public tout ce que Serigne Touba lui montrait comme miracles, nous n’aurions jamais connu Serigne Touba.

Quel est le modèle de vie de Sokhna Diarra ?

C’est une bonne question qui nous permettra de montrer comment elle était un exemple, un modèle pour les femmes. Elle était une femme discrète ce qui fait qu’elle ne fatiguait pas son époux pour ne pas dire le stresser. J’ai dit tout à l’heure qu’elle a vendu ses bijoux pour faire plaisir à son époux. Sans oublier les autres exemples que j’ai cités. Elle suivait les directives de son époux. Ce que les femmes doivent copier. Elle avait une ouverture, ce qui faisait que sa maison ne désemplissait jamais d’hôtes.

Pour vous dire, elle a marché avec son mari, de Khourou Mbacké jusqu’à Porokhane (situé à une dizaine de kilomètres de Nioro). C’était plus de 200 km. À l’époque, il n’y avait pas de voitures. Les plus nantis avaient des chevaux. Son époux n’était pas un homme riche. Mais, vu qu’il ne refusait rien à son époux, elle a accepté de marcher toute cette distance. Je rappelle que son époux devait y aller pour prendre part à une bataille. Elle a accepté d'y aller à pied. On leur avait demandé de siéger à Porokhane. Donc, les femmes doivent épauler leurs maris et ne pas leur faire faire des choses, alors qu’ils n’ont pas les moyens. De vivre avec eux selon leurs moyens. Ne pas vivre au-delà de leurs moyens. C’est ce que Sokhna Diarra faisait. Elle était discrète. Quand on a un enfant qui fait des miracles, la femme ne doit pas rendre public cela. Elle ne doit pas être bavarde. Si elle a les moyens, qu’elle dépense discrètement.

Elle a été confrontée à beaucoup de problèmes dans son ménage, mais elle a enduré dans le silence. Jamais elle n’a été une pleurnicheuse. Elle a su gérer avec dignité et dans des conditions difficiles. Elle a vécu de pires moments, mais elle n’a jamais cédé. Voilà ce qu’elle a eu comme bénéfice. Être la mère de Serigne Touba est une paie de toutes les difficultés qu’elle a eu à rencontrer. Que toutes les femmes fassent d’elle un modèle de vie, un exemple. Elle a montré le chemin à toutes les femmes. 

PAR CHEIKH THIAM

Section: