Publié le 8 May 2020 - 20:03
CAMPAGNE AGRICOLE EN PÉRIODE DE COVID 19

Les mille et une questions des agriculteurs

 

La campagne agricole approche, mais les premiers acteurs concernés ne sont pas prêts. Entre l’absence de revenus, l’obtention incertaine de semences et la Covid-19, les agriculteurs angoissent.    

 

A Dakar, certains ont perdu leur boulot, d’autres sont au chômage de façon partielle, des entreprises ont mis la clé sous le paillasson. Mais dans le monde rural, l’inquiétude est ailleurs. A l’orée de la campagne agricole, plusieurs équations se dessinent et la pandémie de Covid-19 n’arrange pas les choses.

‘’Actuellement, nous sommes désemparés, parce que, pour préparer la campane, chaque année, on organisait des réunions pour échanger. Où est-ce qu’on va avoir les semences ? Quel genre de semences avons-nous ? Sont-elles de bonne qualité ? Ce sont autant de questions qui animaient nos rencontres. Tout cela fait partie de la préparation de la campagne, en plus du recensement des sites où on peut se procurer les semences. A cause de la maladie, cette étape n’est plus possible’’, explique le président de l’Association des agriculteurs de la région de Kaolack (Adak) Balla Gaye. Une organisation qui couvre l’ensemble des régions de Kaffrine et Kaolack, au cœur du bassin arachidier.

Chaque année, au Sénégal, certains départements figurent dans la zone rouge de l’insécurité alimentaire (Bambey, Matam, Kanel, Goudiry, Tambacounda, Malem Hodar), en raison de multiples facteurs. Sauf que, pour 2020, le tableau risque d’être encore plus sombre. Pour ces acteurs de l’agriculture, aucune prévision, en termes de quantité de récolte, n’est à l’ordre du jour, car difficile de faire l’inventaire des terres qui, réellement, seront cultivées, encore moins de la quantité de semences.

Mardi dernier, le ministère de l’Agriculture et de l’Equipement rural a annoncé que la mise en place des intrants a démarré dans le sud du pays et devrait se terminer le 20 mai. ‘’Ce processus de mise en place des semences d’arachide, de maïs, de mil et de niébé, entre autres, est très important pour les producteurs. Je peux dire que pour ce qui est de l’arachide, les notifications ont été données aux opérateurs pour 52 000 t de semences certifiées. Les plannings sont déjà distribués aux opérateurs pour les régions de Kédougou, Tamba, Kolda, Sédhiou et Ziguinchor’’, affirme l’autorité.

Sur le terrain, en tout cas, les paysans sont dans l’incertitude. ‘’Les semences dont le ministre parle, on en entend seulement parler. Quand vont-elles arriver ?  Quelle est la quantité ou même la qualité ? L’autre problème, c’est qu’avec le confinement, nous sommes pratiquement inactifs. Or, c’est à cette période qu’on se déplaçait, qu’on se battait afin de rassembler la somme nécessaire à l’achat de semences. On vendait soit nos chèvres ou nos bœufs pour se faire des sous. Nous sommes vraiment angoissés, les poches sont vides’’, détaille Balla Gaye qui ne sait plus à quel saint se vouer. Toutefois, lui et les membres de son association refusent le fatalisme. ‘’Puisque nous vivons de l’agriculture, on ne peut pas rester les bras croisés. On essaie donc, à notre niveau, d’avoir d’autres semences que celles de l’arachide, à savoir le mil, le maïs ou le haricot’’, ajoute-t-il.

L’homme demande aux autorités d’augmenter la subvention des semences d’arachide, vu la crise sanitaire. Ces intrants, en plus de l’engrais, doivent également arriver à temps (entre fin mai et début juin), au risque de paralyser la campagne.

‘’Les banques ne disent rien de clair’’

Il va de soi que l’interdiction des rassemblements a créé, en milieu rural, d’autres problèmes qui ne sont toujours pas pris en compte. En l’absence de hauts lieux de commerce tels que les ‘’loumas’’ (marchés hebdomadaires), les paysans peinent à joindre les deux bouts.

En effet, la vente de leurs récoltes se trouve hypothéquée. Selon Elisabeth Diop, membre de la Fédération des groupements paysans de la région de Diourbel, ‘’c’est une situation assez difficile, car la vente entre dans la planification de la campagne. Aussi, le non écoulement de nos récoltes est dû à la question de mobilité, vu les restrictions en vigueur. Les grands commerçants ne viennent plus vers nous. Autant de faits qui vont se répercuter sur la campagne. Car si la vente n’a pas lieu, les paysans ne vont pas pouvoir s’en sortir’’. 

L’autre aspect de l’équation n’est autre que la position des différentes banques, en cette période de crise. A en croire la jeune dame, plusieurs d’entre elles rechignent à accorder des crédits aux paysans, comme c’est le cas chaque année. ‘’On prenait des prêts à la banque. Or, actuellement, celles-ci ne disent rien de clair par rapport à cela. On se demande si elles vont accepter de nous en donner, car en principe, c’est à cette période qu’on dépose nos dossiers pour en avoir. La pandémie a presque tout bloqué. En ce moment, on ne peut plus vendre nos produits agricoles ; on a des tonnes d’oignons stockées ici, on ne sait où les vendre. On avait fait des planifications en fonction de ces ventes pour préparer la campagne, mais plus rien n’est sûr’’, explique, dépité, le président de la fédération, Abdoulaye Guèye, vivant à Ndondol.

Pessimiste, il ajoute : ‘’D’ailleurs, si on cultive et qu’on récolte où allons-nous vendre ? On ne sait quand est-ce que la maladie va prendre fin. Socialement, on n’a presque plus de quoi vivre. Nous traversons une véritable période de soudure. Nous demandons aux autorités de nous aider à écouler nos récoltes. On a besoin de cet argent et il faut aussi que les banques nous aident.’’

Ce cri du cœur n’est pas nouveau, puisque cette zone rurale (département de Bambey) est en proie à l’insécurité alimentaire depuis belle lurette. Mais cette année, la pandémie a accentué ce problème. Pour preuve, depuis le mois d’avril déjà, les ruraux vivent avec des greniers vides.

Dans sa quête de solution, l’organisation a rencontré, la semaine dernière, le gouverneur de Diourbel pour lui faire part de ses difficultés. Ce dernier a promis d’interpeller les autorités compétentes. En attendant, les agriculteurs s’organisent. ‘’Nous sommes en pleine négociation avec un commercial vendeur de semences, pour voir s’il peut nous livrer d’ici quelques jours, parce qu’en principe c’est entre fin mai et début juin qu’on doit démarrer la campagne. Il ne reste que quelques jours. Les semences de l’Etat viennent souvent en plein hivernage’’, fait savoir Mbaye Ngom, également membre de l’association.

La Fédération des groupements paysans de la région de Diourbel organise, sur des périmètres de 12 à 15 ha, les cultures maraichères (tomate, chou, piment, poivron) des agriculteurs de la zone. Toutefois, ces derniers ont chacun en parallèle un champ d’arachide, de mil ou de niébé.   ‘’Si on attend la semence de l’Etat, on risque d’être en retard. Le mil, par exemple, est semé un mois avant la pluie. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’acheter les semences, en attendant celles subventionnées par l’Etat’’, fait-il savoir.

60 milliards de l’Etat

Dans l’optique de booster l’autosuffisance alimentaire, le président de la République a renfloué les caisses du ministère de l’Agriculture de 20 milliards de francs CFA destinés à l’achat des intrants agricoles. Mercredi, en Conseil des ministres, il a validé un programme agricole 2020-2021 pour une enveloppe de 60 milliards. En outre, en décembre 2019, l’Etat a décidé d’annuler la subvention sur les semences allouées aux particuliers qui profiteraient des efforts des paysans. Cette annulation équivaut à 13 milliards de francs CFA. Une somme prévue pour augmenter les dotations en semences en engrais et en matériel agricole.

Autant de milliards qui, s’ils arrivent à bon port, pourraient changer la donne. Macky Sall a d’ailleurs lui-même exhorté le ministre de tutelle à ‘’veiller à la répartition optimale des financements alloués aux différents volets et filières, afin de consentir aux producteurs des prix de cession fortement subventionnés pour les semences, engrais et équipements agricoles’’.

En mars dernier, un document pour une sécurité alimentaire effective en fin d’hivernage 2020, a été élaboré par le ministère de tutelle. Il regroupe trois volets (le riz, les espèces diverses et les équipements) pour une enveloppe de 90 361 598 870 F CFA.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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