Publié le 27 Nov 2021 - 11:35
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Changement de cap

 

Quelle mouche a donc piqué Macky Sall pour qu'il pense à revenir à la formule d'un Exécutif bicéphale ? ‘’Le président de la République a (…) informé le Conseil [des ministres] de sa volonté d’initier une révision de la Constitution en vue de l’instauration du poste de Premier ministre’’, indique le communiqué ayant sanctionné le Conseil des ministres du 24 novembre.

Pour s'en justifier, le texte indique :  ‘’Cette restauration, qui vient ainsi adapter l’organisation du pouvoir Exécutif à un nouvel environnement économique et socio-politique, s’accompagne d’une nécessaire requalification des rapports entre l’Exécutif et le Législatif..."

Il aura fallu seulement deux ans et six mois pour que le chef de l'État redécouvre l'utilité du poste de Premier ministre, après l'avoir sacrifié au nom du ‘’Fast-track’’, concept aussi fameux que fumeux que les circonstances du moment relèguent en mode "standby" pour faire rappliquer la figure du Premier ministre, maillon utile pour tous les régimes en situation de crise, fusible commode quand le retour de la stabilité et les nécessités de la paix commandent des sacrifices.

De ce ‘’Fast-track’’, au demeurant, on n’en sait rien, sinon qu'un triptyque officiel qui peut tenir lieu de définition : une formule qui vise à "la simplicité dans l’organisation, la souplesse dans l’action et le fonctionnement et, enfin, la clarté et la lisibilité des échelles de responsabilité’’. Vous avez dit fumeux ? Bon ! Passons !

Alors, on se demande pourquoi à ce concept qui semblait bien tracer les corridors de l'émergence, version Macky Sall, celui-ci a-t-il subitement préféré le retour du Premier ministre, figure finalement plus administrative que politique, corvéable et malléable à volonté, en tout cas, s'intégrant parfaitement dans le patchwork institutionnel de la démocratie à la Sénégalaise et qui fait du président une sorte de monarque républicain, ayant tout de même besoin d'une sorte de clone dompté qui, sans lui faire ombrage,  lui sert de faire valoir dans le soin qu'il met à donner au pouvoir un visage humain, intellectuellement structuré, administrativement crédible et moralement rassurant. La réponse à cette question est peut-être déjà dans celle-ci. Pas tout à fait donc dans les conjectures évoquées depuis deux jours, à savoir l'aveu d'échec autour du ‘’Fast-track’’ qui se serait avéré inopérant, les premières esquisses d'une succession devant la difficulté d'un troisième mandat désiré, mais décrié.

Il faut croire plutôt que, prenant conscience de sa surexposition sur le front d'une opposition de plus en plus agressive, de plus en plus radicale et sur celle d'une opinion mitigée quant à ses méthodes et ses résultats, divisée en tout cas quant à la perspective d'un troisième mandat, il ait pris la décision de prendre du recul et de mettre en avant une figure loyale, technocratiquement avertie, offensive au besoin sur le front politique et apte à répondre de l'État devant l'institution parlementaire. Sous tous les régimes présidentiels, la surexposition médiatico-politique a toujours eu pour effet de nuire au président de la République qui doit répondre à tous les coups portés pour ne pas donner l'impression de consentir par le silence. Alors qu'en même temps, une telle posture désacralise la fonction et favorise tous les outrages.

En mettant en première ligne un Premier ministre, quitte à en faire le fusible privilégié de ses échecs, Macky Sall recrée stratégiquement une distance salutaire avec l'opinion, s'emmitoufle d'une espèce de brume de mystère censé redonner à son pouvoir force, distance et efficacité.

En jetant un Premier ministre dans l'arène avec les pouvoirs conséquents que lui conféreront la Constitution revisitée, le chef se met en retrait des batailles qu'il initiera immanquablement. Elles tiennent à peu de choses, mais résument assez bien l'État d'esprit de l'homme qui sait que son temps d'action est limité, mais qui entend régler ses comptes et laisser ses empreintes sur la suite  immédiate des événements politiques : réduire l'opposition à peau de chagrin en en décapitant les têtes de proue, enclencher le processus de "dauphinisation" de son logiciel politique pour couper l'herbe sous le pied à tous ceux qui  auront jusqu'ici "hystérisé" autour d'un troisième mandat et accompagner jusqu'au bout une succession voulue et non imposée.

Macky Sall sait qu'on lui a imputé, à tort ou à raison, l'accélération du délitement de la société sénégalaise amorcée sous Wade qui avait validé, par le silence, le relâchement des mœurs et la course effrénée vers l'argent, érigé en Dieu, d'un jour à l'autre. Sans parler du bradage du patrimoine national aux multinationales étrangères et de la dégradation du climat politique et qui construit ce face-à-face inquiétant entre deux Sénégal : celui du pouvoir et celui de l'opposition.

  Il sait que ces allégations peuvent tenir lieu de bilan pour ses détracteurs. Car la politique est cruelle par les injustices qu'elle induit. Et les hommes sont plus promptes à croire ce qui salit que ce qui ennoblit.

Confronté à ces évidences et aux actions qu'imposent les incertitudes politiques du moment et les aspirations de l'opinion, le président entend être de nouveau à l'initiative avant que l'accélération des événements ne le submerge et le prive de toute marge de manœuvre.

En ramenant le poste de Premier ministre, Macky Sall prend la mesure du temps, appréhende la nature des circonstances et intègre l'importance des impondérables.

Si le ‘’Fast-track’’ n'a pas apporté les "réformes transformatrices" qu'il appelait de tous ses vœux, il lui aura permis d'ouvrir les yeux sur un truisme de la science politique, à savoir que c'est la manœuvre politique qui est au centre des transformations sociales et économiques, bien plus que les "oukazes" à objectif réformateur. Et ce n'est pas rien.

 

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