Publié le 20 Feb 2021 - 04:24
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Le G5 Sahel dans l’impasse ?

 

Le Sommet élargi du G5 Sahel, qui s’est tenu en début de semaine à Ndjamena, au Tchad, a voulu indubitablement mettre l’accent sur les urgences  liées à la question sécuritaire dans la région, sur les drames humains qu’elles induisent et sur l’impasse politique qui est, en quintessence,  celle de la  problématique.

Donnant le ton, le Tchad a annoncé l’envoi de 1 200 soldats supplémentaires dans la zone dite des ‘’3 frontières’’ entre le Mali, le Niger, le Burkina Faso, en marge du sommet qui se tenait en présence du président français par visioconférence. Cette annonce venait en réponse au souhait de plus en plus exprimé par Paris, d’une ‘’sahélisation’’ de la réponse militaire aux offensives djihadistes dans la région, le gouvernement français estimant que les pays de la région devraient prendre le relais militaire et politique, à ce stade de la problématique et devant les résultats finalement peu perceptibles de son engagement sur le terrain depuis 2013. Pourtant, il est indubitable que la présence militaire française a fait sensiblement reculer la menace d’une ‘’djihadisation’’ complète de la région, avec même des incursions plus en profondeur vers le Golfe de Guinée. En 2020, la France avait renforcé ses effectifs sur le terrain, les faisant passer de 4 500 à 5 100 soldats.

Mais en dépit de ces efforts, la situation sécuritaire reste la même dans le G5 Sahel : pas un jour sans une attaque armée, une explosion de mine artisanale ou autre. Sans parler de la tragique question des déplacés qui ont franchi la barre des 2 millions. Même si, du côté français, l’on ajoute volontiers que la présence de la France sur ces territoires a permis  d’affaiblir l’Organisation de l’Etat islamique (OEI) et de neutraliser plusieurs chefs d’Al Qaida au Maghreb islamique.

Ces résultats ne suffisent, à l’évidence, pas à dissiper le dépit français et celui des autres partenaires engagés dans la lutte contre l’islamisation idéologique de la région et son corollaire criminel. Paris impute la quadrature du cercle observée non seulement aux insuffisances militaires sahéliennes tant au niveau de la formation des hommes que de leurs équipements qu’au sur-place-politique dont font montre les pays concernés. Ainsi, critique-t-elle au Mali la non-application des Accords de paix avec les rebellions du Nord, le non-retour des instituteurs et des médecins dans les régions désertées. Cette dernière problématique est au demeurant la même pour la quasi-totalité des 5 pays confrontés aux attaques soudaines et meurtrières qui ont fait partir et personnes et administrations des zones impliquées. A juste titre ?

Il est clair que le retour de l’Administration dans les territoires tchadiens, maliens, nigériens ou burkinabé qui sont régulièrement la cible des offensives décriées, est largement tributaire du règlement des préalables sécuritaires qui s’y posent. Mais, dans le même temps, cette absence de l’Etat favorise l’incursion des groupes armés, la nature ayant horreur du vide et rend difficile tout progrès politique.

C’est un peu prise dans cette impasse qui, au demeurant, lui a coûté jusqu’ici un bilan humain peu négligeable (50 soldats tués) que la France a sérieusement envisagé le retrait progressif de ses troupes pour laisser aux seuls pays du G5 Sahel la poursuite des opérations sur le terrain. Mais elle ne saurait s’y résoudre devant l’impuissance financière et militaire des Sahéliens à prendre la relève, sans mettre en péril sa propre sécurité, du fait des menaces terroristes chaque jour plus ingénieuses et plus déterminées qui pèsent sur l’Occident en général et sur la France en particulier qui en constitue la porte d’entrée. 

La ‘’trêve terroriste’’ à laquelle l’on semble assister ces derniers mois, notamment pour ce qui est des manifestations à vocation meurtrière à grande échelle, est moins imputable à la détermination des mouvements qui se meuvent toujours de l’Orient au Sahel dans un inquiétant mutisme, qu’à l’affaiblissement humain et logistique  des différents foyers d’où partent les actions.

Mais il serait dangereux de croire que la géographie sahélienne du djihadisme a été sensiblement affectée par l’affaiblissement mondial du complexe militaro-idéologico-terroriste ; elle en constitue justement la zone privilégiée de repli et porte, de ce fait, les germes d’un potentiel rebond de la terreur internationale.

C’est, à l’évidence, la raison pour laquelle le sommet de Ndjamena a souligné la nécessité, pour les pays sahéliens, de prendre en main leur sécurité. En clair, de ne pas indéfiniment s’appuyer sur une présence française qui est en réalité auto-ciblée, en ce sens que sa mission est d’abord la sécurité de la France aux portes de laquelle le Sahel déploie un immense territoire à mille inconnues…

En participant à hauteur d’un milliard de francs CFA à cet objectif, le Sénégal de Macky Sall a sans doute entendu l’urgence des requêtes française et tchadienne sur la question ; il a sans doute pris la mesure de la proximité du G5 Sahel avec ses propres frontières et celle du risque d’un délitement de la situation à plus ou moins brève échéance. En ces temps où à l’intérieur de ses propres frontières, les extrémismes sont exacerbés par maints courants populistes bénéficiant d’une audience inquiétante auprès de populations de plus en plus vulnérables, la prise en considération des alarmes exprimées n’a pas dû être sans intérêt…

Mais pour quels résultats ? Englués à l’interne dans leurs contradictions politiques et à l’externe dans leurs incohérences stratégiques, financières et matérielles, les pays du G5 Sahel continuent, depuis 2014, d’offrir au reste du monde le spectacle affligeant d’une région qui ignore ses propres périls et qui n’en perçoit la conjuration qu’à travers le prisme des inquiétudes que lui renvoie un monde qui pourrait, non sans péril aussi, s’en sentir bien éloigné.

 

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