Publié le 24 Jul 2021 - 03:21
CHRONIQUE PAR PHILIPPE D’ALMEIDA

Unanimité autour d'un diagnostic

 

Comme s'ils s'étaient entendus autour du thème de leur sermon (Khutba), la plupart des imams du Sénégal ont, semble-t-il, à la faveur des célébrations de l'Aid-El-Kebir, mercredi, posé le même diagnostic d'une société sénégalaise malade dans ses valeurs. Ce n'est pas anodin. Il faut savoir écouter à travers les différents sons émis par ces alertes, le désarroi inquiet d'une puissance morale qui s'interroge sur son efficacité et sur le destin des communautés dont elle a la charge de nourrir la conscience. Il faut savoir aussi lire entre les lignes de ces mots dits, la réalité d'un délitement périlleux pour l'ensemble de la communauté nationale.

A Thiès, l'imam de la mosquée de Moussanté a fustigé l'explosion des violences ; elles vont des plus ordinaires, commises dans la rue et qui finissent souvent sur la note sanglante d'un coup de couteau porté, à celles plus graves, exercées par des apprenants sur leurs professeurs. Celles non moins graves qui se déroulent dans les ménages et que banalisent le silence et l'acceptation. Mais le nombre de divorces à Thiès (148 entre le 1er janvier et le 30 juin 2021) témoigne d'une acceptation en recul de la brutalité mâle qui s'invite jusque dans les alcôves. "Allah aime la douceur", a rappelé l'imam Ndiour de Thiès, citant un hadith, et appelant les fidèles à renoncer à toute forme de violence et à mieux prendre en main l'éducation des enfants et la transmission de la sagesse religieuse contenue dans le Coran.

C'est, au demeurant, l'imam de la grande mosquée de Kolda sud qui insiste : "L'éducation de nos enfants doit être une priorité..."

La réalité est qu'elle ne l'est plus, depuis que, préoccupés par le seul "argent", les parents s'absentent, croisent leurs progénitures sans jamais les rencontrer. Occupés à négocier l'instant, ils ont oublié les vertus de la durée dans l'implémentation des valeurs. Encore faudrait-il qu'ils les connaissent, ces valeurs ! Que de parents n'ont jamais été eux-mêmes que des autodidactes de l'éducation !

L'imam ratib de la grande mosquée de Mbour désigne plus lucidement le mal : Il parle de l'"indiscipline notoire" qui caractérise la société sénégalaise, déplore l'anarchie qui semble être l'écueil dans lequel verse, de façon de plus en plus décomplexée, une société, en fait, en perte de repères et trouvant plus commode de ne recourir qu'à elle-même pour nourrir ses appétences, ses vices, ses instincts.

L'imam ratib, contempteur de l'irresponsabilité parentale et de la faillite de la cellule familiale, trouve là les raisons du mal et s'attriste sur la réalité d'une société de vol, de violence, de banalisation de la mort.

Alors, que faut-il faire pendant qu'il en est encore temps ? Se repentir, comme le recommande l'imam Serigne Moustapha Mbacké Ibn Serigne Abdou Khadre de la grande mosquée Massalikoul Djinaan : "Mes frères et sœurs en islam, je vous exhorte à retourner vers Dieu...", a prescrit le religieux dans un ultime recours à la conscience de son auditoire, pour conjurer le péril qui guette.

Retourner vers Dieu... En clair, retourner au respect de l'autre, de son corps, de ses biens. Retourner à l'esprit d'amour, non pas celui qui dévoie ou qui se dévoie, mais celui qui fonde tout rapport humain digne.  Retourner vers Dieu, c'est retourner à l'effort et au travail comme source d'acquisition de tout bien. C'est, enfin et surtout, placer l'homme au-dessus de l'argent et recréer, si cela est encore possible - et c'est toujours possible - une société de la fraternité et du partage, de la solidarité et de la tolérance.

Si Dieu et le Prophète sont encore les références de prédilection de notre société majoritairement musulmane, la voix des chefs religieux qui a fait entendre mercredi des accents inquiets, devrait être encore audible et être le marqueur nouveau d'un temps de conversion. Il faut l'espérer.

Bonne fête encore !

 

Section: