Publié le 14 May 2020 - 02:22
COVID-19 ET MESURES D’ALLEGEMENT

‘’Le président a su interpréter à temps les signaux’’

 

Les nouvelles mesures face à la Covid-19 tombent à pic. C’est, en tout cas, l’avis du sociologue Ismaïla Sène, qui pense qu’en leur absence, le Sénégal vivrait des émeutes sociales. Il estime que la peur et la dénonciation des mauvaises pratiques doit laisser la place à des idées positives.

 

Position face aux mesures annoncées par le chef de l'État

‘’De manière générale, j’apprécie positivement les mesures annoncées par le président. Je pense qu’elles sont bonnes et adaptées à la situation sociale et économique du moment.  Si on analyse sereinement la situation, on comprendra que ces mesures nous épargnent d’une double peine : le Covid, d’une part, et les conséquences sociales de la crise économique générées par les mesures de restriction, d’autre part. Il ne faut pas oublier que l’économie est un intrant indispensable en matière de santé.

Depuis deux mois environ, l’économie sénégalaise est à genoux, parce que le secteur informel, qui est le moteur de cette économie, est mis à rude épreuve. Au Sénégal, la majeure partie des travailleurs s’activent dans le secteur informel et ce secteur fait vivre presque 90 % de la population, selon les dernières estimations. Tout cela montre que ce secteur est une soupape de sécurité pour notre pays. C’est pourquoi j’ose dire que si le président n’avait pas allégé les mesures, une fracture sociale allait s’opérer, car des centaines de milliers de familles commençaient déjà à sombrer dans la précarité. Imaginez le scénario qui allait se dessiner dans un à deux mois, si ces nouvelles mesures n’avaient pas été prises ! Vous pensez que ces milliers de débrouillards qui n’ont ni salaire, ni assurance-chômage, ni assurance-maladie allaient accepter de se barricader durablement et s’exposer à la famine ?

Je pense que le président a su interpréter à temps les signaux. Je rappelle que des commerçants avaient déjà commencé à grincer des dents et à organiser des manifestations pour dénoncer les mesures de fermeture des marchés. On s’exposait à un effet pervers dangereux que les mesures d’allègement ont pu endiguer. En réalité, la crise économique qui attendait au bout du tunnel allait forcement secréter des émeutes, car c’est le propre des crises économiques de générer des tensions et des émeutes sociales. Or, en plus d’être une problématique sociale, les manifestations sont un bon moyen de transmettre le virus. Voilà, à mon avis, la bombe que les nouvelles mesures ont pu désamorcer.

Toutefois, pour ce qui concerne la reprise des cours, je suis d’avis que c’est une décision discutable. Il faut, bien évidemment, des mesures d’accompagnement assez efficaces et un dispositif d’alerte très élevé pour minimiser les risques que cela comporte.’’

Responsabilité et discipline des Sénégalais

‘’Je fais partie de ceux qui pensent que c’est bien possible. Le problème, c’est qu’au Sénégal, on trouve du confort à prêcher la peur et à faire dans la dénonciation. Généralement, on préfère dénoncer les mauvaises pratiques plutôt que de vulgariser les bonnes. Ce faisant, ça donne l’impression qu’on est un peuple indiscipliné et irresponsable. Mais je pense que, de manière générale, les Sénégalais sont responsables, même s’il y a des exceptions. Maintenant, c’est à chacun de s’engager de manière effective pour se préserver de la maladie, préserver sa famille ainsi que ses proches et, par ricochet, préserver la communauté. Ma conviction est qu’avec cette pandémie, même si on applique un confinement total, c’est la responsabilité individuelle qui fera la différence. Alors, à chacun de jouer à être irréprochable avant de critiquer l’autre.’’

Prédictions en termes de comportement des citoyens

‘’Il sera difficile de prédire le type de comportement qu’on aura, car le comportement est le résultat de plusieurs agrégats sociaux. Mais je pense que pour amener les gens à adopter les bonnes pratiques, le discours du président seulement ne peut pas suffire.

J’ai toujours dit que le changement social et un processus lent et conflictuel. C’est pourquoi il doit se faire à la base et grâce à l’implication des réformateurs de l’intérieur, c’est-à-dire des leaders qui présentent une légitimité communautaire. A vrai dire, pour faciliter l’appropriation des mesures de distanciation physique et des autres gestes barrières, nous dévons impliquer les ASC, les ‘’badiénou goh’’, les autorités confessionnelles, etc. Car chacune de ces catégories dispose d’une légitimité sur laquelle elle peut s’appuyer pour amorcer le changement positif. La responsabilité de la presse est également engagée. A mon avis, l’enjeu n’est plus d’informer, mais c’est d’informer de manière responsable. Enfin, les guides religieux doivent également jouer leur partition en occupant les premiers rôles auprès de leurs talibés. Ils doivent utiliser leur autorité pour communiquer avec leurs fidèles, car parmi ces derniers, il y en a qui adopteront les gestes barrières qu’à condition qu’ils soient promus par le ‘’ndigueul’’.’’ 

EMMANUELLA MARAME FAYE   

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