Publié le 2 Jun 2023 - 17:40
DÉLIBÉRÉ PROCÉS SWEET BEAUTÉ

Tout sur la décision du tribunal

 

Initialement poursuivi pour viol et menaces de mort, Ousmane Sonko a finalement été condamné à deux ans ferme pour corruption de la jeunesse.

 

La grande salle 4 du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, statuant en matière criminelle, était moins pleine que d’habitude. Comme s’ils avaient senti que les carottes étaient déjà cuites pour leur leader, beaucoup de militants que l’on avait coutume de voir en pareilles circonstances n’ont pas jugé cette fois la peine d’effectuer le déplacement. C’est donc dans une salle à moitié remplie que le président du tribunal, Issa Ndiaye, a prononcé le verdict tant attendu, après de brèves interventions des avocats de la défense, qui avaient introduit des rabats de délibéré, pour demander que le juge convoque à nouveau une audience pour permettre à la défense de se défendre. Des requêtes balayées d’un revers de main par Issa Ndiaye, après avoir entendu l’avis du ministère public.

L’air très serein, il décline sans broncher les décisions retenues contradictoirement contre Ndèye Khady Ndiaye, par contumace pour le cas d’Ousmane Sonko. Ainsi, acquitté des infractions de viol et de menaces de mort pour lesquelles il était poursuivi, Ousmane Sonko a été déclaré coupable de corruption de la jeunesse, délit prévu par l’article 324 du Code pénal. Il a été condamné pour un emprisonnement de deux ans ferme et une amende de 20 millions de francs à payer à la partie civile. Pour la propriétaire du salon de massage Sweet Beauté, la même peine a été prononcée.

Chez les partisans du leader de Pastef, la déception se lut sur les visages. Ce fut la grogne un peu partout dans la salle, sous l’œil vigilent des Gendarmes dont des éléments du Groupement d’intervention de la Gendarmerie nationale. Pour les autres, on a tourné automatiquement le dos au tribunal en signe de désapprobation, dès que la peine de 2 ans a été prononcée. Il sera d’ailleurs difficile d’entendre le reste de la décision.

‘’Tout cela n’était qu’une conspiration et nous allons poursuivre ceux qui ont été derrière’’

Pour les avocats de Sonko, il n’y a pas à chercher de midi à quatorze heures, la commande politique a été livrée par le juge Issa Ndiaye. ‘’Pendant plus de deux ans, on nous a vendu un dossier de viol, un dossier où on nous disait qu’une fille a été violée, sous la contrainte et avec des armes, par Monsieur Ousmane Sonko. Aujourd’hui, le juge nous a dit que ce n’est pas vrai. Il y a eu beaucoup de pertes en vies humaines, beaucoup de dégâts matériels, beaucoup d’espoir perdu, des familles brisées, il y a aussi eu beaucoup de déception et de chagrin… La justice a dit que tout ça accouche d’une souris. Le prétexte (viol et menaces de mort) n’étant pas fondé. Nous avons toujours dit qu’Ousmane Sonko est victime d’un complot et qu’il n’a jamais violé. Et la Justice nous a donné raison. C’est ce que l’opinion doit retenir’’, commente Maitre Bamba Cissé au nom des avocats.

De l’avis de la robe noire, ceux qu’il considère comme des ‘’comploteurs’’ ont échoué en partie. ‘’L’objectif était de salir un homme, il n’a pas été atteint. L’autre objectif était de le rendre inéligible ; cet objectif a été atteint. Avec cette peine, en l’état actuel des choses, Ousmane Sonko ne peut pas être candidat. Il faut que tout le monde le sache…’’, accuse-t-il, non sans avertir les ‘’comploteurs’’. ‘’Ce que ce verdict a montré, c’est que tout cela n’était qu’une conspiration et nous allons poursuivre ceux qui ont été derrière. Nous l’avions déjà fait, nous espérons que la Justice donnera suite à notre plainte.’’

Embouchant la même trompette, Maitre Ciré Clédor Ly déclare : ‘’Il est clair que le complot d’Etat dont nous parlions depuis le début était avéré. Et la décision rendue reste dans ce complot d’Etat. Tout un pays a été pris en otage pendant plus de 2 ans. Aujourd’hui, ce complot a été éventré, parce que la commande qui a été faite n’a pu être livrée, parce que la marchandise était pourrie. Cependant, il y a une substitution de la commande, avec une marchandise tout aussi pourrie, parce que la justice a trouvé le moyen de condamner Ousmane Sonko, pour incitation de la jeunesse à la débauche. C’est un peu technique, mais je ne vais pas m’attarder dessus. Ce qu’il est facile de comprendre, c’est que nul ne peut être jugé, sans qu’il ne soit mis en mesure de se défendre sur les éléments qui lui sont reprochés.’’

A l’instar de son collègue, il insiste sur le fait qu’Ousmane Sonko n’a jamais été poursuivi pour l’infraction sur la base de laquelle il a été condamné. ‘’Il n’a jamais été poursuivi pour cette infraction ; il n’y a jamais eu d’enquête ; ni de police ni judiciaire. Et l’ordonnance de renvoi n’a jamais visé cette infraction. Elle n’a pas non plus été débattue à l’audience. Le juge ne pouvait donc que s’en tenir à l’acquittement. Mais, il a voulu livrer une commande politique.’’

Dans les alentours du tribunal, les commentaires vont bon train. La plupart se posent des questions sur le chef retenu contre le leader de Pastef les patriotes. Selon ces commentaires, cela ne fait qu’assoir la thèse selon laquelle l’objectif était d’écarter un opposant gênant. ‘’Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger. C’est la première fois que j’entends parler d’une telle chose. Comment des relations sexuelles consenties entre des personnes majeures et vaccinées peuvent aboutir à une condamnation pénale, c’est vraiment inadmissible’’, fulmine ce sympathisant du maire de Ziguinchor. La sévérité de la sentence.

CORRUPTION DE LA JEUNESSE

Une menace pour les hommes ?

Grande découverte du public sénégalais, la corruption de la jeunesse est un délit prévu par l’article 324 du Code pénal. A son alinéa 2, la disposition prévoit : ‘’Sera punie des peines prévues au présent article, quiconque aura attenté aux mœurs en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption de la jeunesse de l’un ou l’autre sexe, au-dessous de l’âge de 21 ans, ou, même occasionnellement, des mineurs de 16 ans.’’ Sans entrer dans le détail, Maitre Ciré Clédor Ly a dénoncé la disqualification des faits qui ont mené à cette infraction. ‘’La justice, a-t-il précisé, a trouvé le moyen de condamner Ousmane Sonko, pour incitation de la jeunesse à la débauche. C’est un peu technique, mais je ne vais pas m’attarder dessus…’’

Chez les praticiens, le débat a déjà commencé autour de cette incrimination peu connue des professionnels. Et chacun y va de son commentaire. De l’avis de cet avocat, l’infraction c’est l’attentat aux mœurs et la corruption de la jeunesse ne serait qu’un élément constitutif de l’infraction, tout comme l’incitation à la débauche, ainsi que l’âge de la victime. En attendant la décision, les peines prévues sont de deux à cinq ans et d’une amende de 300 000 à 4 millions de francs. En tous les cas, certains n’ont pas manqué de caricaturer en disant que, si c’est le cas, tous les hommes sont sous la menace.

REMISE EN CAUSE DE SON AUTORITE

Un verdict revanchard

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le tribunal n’a pas été tendre avec Ousmane Sonko dans sa sentence. Il est allé au-delà même des incriminations à la base desquelles la procédure a été lancée. Le président de Pastef est-il victime de sa défiance envers une partie de l’institution judiciaire ? On serait tenté de le croire, à entendre l’avocat de la partie civile. ‘’C’est une grande victoire pour la Justice sénégalaise. Voilà une personne qui a toujours menacé les juges, qui a menacé la société, qui a menacé l’Etat et qui s’est cru au-dessus de l’Etat, au-dessus des juges et qui n’a même pas respecté la chambre criminelle, en refusant de comparaître. Jugé par contumace, il doit aller en prison pour 2 ans. Voilà la satisfaction pour moi. Permettez-moi de fêter cette victoire sur un homme qui a voulu intimider la Justice, qui a essayé d’intimider l’Etat, qui a menacé de détruire le pays, si on le condamne. Aujourd’hui, il a été condamné pour 2 ans de prison ferme’’, a-t-il souligné.

Il faut rappeler que depuis l’éclatement de cette affaire, le président de Pastef les patriotes n’a jamais épargné certains magistrats, notamment ceux du parquet et certains juges. Le maire de Ziguinchor a même catégoriquement refusé de répondre à la convocation de la chambre criminelle, pour protester, disait-il, contre la violation de ses droits.

REFORME DE LA JUSTICE

L’Etat paie cash son refus

Pour beaucoup d’observateurs, si les choses en sont arrivées à ce stade, c’est surtout à cause de la faillite de la Justice. Ces dernières années, l’institution judiciaire a souvent été utilisée pour écarter des opposants politiques. Dans l’affaire Karim Wade par exemple, malgré une décision favorable prononcée par les magistrats locaux, l’Etat du Sénégal a été débouté partout dans le monde. Dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall également, le régime du Président Sall a été accusé d’avoir utilisé la justice pour combattre un adversaire, coupable de s’être conformé une pratique en cours à la ville de Dakar depuis des décennies et qui n’a jamais soulevé de problèmes. Pendant ce temps, la plupart des accusations contre les tenants du régime sont placées sous le coude.

Dernièrement, sous le magistère du président Souleymane Téliko, les magistrats se sont beaucoup battus pour plus d’indépendance de la magistrature. A ce jour, quand on parle de caporalisation de la Justice, le principal argument c’est le contrôle presque absolu du chef de l’Exécutif sur la carrière des magistrats. A un moment, le président de la République avait mis en place une commission dont la présidence a été confiée au professeur Isaac Yankhoba Ndiaye. Mais les conclusions sont à ce jour dans les tiroirs du Palais de la République.

Aujourd’hui, tenant compte de cette mainmise de l’Exécutif sur le Judiciaire, ils sont nombreux les politiciens à crier systématiquement à l’instrumentalisation de la Justice, parfois à raison, parfois à tort. Le pire, c’est que le régime semble se satisfaire de l’existant et ne mène aucune initiative pour un restaurer la confiance des Sénégalais envers leur Justice.

MANDAT D’ARRET

Le parquet est juge de l’opportunité de l’arrestation

Selon ce magistrat, il n’a vu nulle part dans le Code quelque part où il est dit que le juge doit décerner obligatoirement un mandat. ‘’Je n'ai vu nulle part de dispositions expresses pour dire que le juge est obligé de lancer un mandat. Vous pouvez voir les articles 218 et suivants du Code de procédure pénale...’’ Selon lui, l'exécution des sentences est du ressort du parquet. ‘’Celui-ci, insiste le magistrat, pourrait le faire sur la base de la décision devenue définitive... Voir 678 CPP...’’ De l’avis du magistrat, le parquet juge souverainement de l’opportunité d’appliquer la peine ou pas. Il en résulte que l’arrestation ou non d’Ousmane Sonko et de Ndèye Khady Ndiaye dépend du bon vouloir du parquet.

Serait-un moyen de négociation avec le président de Pastef ? Seul l’avenir le dira. En attendant, même Ndèye Khady Ndiaye qui a été au tribunal au moment du prononcé de la décision a pu rentrer tranquillement sans être inquiétée. Il faut souligner qu’ils sont nombreux à considérer que, quand le juge prononce une peine d’emprisonnement ferme, la personne doit obligatoirement être mise en prison. Et que si la personne a comparu libre, mandat d’arrêt doit être décerné.

Si Sonko, condamné par contumace, venait à être arrêté, il serait rejugé dans un délai de 5 jours.

MOR AMAR

 

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