Publié le 3 May 2020 - 05:49
DR IDRISSA TALLA (ÉPIDÉMIOLOGISTE)

“Je reste convaincu qu’un confinement total de 15 jours aurait été plus bénéfique...’’

 

Ancien patron de la DLM (Direction de la lutte contre la maladie), Dr Idrissa Talla met, cependant, en garde contre toutes mesures précipitées de levée du semi-confinement.

 

De plus en plus, des voix s’élèvent pour un ‘’déconfinement’’ de l’économie. Qu’en pensez-vous ?

En effet, la mode est au déconfinement. Partout dans les pays occidentaux, des scénarios sont en construction et/ou en application pour ‘’libérer’’ les populations et aussi l’économie - si j’ose dire. Il faut rappeler d’abord que la transmission de la maladie est liée aux déplacements des hommes et le virus, comme il a été démontré à suffisance, passe de l’homme malade ou porteur sain vers un autre homme sain. Le brassage et les mouvements ainsi que les habitudes socioculturelles favorisent grandement cette transmission.

Par conséquent, il est aisé d’admettre que moins les populations se déplacent, moins le virus sera transmis. Une étude basée sur la modélisation et faite en France et publiée le 22 avril par des épidémiologistes de l’Ecole des hautes études en santé publique, montre que le confinement en France a permis d’éviter 60 000 morts en 1 mois, 670 000 hospitalisations dont 140 000 cas graves. Ces résultats enterrent définitivement l’idée qu’on aurait pu laisser le virus se propager, en se disant : ‘’Une fois qu’on l’aura tous eu, on sera débarrassé.’’ Il ne faut pas oublier que ce virus n’a pas encore de vaccin, ni traitement homologué à ce stade.

Et au Sénégal ?

Naturellement, au Sénégal, le confinement pose des problèmes. Mais d’abord, il faut savoir que le type d’habitat le plus répandu ne permet pas de maintenir les habitants dans des maisons chaudes et souvent mal construites avec une moyenne de 10 personnes par concession. Ce qui explique d’ailleurs qu’en temps normal, les rues et les devantures des maisons sont remplies de monde. Tout le monde est dehors ! Nous savons également que le niveau de pauvreté est élevé et beaucoup de chefs de famille sont obligés d’aller tous les jours chercher la dépense du soir ou du lendemain pour leur progéniture. Ceci explique, en grande partie, pourquoi les autorités ont choisi le semi-confinement et surtout l’aide alimentaire aux nécessiteux. Si ce semi-confinement continue, c’est clair que la situation sera, sur le plan économique, de plus en plus difficile, surtout que l’économie informelle représente plus de 40 % de notre PIB. Je reste cependant convaincu qu’un confinement total de 15 jours aurait été plus bénéfique, même si l’on ne sait pas le nombre de malades qui ont pu être évités avec le schéma actuel. Il faut noter qu’il peut être calculé, malgré tout.

Le confinement des contacts dans les hôtels coûte beaucoup d’argent aux finances publiques. Est-ce une mesure indispensable ?

Il faut noter que le confinement dans les hôtels n’est pas du tout une villégiature. C’est même très contraignant, voire frustrant, dans certains cas, malgré son coût. Le problème est que nous n’avons pas le niveau de discipline de certains pays asiatiques et l’auto-confinement ne fonctionnera pas, surtout quand des nécessités vitales se posent (travailler tous les jours pour manger tous les jours).

Par conséquent, la seule alternative qui se présente, de mon point de vue, est l’utilisation des hôtels ou d’autres édifices. Cependant, je pense qu’il faut apporter aux mis en quarantaine un soutien psychologique et communiquer davantage avec les communautés pour éviter la stigmatisation qui accompagne cette situation. Les conditions de confinement doivent être encadrées et les personnes présentant d’autres pathologies mieux traitées pendant ce séjour.

Il y a aussi la question de la prise en charge des cas simples. Avec le nombre réduit de lits, cette hospitalisation est-elle la meilleure solution ?

La prise en charge des cas dits simples nécessite, selon mon avis, une hospitalisation, car celle-ci permet d’intervenir en cas d’urgence, car la maladie nous a réservé beaucoup de surprises désagréables. L’hospitalisation permet également de limiter la transmission, car c’est une sorte de confinement. Nous ne pouvons pas dire que seules les personnes présentant des comorbidités devraient être hospitalisées, puisqu’on a vu des cas chez des jeunes personnes (même si c’est rare) présentant des formes graves. Le nombre de lits disponibles est certes limité, mais il faut prendre davantage d’initiatives.

Mor Amar

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