Publié le 15 Jun 2020 - 04:35
DR MACTAR FAYE (DIRECTEUR EXECUTIF ASSOCIATION DES ASSUREURS DU SENEGAL)

‘’Une pandémie constitue un risque atypique, voire "inassurable’"

 

La crise sanitaire de Covid-19 a impacté tous les secteurs d’activité de la vie économique et sociale des pays du monde et de l’Afrique. Au Sénégal, les mesures de confinement ont paralysé le transport, la restauration, le commerce, etc. Interpellé sur le rôle que peuvent jouer les sociétés d’assurances en cette période crise, le directeur exécutif de l’Association des assureurs du Sénégal (AAS) Dr Mactar Faye, précise qu’au niveau national, la diminution de la prime n’est pas prévue, en cas d’évènement extérieur du contrat d’assurance.

 

La pandémie de Covid-19 a fait naître un désaccord en France, entre les assureurs et les clients, notamment les gestionnaires de restaurant pour le remboursement d’une partie de leurs primes. Dans le secteur des assurances, que prévoient les textes face à de tels aléas ?

La pandémie de Covid-19 touche tout le monde, partout et en même temps. Elle a fortement perturbé le monde des entreprises. Depuis la propagation de cette pandémie, tous les regards sont tournés vers les assureurs, avec comme principale interrogation la question de savoir si ce risque est suffisamment couvert par les polices d’assurance contractées. D’autres vont jusqu’à demander un remboursement de leur prime d’assurance, du fait de la baisse de leurs activités. En France, il est prévu, dans le Code des assurances, que l’assuré a droit, en cas de diminution du risque en cours de contrat, à une diminution du montant de la prime. Au Sénégal, la diminution de la prime n’est pas prévue, en cas d’évènement extérieur au contrat. Mais il est possible que l’assuré puisse demander à sa compagnie un report d’échéances, dans la mesure où une situation l’empêcherait d’exercer son activité.

Pour les restaurants, les pertes d'exploitation subies durant la crise sanitaire ont été liées, pour une large part, à la fermeture décidée par le gouvernement, mais aussi au confinement des populations. Il n’y a quasiment pas de restaurants ou d’hôtels assurés contre la perte d’exploitation consécutive à une pandémie. Cette dernière constitue un risque atypique, voire "inassurable" pour les assureurs. Elle dépasse le périmètre d’intervention des assureurs en général et particulièrement de ceux du Sénégal. L’assureur peut se montrer, certes, très sensible face à une demande de remboursement d’une partie de la prime déjà payée par l’assuré, mais il n’est pas dans l’obligation légale de le faire. S’il devait y avoir un remboursement de la prime d’assurance, elle ne pourrait se concevoir que pour l’avenir et non de manière rétroactive. Cela voudra dire que la réduction de prime ne se fera qu’au moment du renouvellement de la police d’assurance de l’assuré, dans le cadre d’une concertation commerciale.

Quels sont concrètement les risques qui sont généralement couverts par les services d’assurance au Sénégal ?

Il existe deux types de sociétés d’assurance ; celles qui couvrent les risques regroupés sous le vocable IARDT : (Incendie, Accidents, Risques Divers et Transport) ; celles qui couvent les risques dont la réalisation dépend de la durée de la vie humaine, on parle d’assurance vie. Dans le contexte de la pandémie de la Covid-19, l’objet de toutes les tensions s’oriente surtout vers les assurances santé, vie et pertes d’exploitation. Il faut noter que les garanties pertes d’exploitation couvrent les pertes financières dues à l’arrêt de l’activité d’une entreprise, du fait d’un sinistre ayant causé des dommages matériels tels que l’incendie, le bris de machines, les dégâts des eaux, etc. Ce qui n’est pas le cas de la pandémie de Covid-19. Il n’existe pas, aujourd’hui, de solution assurantielle sur les pertes d’exploitation non consécutives à des dommages matériels, sauf stipulation expresse. Celles-ci ne font pas partie des risques couverts par une grande majorité des contrats d’assurance des entreprises.

Dans le domaine de l'assurance "Santé", les épidémies et les pandémies sont généralement exclues des garanties, ce qui signifie qu’il n’y a pas de couverture. S’agissant de l'assurance ‘’Vie’’, la plupart des compagnies excluent le risque de décès en cas de pandémie. Toutefois, si aucune exclusion n’est prévue dans le contrat, tout décès qui surviendrait dans le cadre d’une pandémie devrait être couvert et le capital prévu versé aux ayants droit.  Les polices d'assurance sur la vie déjà en vigueur, n’excluant pas de manière formelle les cas de pandémie comme celle de Covid-19, devraient s'appliquer en cas de décès. C’est-à-dire que le ou les bénéficiaires recevront quand même la prestation.

Vu que certains clients tels que les restaurants, les acteurs du transport sont restés presque 3 mois sans travailler, peut-on dire qu’il y a un risque zéro pour une assurance ?

La pandémie de Covid-19 qui frappe actuellement le pays, a fortement freiné de nombreux secteurs d’activité dont le transport, l’hôtellerie et les restaurants. Tout dépend des risques souscrits, selon le type d’activité exercée. On a beaucoup parlé de pertes d’exploitation pour les hôtels et les restaurants. Il convient simplement de bien exploiter le contenu du contrat qui fixe clairement les conditions de garantie.

Est-ce qu’ils ont la possibilité de bénéficier d’un remboursement d’une partie de leur prime, sachant qu’ils n’ont pas travaillé durant cette période ?

C’est comme qui dirait j’ai souscrit une assurance pour ma voiture et je n’ai commis aucun accident toute l’année, on doit me rembourser ma prime. Non, cela ne se passe pas aussi simplement. En revanche, l’assuré averti pourrait procéder à une suspension de son assurance, en cas d’immobilisation prolongée et demander le remboursement de la partie non courue de la prime. Toutefois, s’agissant du transport terrestre, nous avons enregistré une nette baisse des accidents de la circulation. Un bonus pourrait être appliqué sur la prochaine prime, en fonction du gain de l’assureur qui dépend, bien entendu, du montant des sinistres payés par rapport à la prime perçue.

Pouvez-vous revenir sur le rôle fondamental d’une assurance ?

L’assurance est une société de services. Elle intervient à plusieurs niveaux : d’abord, les assureurs ont pour rôle de sécuriser la vie des entreprises et des individus, face aux aléas.  Elle joue un rôle important dans l’économie, en fiabilisant les relations commerciales et en favorisant l’investissement. Les sociétés d’assurance sont des investisseurs institutionnels. En effet, elles ont à leur disposition une masse d’argent constituée des primes des assurés. Elles doivent donc gérer ces sommes pour le compte des assurés et parfois pendant un temps assez long. Les sociétés d’assurances ont donc une énorme capacité de financement de l’économie nationale, par les placements qu’elles doivent faire. L’assurance joue également un rôle social. Les prestations versées aux assurés et aux bénéficiaires des contrats leur permettent de maintenir leurs revenus, de ne pas être à la charge de la collectivité publique pour les victimes d’accidents et de sauvegarder des emplois, des compétences.

Qu’est-ce qui justifie le fait que le prix d’un même service d’assurance soit différent d’une agence à une autre ?

Cette différence peut être liée à beaucoup d’éléments dont certains sont objectifs tels que l’étendue des garanties couvertes ou une bonne connaissance du risque couvert peut justifier une baisse de primes. D’autres, malheureusement, ne reposent que sur la course au chiffre d’affaires : aucune démarche technique ne prévaut à la souscription du contrat. Dans la plupart des cas, le dumping est érigé en règle de tarification.   

MARIAMA DIEME

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