Publié le 20 Sep 2022 - 13:50
ESPAGNE

La danse des non-dits

 

Parti d’une polémique liée aux célébrations dansantes de Vinícius Júnior, le derby de Madrid s’est retrouvé dans un tournant beaucoup moins trivial, lorsque le Brésilien est devenu la cible d’insultes racistes de la part des supporters de l’Atlético. De quoi faire souffler un vent d’indignation en Espagne, pris à son propre piège de surmédiatisation.

 

Au coup de sifflet final du Derbi madrileño ce dimanche soir (victoire du Real Madrid 1-2), les huées ont traversé les tribunes du Civitas Metropolitano. Entre frustration de la défaite et détestation du rival, les supporters de l’Atlético s’en sont surtout donné à cœur joie pour tancer Vinícius Júnior, victime, malgré lui, d’une polémique mêlant recadrage autoritaire et relents de racisme exacerbé.

Triste, mais habituel

Pour comprendre ce qui est d’abord reproché à l’Auriverde, il faut remonter au vendredi 16 septembre dernier. Présent au micro de la Movistar en avant-match, Koke, capitaine de l’Atlético, est interrogé sur les danses parfois provocantes de Vini, notamment lors du dernier succès merengue, contre Majorque (4-1) : « S’il marque un but et qu’il décide de le célébrer en dansant, c’est sa décision. Chacun a sa façon d’être, et célèbre les buts comme il le souhaite [...] Après, s’il fait cela devant nos supporters, au Wanda, il risque d’y avoir des problèmes, c’est certain. Et c’est même un peu normal. » Une réponse correcte, qu’Álvaro Morata est venu compléter dans la foulée : « Vinícius est un bon gars, qui n’a absolument pas l’intention d’offenser les gens. Et puis, chacun célèbre ses buts comme il veut, tant que c’est respectueux envers nous, les joueurs, et nos fans. » Rien à redire, jusqu’à l’emballement médiatique. Caractéristique en Espagne.

Les propos de Koke sont en effet repris sur l’ensemble des sphères ibériques, sortis de leur contexte et rapidement transformés en une mise en garde directe envoyée à Vinícius Júnior. L’effet domino des réseaux sociaux n’aidant pas, la polémique enfle et vrille dans El Chiringuito : « Koke a raison ! Vinícius doit respecter les autres. S’il veut danser la samba, qu’il aille au sambodrome. Sur un terrain de football, il doit respecter les adversaires et ne pas faire le macaque. » Signées Pedro Bravo, agent de joueurs et président de l’Association nationale des agents de joueurs en Espagne (AEAF), ces quelques phrases finissent de transformer l’imbroglio en discours intolérable.

Marionnette et animalisation

Soutenu par ses compatriotes (Pelé, Neymar ou encore le Barcelonais Raphinha) et d’autres acteurs du football, Vinícius Júnior s’est chargé de prendre la parole via un communiqué de circonstance : « En une seule déclaration, j'ai été victime de tout ce que peut comporter la xénophobie et le racisme. Si je danse quand je marque, c’est pour exprimer ma joie et célébrer la diversité culturelle du monde. Maintenant, que vous acceptiez, respectiez ou, au contraire, détestiez cela, moi, je ne vais pas m'arrêter. » Une réplique logique, qui n’atténue pourtant pas la bêtise de certains supporters de l’Atlético, désireux de se servir de l’affaire comme tremplin pour leur idéologie extrémiste. À quelques heures du coup d’envoi, devant la tribune sud du Metropolitano, les « ¡ Vinícius eres un mono, eres un mono ! » ( « Vinícius espèce de singe ! » ) en VF) ont ainsi été scandés à gorge déployée par une lamentable frange du club colchonero, quand d’autres exhibaient une marionnette aux allures de primate, habillée d’une tunique du Real Madrid.

Un triste retour en arrière pour les aficionados rojiblancos, souvent catalogués en raison de leur proximité solide avec les branches de l’extrême droite espagnole. Le Frente Atlético, groupe ultra dissous en 2014, a effectivement longtemps fait parler de lui pour de sombres raisons, allant jusqu’à assassiner Aitor Zabaleta et « Jimmy » , respectivement supporters de la Real Sociedad et du Deportivo La Corogne, étiquetés à gauche. Malgré sa dissolution, certains membres du groupe continuent pourtant de garnir les tribunes de l’enceinte, laissant entrevoir, ça et là, drapeaux confédérés ou autres symboles tendancieux. La goutte de trop, pour une presse consciente d’avoir bourré le juke-box avec les mauvaises pièces.

Pedro Bravo en tête : « Je tiens à m’excuser pour ce que j’ai dit, a précisé l’agent dans un communiqué. Ma remarque n’avait aucun fondement raciste et ne visait aucunement la personne de Vinícius Junior. Quand je parlais de "macaque", je faisais référence à la notion de "fou", pas d’animalisation. » Même son de cloche du côté de Josep Pedrerol, présentateur d’El Chiringuito : « Pedro Bravo a demandé pardon, et je le demande aussi. Chers téléspectateurs, si cette affaire vous a offensés, je m'en excuse platement. Si vous êtes une personne noire, je m'en excuse. Si vous êtes une personne blanche, je m'en excuse. Le plus regrettable étant évidemment que Vinícius Junior ait été personnellement touché. Mais je tiens à lui dire une chose : l’Espagne n’est pas un pays raciste. Il y a des charognards, c’est vrai, mais en aucun cas nous ne partageons leurs valeurs. Et à ce titre, je m’excuse au nom de la presse locale, car nous n’avons pas fait correctement notre travail en faisant gonfler la polémique. » Au même titre que ses voisins européens, l’Espagne n’a donc pas échappé aux affres du football et de sa bêtise. L’indignation suscitée aura heureusement été à la hauteur de la polémique, comme pour rappeler que le bien finit souvent par l’emporter. Pour le plus grand bonheur des amoureux du jeu, Vinícius Junior en tête.

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