Quand les «fous» filent du bon coton
Et de quatre pour les patients du pavillon France de l’hôpital Principal de Dakar. Depuis 2006, ils participent à la biennale de l’art contemporain africain. Cette année également, ils sont au rendez-vous dans l'exposition ‘’Off’’ qui donne de l’étoffe à leur thérapie.
Différents objets faits à partir de fils en coton sont exposés dans l’une des salles du pavillon France de l’hôpital militaire Principal. Ils sont des œuvres des patients admis en psychiatrie. «Le fil dans tous ses états», est le titre de cette exposition qui entre dans le cadre du Off de la Biennale de Dakar. Avec des boutons, des boubous, du tissu batik entre autres, les malades illustrent leurs talents cachés. Rien ne leur a été imposé. Ils y sont allés de leur imagination propre. Une belle expérience pour l’artiste plasticienne Félicité Codjo qui les a encadrés pour ce travail. «Les ateliers étaient animés. On en voyait qui se lançaient des vannes entre eux», raconte-t-elle. C’était l’un des objectifs de ces ateliers. «On a cherché à conjuguer la peinture et la couture pour permettre aux patients de laisser libre cours à leur imagination mais aussi pour créer un lien entre eux», a informé leur encadreur.
En outre, «il y en a qui ont présenté des travaux pleins de fantaisie», a-t-elle dit mercredi lors du vernissage de cette exposition. Un des tableaux accrochés s’inscrit dans ce lot de travail fantaisiste. Le patient a travaillé sur du tissu batik avec des boutons et toujours du fil en coton. Il s’est amusé à coudre les boutons sur le tissu avec des bouts de fils débordés sur chaque bouton cousu. Cela peut sembler désordonné dans l’imagination, mais c'est finalement beau et captivant dans la réalité.
Dans les ateliers, en plus d'une imagination débridée, les patients ont laissé parler leurs sensations. «Un jour en travaillant, il y a eu une patiente qui pleurait. C'était peut-être dû à des souvenirs, bons ou mauvais», tente d'expliquer Félicité. Dans des situations pareilles, a ajouté l'artiste, «on soulage et on soutient.»
L’art comme thérapie et antidépresseur
«Le fil est comme un conducteur. Du travail de ces patients, sont ressorties des choses», a dit le chef du service de psychiatrie de Principal, Tabara Sylla. «Le premier apport est que les personnes admises en psychiatrie sont considérées comme des gens pas intelligents et qui ne savent rien faire. Cette image est fausse», s’est-elle offusquée. Tout au contraire, elle dit n’avoir jamais vu des personnes aussi «sensibles» et «observatrices» que ces patients. Aussi, note Dr. Sylla, «certains utilisent l’art pour extérioriser leurs souffrances, peines ou joies». Pour quelqu'un que la société en règle générale considère comme «fou», recevoir des félicitations est plutôt réconfortant sur le chemin de la thérapie. Ce qui fait dire à la psychiatre : «Cela vaut des antidépresseurs même s’ils ne les remplacent pas.»
Dans ce contexte-là, l’art est vu comme une thérapie. C'est la raison pour laquelle l’association «Nit, nit mooy garabam» (NDLR : l'homme est le remède de l'homme) a initié depuis 2004 à l’hôpital Principal des séances de travail artistique. Depuis 2006, les patients du pavillon France exposent en Off pour le Dak’art.
BIGUÉ BOB