Publié le 10 May 2020 - 02:56
FACE A LA CRISE DU CORONAVIRUS

Bouchers et chevillards dans le dur 

 

Dans la boucherie, l’on n’échappe pas aux conséquences du ralentissement de l’économie imposé depuis deux mois par la pandémie de Covid-19. Et la crise maintien une incertitude totale sur l’habituelle période de bonnes affaires que constitue la fête de Korité, prévue dans deux semaines.

 

Cela fait 4 ans Pape Bara Gningue et son ami Nouri, un Turc vivant au Sénégal, conduisent leur business sur la commercialisation de viande. Celui-ci finance l’achat de moutons ou de bœufs, alors que le premier trouve des clients pour écouler les produits. Mais cette belle routine a été mise à rude épreuve par la pandémie du coronavirus qui sévit au Sénégal depuis le 2 mars 2020. Comme la majorité des secteurs économiques du pays, la filière viande est négativement affectée par le ralentissement de l’activité économique imposé par la Covid-19, même si certains acteurs parviennent à limiter la casse.

Pour les deux associés de Fraiche Viande, la chanson est la même. ‘’On essaye de s’en sortir comme on peut, mais c’est difficile. Normalement, nous livrons jusqu’à 15 commandes par jour. Maintenant, on se retrouve avec 5 ou 7 au mieux’’, se lamente Pape Bara. Pouvoir encore travailler pendant la crise est un petit luxe qu’ils peuvent se permettre, malgré la réduction de leur chiffre d’affaires, grâce à leur façon d’opérer. ‘’Nous avons l’habitude de livrer à nos clients, par voiture ou en moto. Donc, sur ce côté, on n’est pas trop impacté’’, explique encore Pape Bara. Le hic, ajoute-t-il, se trouve sur les commandes en soirée, car ‘’on peut avoir une commande à 18 h et ne pas pouvoir être dans les délais pour livrer et rentrer avant l’heure du couvre-feu’’. 

La livraison étant l’un des rares domaines qui permet de profiter du confinement d’une bonne partie de la population, ils ont su limiter leur manque à gagner et garder un minimum d’activité. De la même manière que la crise les touche, elle affecte leur clientèle, réduisant les achats. Malgré la perte des commandes d’hôteliers et de restaurateurs, ils se rabattent sur leurs clients particuliers.

Cependant, tout le monde n’a pas autant de réussite. A l’image des bouchers qui occupent des lieux fixes. Dans sa Boucherie de l’Excellence, à Liberté 6, Kader Sèye peine à joindre les deux bouts. Sa réalité, il la résume de manière très simple : ‘’Nous tenons des commerces et la Covid-19 est venu couper tous les liens que nous entretenions avec nos clients. Comme les autorités demandent aux citoyens de rester chez eux, les gens ont peur de sortir. J’ai pratiquement arrêté de travailler. Je parviens à peine à maintenir le tiers de mes activités.’’ Obligé de fermer sa boutique, faute de pouvoir faire face aux charges, il essaye tant bien que mal de s’adapter en travaillant sur commande. ‘’Le peu de travail que je parviens à maintenir, je le fais à partir de chez moi’’, déplore-t-il. Résultat : ses deux employés ont été mis au chômage technique.

‘’Comment les Sénégalais vont fêter la Korité ? Personne ne le sait !’’

Comme avec l’écoulement de la viande, Kader éprouve des problèmes pour s’approvisionner. A la Société de gestion des abattoirs du Sénégal (Sogas, ex-Seras) où il se ravitaille, le temps de travail a été réduit. Pour éviter le regroupement de personnes, la société ne fonctionne qu’entre 8 h et 12 h. Ce qui impact la distribution de la viande dans tout Dakar. Mais pour Mme Fall, Secrétaire général à la Sogas, le réaménagement n’a pas beaucoup d’impact sur le travail effectué. ‘’Nous avons réduit le temps de présence pour que les gens ne se retrouvent pas trop longtemps au niveau des abattoirs. C’est juste l’organisation qui a changé. Sinon, le travail reste le même et n’a pas trop changé. On agit juste au niveau du contrôle pour dire si la viande est bonne ou non à la consommation. Le reste, c’est au niveau des bouchers et des chevillards qui assurent la distribution pour les consommateurs. La demande est toujours satisfaite’’, assure-t-elle. 

A deux semaines de la célébration de fin du ramadan, le flou total règne sur le marché de la viande. La production trouvera-t-elle preneur ? Ou se dirige-t-on vers une pénurie ? Pour Kader, ‘’on ne peut pas prévoir l’attitude des clients. Avec le semi-confinement, l’on ne sait pas à quoi s’attendre. Les populations étaient habituées à sortir en masse, à la fin du ramadan, et acheter de la viande. Mais avec la pandémie, nous sommes dans l’incertitude. Comment les Sénégalais vont fêter la Korité ? Personne ne le sait !’’.

Des interrogations que ses confrères de Fraiche Viande partagent. Si, pour Pape Bara, des problèmes d’approvisionnement peuvent être évités, puisque le marché reste bien fourni, il demeure tout de même une inquiétude : ‘’J’ai simplement peur que certains spéculateurs profitent de la situation pour augmenter les prix.’’

Lamine Diouf

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