Publié le 12 Jun 2019 - 23:49
FALLOU MBOW FALL (DR ADJ COMMERCE EXTERIEUR) SUR LA ZLECAF

‘’Il y a des instruments juridiques qu’on peut déclencher, lorsque la libéralisation va causer des difficultés à nos entreprises’’

 

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) sera lancée dans un mois, après son entrée en vigueur le 30 mai dernier. Dans cette interview accordée à ‘’EnQuête’’, le directeur adjoint du Commerce extérieur et négociateur en chef suppléant de la Zlecaf pour le Sénégal,  Fallou Mbow Fall, revient sur ce qui a été fait jusque-là pour la mise en œuvre de ce processus d’intégration commerciale, mais aussi les défis auxquels l’Union africaine fait face dans l’établissement d’un marché commun intra-africain.

 

La Zlecaf est officiellement entrée en vigueur depuis le 30 mai dernier. Qu’est-ce que cela signifie pour l’intégration régionale des pays africains ?

La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) est entrée en vigueur à la suite du dépôt du 22e instrument de ratification par la Gambie. Ce qui signifie, d’abord, un approfondissement du processus d’intégration commerciale régionale en Afrique. C’est aussi le franchissement d’une des phases pour parvenir à la Communauté économique régionale africaine. Avec la Zlecaf, on s’achemine encore vers l’Union douanière ou le marché commun. Qui sont des phases prévues pour la réalisation de la Communauté économique africaine.

Je tiens à rappeler que l’objectif général de la Zlecaf était de parvenir à un accord commercial global et mutuellement bénéfique entre les Etats membres de l’Union africaine.

Donc, c’est un pas vers le renforcement du processus d’intégration régionale africaine, de la compétitivité et du potentiel de commerce interafricain.

Certaines grandes économies comme le Nigeria, l’Érythrée et aussi le Bénin n’adhérent pas à l’initiative. Est-ce que cela ne constitue pas un handicap ?

Non, ce n’est pas un grand handicap. Parce que la Zlecaf, c’est 55 Etats. Il y a ces trois pays qui n’ont pas encore signé l’accord. Je viens juste d’une réunion du 8e Congrès des hauts fonctionnaires et ministres de l’Ua qui s’est déroulé du 3 au 8 juin derniers. Je sais que le Nigeria et le Bénin, qui partagent avec nous la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), sont en train de prendre des dispositions pour la signature de l’accord. Pour le Bénin, une délégation dirigée par leur ministre des Finances et celui du Commerce était présente à cette rencontre. Ce qui montre comment ils sont disposés à faire des efforts pour la finalisation de leur adhésion.

Il faut rappeler qu’une fois que la phase opérationnelle sera lancée le 7 juillet à l’occasion du sommet de Niamey, il y aura beaucoup d’activités post-lancement. Et une d’entre elles, c’est des campagnes de sensibilisation et de ratification que doit faire l’Ua vers ces Etats qui n’ont pas encore signé. Mais le Nigeria et le Bénin vont signer l’accord, le ratifier et déposer leurs instruments de ratification.

Ces Etats n’ont aucun intérêt à rester derrière. D’autant plus que pour le Nigeria et le Bénin - qui sont en Afrique de l’Ouest - s’ils n’adhèrent pas à l’accord, cela va poser des problèmes au processus d’intégration sous-régionale. Il y a des engagements que les Etats de l’Afrique de l’Ouest ont pris, dans le cadre de la libéralisation et surtout la libéralisation tarifaire qui va se faire de manière commune. Ce qui veut dire que ces Etats sont forcément concernés par le processus de libéralisation, dans le cadre de la Zlecaf.

Et quels sont les points qui ont été évoqués lors de la dernière réunion d’Addis-Abeba à laquelle vous avez assisté ?

Au fait, au niveau de la Zlecaf, il y a des institutions de négociation. Elles sont à trois niveaux. Il y a des négociateurs en chef, qui se sont réunis du 30 mai au 1er juin et c’était leur 15e réunion. Cette rencontre est suivie par celle des hauts fonctionnaires du 3 au 5 juin et la 8e réunion des ministres du 7 au 8 juin. Il y a eu des avancées lors de ces rencontres sur les quelques questions en suspens. Mais il y a deux aspects très importants dans la libéralisation tarifaire, notamment le calendrier de libéralisation et la question des règles d’origine. Ce sont quelques aspects sur le commerce des marchandises qui doivent faire encore l’objet de travaux. Parce qu’il est prévu, avant le lancement, une autre réunion qui va se tenir à Niamey. Ce sera la 16e réunion des négociateurs en chef et la 9e réunion des hauts fonctionnaires et des ministres, du 24 juin au 2 juillet prochains.

Donc, jusque-là, des accords ne sont pas encore trouvés par rapport aux règles d’origine et à la libéralisation ?

Pour la question des règles d’origine, il y a des avancées considérables. Parce que 90 % des règles d’origine de la Zlecaf ont fait l’objet d’un consensus. Pour le calendrier de démantèlement tarifaire, le seul problème se situe au niveau de la libéralisation que les pays devront faire lorsqu’ils sont dans une union douanière. Et là, c’est le véritable problème. Parce que les modalités de libéralisation tarifaire qui ont été adoptées font une distinction entre le calendrier de libéralisation des pays en développement et celui des pays moins avancés (Pma). En principe, les pays les moyens avancés devraient libéraliser sur une période de 10 ans. Et celle-ci va concerner 90 % des lignes tarifaires. Ces pays-là devront également libéraliser, sur une période de 13 ans, les produits considérés comme sensibles, qui vont représenter 7 % des lignes tarifaires.

Pour les pays en développement, ils ont une période de libéralisation plus courte. C’est 5 ans pour les produits représentants 90 % des lignes tarifaires et de 10 ans pour les produits sensibles. Le problème, c’est que lorsque les pays sont dans une union douanière, ils devraient faire une période de libéralisation identique. Et dans cette union, s’il y a des pays en développement et des Pma - c’est le cas de la Cedeao - il y aura des problèmes.

C’est là où nous sommes actuellement pour le calendrier de libéralisation. Parce qu’il y a certains pays qui disent qu’on doit faire une libéralisation différenciée dans une union douanière. Mais cela risque de bloquer le processus d’intégration dans ces communautés économiques régionales (Cer).

Ce sont les deux questions sur le commerce des marchandises qui causent énormément de problèmes. Peut-être lors de la prochaine réunion, il y aura certainement des avancées.

Sans l’aboutissement de ces questions, est-ce que le calendrier de lancement de la première phase opérationnelle sera respecté ?

Oui. Il y aura des livrables qui seront lancés, notamment le Mécanisme de surveillance et d’établissement des barrières tarifaires. Il y aura aussi un Observatoire africain du commerce de l’Ua qui sera également lancé à Niamey, de même que la Plateforme panafricaine de paiement et de règlement. A part ces trois instruments, ils vont également lancer l’adoption des règles d’origine qui vont faire l’objet d’un consensus. L’offre tarifaire des Etats qui représente 90 % des lignes tarifaires devra être lancée. Il faut juste préciser qu’on va parler de lancement de la phase opérationnelle. Mais, en réalité, la libéralisation tarifaire ne commencera pas avant le 1er juillet 2020.

Donc là, on peut dire que ce sera juste une phase test ?

Il y a des livrables qui sont prêts. On veut montrer au monde entier que les négociations de la Zlecaf, qui ont été lancées depuis 2015, ont abouti à un accord, quatre ans après. Ce qui est vraiment un grand pas. L’Ua voudrait montrer au monde qu’il y a des avancées. Parce que pour un accord qui concerne 55 Etats, on parvient à avoir un accord sur 90 % des lignes tarifaires pour les règles d’origine. C’est très important.

Quels seront les avantages pour un pays comme le Sénégal d’intégrer la Zlecaf, face à des économies telles que l'Afrique du Sud, le Maroc, l'Egypte, le Kenya, l'Ethiopie ?

Il y a un certain nombre d’opportunités de marché à saisir par nos entreprises. La Zlecaf, c’est 55 pays, 1,2 milliard d’habitants et 2,5 milliards de dollars de produit intérieur brut (Pib). Et le continent africain, c’est la première destination des exportations du Sénégal. Donc, en moyenne, la part des exportations du Sénégal sur le continent représente 42 %. En plus des marchandises, il y a aussi le fort potentiel en matière de commerce des services. Parce que la Zlecaf, c’est les marchandises et les services pour sa première phase.

Donc, il y a ce fort potentiel en services à exploiter. Il faut rappeler que le secteur des services contribue à hauteur de 60 % au Pib national et 70 % de la valeur ajoutée. Et les exportations des services, surtout commerciaux tels que les voyages, les services de télécoms et autres fournis aux entreprises, sont très dynamiques. Ce dynamisme pourrait être renforcé dans le cadre de la Zlecaf. D’ailleurs, nous sommes en train d’élaborer une stratégie nationale pour l’accompagnement des entreprises et autres acteurs concernés.

Au-delà de cette stratégie, est-ce que notre secteur privé est assez outillé pour cette ouverture, sachant qu’il peine à s’imposer au niveau national face aux multinationales ?

Au fait, il s’agit d’un accord commercial. Nous ouvrons notre marché et les autres pays nous ouvrent le leur. L’idée, c’est d’être compétitif. Dans cette stratégie, il y aura certainement des plans d’activités que nous allons élaborer et des mesures d’accompagnement qui sont prévues même par la Zlecaf. Dans les discussions actuelles, il y a un mécanisme d’ajustement sur lequel on discute, pour permettre aux entreprises non seulement de saisir les opportunités, mais de faire face aux risques.

En plus de cela, l’accord prévoit également certains instruments juridiques qu’on peut déclencher, lorsque la libéralisation va causer des difficultés à certaines entreprises. Même dans les modalités, il y aura certaines lignes tarifaires qui feront l’objet d’exclusion. Il existe, en même temps, des mesures commerciales correctives comme celles de sauvegarde qu’on peut déclencher, lorsqu’il y a des importations massives qui auront des impacts négatifs sur des entreprises. Il y a aussi les clauses des industries naissantes et un système de dérogation qui permet d’observer la mise en œuvre de certaines dispositions. Ce sont des instruments légaux qu’on peut déclencher, en plus du recadrage de la stratégie, qui sont en train d’être élaborés.

Pour le Sénégal, quels sont les produits qui sont concernés par la libéralisation et ceux qui sont exclus ?

En effet, dans le cadre de la libéralisation, il y a une liste d’offres d’accès au marché commun que nous partageons avec les autres pays de la Cedeao. Ce n’est pas une liste du Sénégal. Au niveau de la Cedeao, nous aurons une liste commune. C’est ce que nous avons fait, dans le cadre des accords de partenariat économique (Ape) entre l’Union européenne et l’Afrique de l’Ouest. La libéralisation va concerner tous les pays de l’Afrique de l’Ouest. Nous allons offrir un accès au marché régional de l’Afrique de l’Ouest. Récemment, la Cedeao nous avait saisis pour que le Sénégal lui communique les produits qu’il considère comme sensibles et ceux qui doivent faire l’objet d’exclusion. Dans cette liste, on peut y retrouver les matières premières, le blé, les intrants spécifiques dont nos entreprises ont besoin qui ne sont pas disponibles au Sénégal. Même s’il y a des produits de grande consommation, cela ne doit pas être d’une grande quantité. Pour les produits à exclure, nous avons communiqué les concentrés de tomate, les huiles végétales, la farine de blé, les produits avicoles, etc.

Hormis ces points, est-ce que la monnaie ne va pas constituer un frein au dynamisme de cette zone ?

L’idéal, c’est d’avoir une monnaie commune. Mais je pense que les impacts négatifs ne seront pas grands, du fait de l’existence d’une monnaie différente. L’objectif de l’Ua, c’est de parvenir à une monnaie unique au niveau du continent. Peut-être qu’on l’aura un jour. Mais la Zlecaf est un pas et maintenant, on fera le nécessaire pour régler les goulots d’étranglement comme la monnaie.

MARIAMA DIEME

 

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