Un processus de délocalisation en flux tendu

Le processus de délocalisation des services de l’hôpital Aristide Le Dantec en cours est au cœur de vives polémiques concernant la prise en charge des patients souffrant de cancer et ceux qui doivent faire de l’hémodialyse. Malgré les assurances des autorités sanitaires, ce déménagement des services de l'hôpital qui doit s’achever complètement le 31 août suscite encore de nombreuses interrogations chez les associations de défense des pensionnaires de Dantec.
L’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar a fermé ses portes à compter du lundi 15 août. Cet établissement, construit en 1912, qui doit être réhabilité par l'État, est au cœur de vives polémiques autour de l’impréparation de cette mesure, la réorientation des milliers de malades vers d’autres établissements hospitaliers et le statut des employés contractuels au sein de l’hôpital Le Dantec. Les travaux prévus pour durer 18 mois doivent permettre de rebâtir un nouvel hôpital de niveau 3 pour un budget de 60 milliards F CFA. ‘’Le processus de déménagement se déroule sans grande difficulté, même si on a noté des couacs çà et là. On est en train à transférer le matériel vers la trentaine de structures sanitaires prévues qui doivent accueillir les patients de Dantec. Déjà, la maternité sera délocalisée vers le pôle mère-enfant de l’hôpital pour enfants de Diamniadio et l’urologie au centre de santé de Ngor’’, déclare Ousmane Dia, Directeur des Établissements publics de santé. Il s’empresse d’indiquer que toutes les dispositions ont été prises pour veiller à la sécurité et au bien-être des patients souffrant de cancer et des hémodialysés.
‘’En ce qui concerne la cancérologie et l’oncologie pédiatrique, on veut prendre le maximum de précautions. Les malades graves et ceux en fin de vie qui sont généralement des personnes souffrant de cancer, sont évalués par leurs médecins traitants et si malheureusement leur état ne leur permet pas d’être transférés, on va les laisser sur place à l’hôpital Le Dantec, en attendant de pouvoir les transférer de manière sûre. Les patients souffrant de maladie grave feront l’objet d’un transport sécurisé avec le Samu et les ambulances médicalisées. La radiothérapie de Dalal Jamm devrait bientôt être fonctionnelle. De toute manière, les évacuations sont laissées à l’appréciation des médecins traitants qui jugeront de l’état sanitaire du malade pour décider de son transfert ou non. Pour les malades souffrant de maladies du rein, ils seront hospitalisés dans le centre de néphrologie de l’hôpital militaire de Ouakam. Pour les dialyses, ils seront admis à partir du 26 août au niveau du hangar des pèlerins de l’aéroport de Yoff. Pour le moment, ils continuent d’être pris en charge à l’hôpital Le Dantec, en attendant de les transférer vers le centre dédié en toute sécurité. C’est à partir du 31 août que tous les services de l’hôpital seront fermés’’, soutient le haut fonctionnaire au ministère de la Santé.
En plus des patients, tous les services de l’hôpital et le personnel soignant seront déployés dans une vingtaine de structures de santé déjà identifiées, notamment Dalal Jamm, Roi Baudoin, Fann, Idrissa Pouye, Abass Ndao, Abdoul Khadim Touba, Les Maristes, Yeumbeul, Colobane, Keur Massar, hôpital de Pikine (camp Thiaroye). Le plan d’aménagement a débuté le 2 août 2022.
Un déménagement des services de Dantec sur fond de méfiance et de suspicions
Selon Babacar Thiandoum, Directeur du centre hospitalier national Aristide Le Dantec, les malades pensionnaires de l’oncologie pédiatrie seront évacués à l’hôpital Dalal Jamm cet après-midi (NDLR : 15 août) ou le service est opérationnel. ‘’L’hôpital Le Dantec ne ferme pas ses portes, mais délocalise ses services. Je pense que vous avez vu les camions. Nous avons délocalisé les équipements de plusieurs services dont la maternité, l’urologie, l’ophtalmologie, la médecine interne, quelques laboratoires. Le processus va se poursuivre toute la journée (du 15 août) et peut-être demain pour nous permettre de déménager le maximum possible d’équipements sur les sites dédiés. Les sites seront opérationnels dans le courant de cette semaine’’. Il a aussi indiqué que pour l’oncologie-pédiatrie, les malades seront évacués à l’hôpital Dalal Jamm cette après-midi ou le service est opérationnel.
Pour sa part Awa Doumbouya, Présidente de l’amicale des hémodialyses de l'hôpital qui a eu à visiter les sites d’accueil pour les malades souffrant d’insuffisances rénales, sonne l’alerte pour de meilleures prises en charge des patients. ‘’C'est le statu quo ici. Nous sommes en train de déménager progressivement. Nous sommes allés visiter le site (NDLR : hangar de l'aéroport de Yoff). C'est assez satisfaisant ce que nous avons trouvé sur place. Il y a des services qui sont fonctionnels. Il y a toujours des difficultés pour tout déplacement. Ce n’est pas facile, il faut le dire. Nous avons visité le site, on espère que ça se passe mieux qu'à l'hôpital Le Dantec et que nous n’allons pas transporter les mêmes soucis qu'on avait ici. C'est-à-dire, quelquefois, il y a un manque d'eau, un manque d'intrants d'héparine. Nous espérons vivement que nous n'allons pas transporter les mêmes soucis’’, a-t-elle indiqué.
FERMETURE DE L’HÔPITAL LE DANTEC Un drame sanitaire et social ‘’L’État a décidé de la fermeture de l’hôpital Aristide Le Dantec pour le «réhabiliter sur la moitié de la surface originelle». Le reste est cédé à des privés. C’est une décision gravissime. Elle est gravissime parce que l’hôpital Aristide Le Dantec est un patrimoine historique, un symbole de l’histoire de la médecine moderne au Sénégal. Tout projet de restructuration doit garder cela en perspective. Elle est gravissime parce que l’hôpital Aristide Le Dantec est le creuset de la formation des personnels de santé dans notre pays et que sa fermeture va déstructurer toute la chaine de formation médicale. Toutes les générations de médecins, pharmaciens, dentistes, infirmiers et sages-femmes ont été formées dans ledit établissement. C’est le terrain de stage et de formation de milliers d’étudiants des formations pré et post-doctorat. Aucune structure hospitalière ne pourra les accueillir après fermeture, les hôpitaux de Dakar étant présentement submergés par le nombre d’étudiants qu’ils reçoivent. L’hôpital Aristide Le Dantec dispose de l’expertise médicale la plus dense de ce pays. Ces professionnels vont se retrouver en situation de quasi-chômage technique et être privés de ce qu’ils savent faire le mieux : soigner et enseigner. La fermeture va impacter négativement la qualité de la formation des élites médicales de notre pays. Ce sont des générations d’étudiants en médecine qui seront sacrifiées et le retentissement ira au-delà des frontières. Bon nombre de pays de l’Afrique francophone envoient des étudiants pour les formations de spécialisation médicale. Ils iront se former ailleurs. Elle est gravissime parce que c’est toute la chaine de soins de ce pays qui sera durablement désorganisée. La détresse et l’incrédulité des patients, déjà relayées par certains médias, donnent un avant-goût des indicibles souffrances que ces populations vont vivre. Je trouve incompréhensible la célérité des autorités publiques de la santé dans l’exécution de cette décision sans qu’aucune mesure sérieuse ne soit prise pour amoindrir le choc et répondre aux légitimes interrogations des populations. Cette décision de fermeture de l’hôpital Aristide Le Dantec est inhumaine, impertinente et inopportune. L’État en porte la responsabilité morale. Ma conscience est troublée et je m’interroge devant le silence des médecins de ce pays et singulièrement des universitaires. Convaincu que cette décision n’aurait jamais été prise, si l’élite médicale de ce pays s’y était opposée.’’ |
Pr. Moustapha Ndiaye, Service de neurologie-CHNU de Fann