Publié le 4 May 2020 - 15:43
GESTION COVID-19

Le secteur informel voit son horizon s’assombrir

 

Les marchés de Dakar ne seront ouverts que deux ou trois jours dans la semaine. Cette nouvelle mesure visant à limiter la propagation de la Covid-19, suscite bien des inquiétudes d’ordre économique.

 

La pandémie à coronavirus continue de faire des dégâts dans le monde. Mais, en fonction des statuts économiques, la riposte diffère d’un pays à l’autre. Au Sénégal, le préfet de Dakar, Alioune B. Samb, a décidé, samedi dernier, de n’ouvrir les commerces de produits alimentaires seulement les lundis, mercredis et vendredis. Les boutiques de vente de produits non alimentaires ont désormais deux jours d’activité (mardi et jeudi). En outre, tous les marchés seront fermés les samedis et dimanches.

Cette mesure prise au sortir de concertations incluant les collectivités territoriales, les associations de commerçants, de marchands ambulants et celle de consommateurs inquiète.

Plusieurs commerçants déplorent une décision qui va davantage appauvrir bon nombre de ménages. ‘’Je pense que le Sénégal manque d’économistes, parce que cette mesure est une véritable torture pour nous. C’est vraiment ridicule et malsain d’oublier les démunis. Depuis plus d’un mois, l’Etat n’arrive pas à distribuer l’aide alimentaire et il ose, dans ces conditions, suivre la tendance des pays développés’’, lance, dépité, Fatoumata Sané, vendeuse de poisson au marché Tilène.

Sa position reflète celle de bon nombre de commerçants, pendant que certains Sénégalais ne voient pas la pertinence d’une telle décision, car ce serait la porte ouverte aux bousculades. Vu le nombre de jours d’ouverture réduits. ‘’Soit on ferme, soit on ouvre’’, se veut, catégorique, Babacar Dramé, bailleur dans l’immobilier.

‘’Plus il y a de contacts, plus on a des chances de contracter le virus. C’est un peu dommage, parce que cette mesure-là, il fallait la prendre depuis le début. Elle aurait dû être prise en même temps que la mesure d’interdiction des rassemblements et de fermeture des lieux de culte, parce qu’on a un virus qui est contact dépendant. Donc, si on diminue les contacts, on diminue sa propagation. D’autant plus que le problème des cas communautaires persiste’’, pense pour sa part le docteur Serigne Fallou Samb.

En ces temps de crise, l’Etat du Sénégal cherche toujours la bonne formule et encaisse une panoplie de critiques souvent légitimes, parfois non. Selon le professionnel de la santé, ‘’il faut que les gens sachent aussi que nous sommes dans un pays pauvre et très endetté. On ne peut pas confiner les gens. L’idéal serait un confinement total, comme cela s’est fait dans les pays développés. On est dans un pays où l’informel occupe 80 % de l’économie. Les gens sortent dans la rue pour chercher de quoi manger et l’Etat n’a pas les moyens de financer ce confinement. Donc, il essaie des mesures alternatives au confinement total. Il faut que les Sénégalais essaient de comprendre l’esprit de cette mesure. C’est à eux de s’approprier ces mesures, parce qu’il y va de leur intérêt. Ça ne sert à rien de critiquer, de dire des choses négatives. On doit plutôt aider l’Etat et nous aider nous-mêmes, en tant que population, pour la réussite de cette mission’’.  

‘’Le secteur informel risque d’en pâtir davantage’’

D’un point de vue sanitaire, ce nouveau tournant peut contribuer à limiter la propagation de la Covid-19. Mais sur le plan économique et même social, ces restrictions vont aggraver la situation de certains commerces, surtout ceux du secteur informel.

C’est, en tout cas, ce que pense l’économiste-chercheur Demba Moussa Dembelé.  ‘’Avec le couvre-feu, une bonne partie de ce secteur est pratiquement sinistrée, puisque la nuit, beaucoup continuent à travailler. Le secteur informel risque d’en pâtir davantage, surtout ceux qui sont dans l’alimentaire. Cette mesure signifie que ces derniers ne pourront travailler que trois jours sur sept, donc pratiquement la moitié de la semaine. En plus du couvre-feu, le manque à gagner va être assez important et, d’un autre côté, cela va favoriser les grandes surfaces, car ceux qui ne peuvent plus aller au marché les weekends vont se tourner vers les grandes surfaces qui sont déjà favorisées. N’oublions pas que c’est lors des weekends que beaucoup de commerces faisaient leurs chiffres d’affaires, parce que les gens n’ont pas le temps de sortir en semaine faire leurs courses’’, analyse-t-il.

Toujours dans sa logique, la question qui se pose est de savoir si l’Etat a prévu des compensations pour cette frange de la population déjà en souffrance. C’est d’ailleurs la doléance mise sur la table par les commerçants, lors de la rencontre avec le préfet de Dakar. ‘’Au cas contraire, on risque de compliquer davantage la situation économique du pays qui est assez sérieuse. Je pense qu’on aurait pu tout simplement prendre des mesures au niveau des forces de sécurité pour essayer de faire respecter certaines des dispositions. C’est bien possible.

Il est vrai que ce n’est pas toujours facile, mais grâce à des campagnes d’éducation et de sensibilisation, les gens auraient pu se conformer à certaines des mesures qui ont été édictées et les forces de sécurité seront là pour mettre de l’ordre. Cela aurait permis de laisser les gens continuer à travailler, parce que le couvre-feu, c’est déjà un handicap majeur pour pas mal d’acteurs. Dans ce sillage, on aurait pu prendre le dimanche pour nettoyer les marchés, ce qui ne serait pas une grosse perte. Qui dit manque à gagner, dit impact sur la famille, sur les revenus, sur les besoins, surtout en cette période de ramadan où les besoins sur le plan alimentaire sont multipliés par trois, quatre, voire six. Cela va faire très mal’’, conclut le spécialiste en économie.  

EMMANUELLA MARAME FAYE

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