Publié le 4 Jun 2020 - 20:29
GESTION DE LA PANDEMIE

La communication de crise passée au crible 

 

La communication sur les risques n’est pas des meilleures dans les pays africains, à cause de l’absence d’un plan de crise. C’est le constat des experts de l’Organisation mondiale de la santé, hier, lors d’une formation dédiée aux journalistes sur ladite communication.

 

Il n’y a pas de plan de communication de crise dans nos pays africains. C’est l’avis du Docteur David S. Houeto, un des représentants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour le maitre de conférence agrégé en promotion de la santé, beaucoup pensent avoir de l’expérience, parce qu’ils ont géré telle ou telle épidémie. Mais, selon lui, tel n’est pas le cas. Car, dit-il, la différence entre les épidémies, c’est la maladie. 

Une thèse défendue par le communicant des risques à l’OMS, le Docteur Rodrigue Barry. Il soutient qu’aucune maladie ne doit être comparée à une autre ; on doit mettre en avant le risque de mourir. Pour lui, la situation d'urgence, c’est le meilleur modèle de communication qu’on a trouvé pour agir sur différents volets. C’est-à-dire les rumeurs et la communication publique. Mais, dit-il, cela commence par la mise en place d’un système de communication sur le risque. 
 
‘’Quand vous n’avez pas un système mis en place, précise l’expert, vous ne pouvez pas prétendre faire la communication sur le risque’’. Pour lui, il faut que les gens comprennent que le risque est plus important que le danger, bien qu’ils mettent le danger en avant. ‘’Quand on fait la promotion de la communication sur le risque, c'est pour éviter que les gens ne se mettent pas dans la situation de danger. En temps de communication, aucune maladie ne doit être comparée à une autre, mais on doit mettre en avant le risque de mourir’’, souligne le Dr Barry. 
 
Membres de l’équipe dans la Plateforme des urgences pour l’Afrique de l'Ouest et du Centre, ces deux experts de l’Oms présidaient, hier, un atelier de formation des journalistes sur la communication des risques et l’engagement communautaire. A en croire le Docteur David S. Houeto, la grande erreur de tous les pays d’Afrique est de montrer que le ministre de la Santé va gérer l’épidémie. ‘’Ce n’est pas son rôle. C’est faux. Il faut avoir une autre vision’’.  Normalement, dit-il, dans toute situation de maladie, ce n’est pas nécessairement le ministère de la Santé qui doit être devant. Parce que la maladie suppose des causes profondes qui sont entre les mains de beaucoup d’autres secteurs. D’ailleurs, fait-il savoir, le partenariat est obligatoire pour la gestion d’une crise de santé publique. Parce qu’il y a des secteurs clés qui sont dépositaires des causes profondes d’une situation de santé. C’est pourquoi, soutient le Dr Houeto, le secteur de la santé doit être capable, à un moment donné, de laisser le leadership à d’autres secteurs et de coordonner, parce qu’il est l’expert en matière de santé et de maladie. 
 
‘’Si on avait écouté le Pr. Seydi dès le début…’’
 
‘’Il doit laisser le leadership à d’autres secteurs pour qu’on puisse agir sur les causes profondes de cette situation sanitaire. Les populations peuvent ne pas bien percevoir que le secteur de la santé ne soit pas devant. Il faut qu’ils comprennent que le secteur de la santé doit être juste un coordonnateur’’, renseigne le Dr Houeto. Avant d’ajouter qu’‘’en Afrique, on n’est jamais préparé. On est sûr qu’on est bon. Alors que la gestion d’une épidémie ou d’une pandémie, c’est une question d’expérience, de contexte aussi. Il faut aussi dire les choses qui existent. Expliquer la véracité de la situation. Si on avait écouté le Pr. Seydi dès le début, on aurait gagné beaucoup de choses aujourd’hui.  Même pour la situation du jour, ce n’est pas seulement au ministère de le faire. On peut choisir un notable du quartier pour annoncer le point’’, suggère-t-il. Ce qui fait dire à son collègue, le Dr Barry, que quand on comprend le risque, on gère mieux le danger. 
 
Les ministres de la Santé ont une responsabilité, mais ils n’ont pas toute la responsabilité. C’est à ce niveau que la nuance doit se faire. ‘’Ce n’est pas pour dire que le ministère n’a pas cette activité en marge à mener, mais il est un élément de l’ensemble. Ce qui fait défaut est qu’il faut faire en sorte de voir qui peut être aux côtés du ministère de la Santé pour apporter des réponses. Quand il y a un cas de Covid dans une école, qui mieux que le ministère de l’Education peut prendre cette situation en charge ? C’est pourquoi la communication des risques vise à donner la capacité à tous les acteurs, surtout à la communauté, de s’engager’’, dit-il. 
 
Pour lui, le ministre, c’est des normes, des procédures, mais la responsabilité est un peu plus ouverte. ‘’Les épidémies ne réagissent pas aux structurations administratives et institutionnelles. Donc, il faut s’asseoir et regarder qui peut faire quoi. Tant que le risque est là, les gens doivent se protéger. Mais il faut leur expliquer pourquoi ils doivent se protéger’’, indique le Dr Barry.
 
Les limites de la prise en charge
 
S’agissant des limites de la prise en charge, le Dr Houeto souligne que les médecins étaient, par le passé, formés pour diagnostiquer et traiter. Mais, de nos jours, les choses ont tellement évolué que le médecin, en plus de diagnostiquer quelqu’un, doit sortir de sa zone de confort, qui était de diagnostiquer le traitement, et s’allier avec d’autres professionnels. C’est, dit-il, obligatoire d’ailleurs pour régler à fond les questions de santé qui se posent. ‘’Quand on prend l’exemple du choléra qu’on devrait régler. Le médecin est formé pour savoir comment on fait le diagnostic du choléra et le traitement qu’on va appliquer pour que la personne soit guérie. Mais si, à l’échelle populationnelle, on doit arrêter le choléra, ce n’est plus seulement cette expertise qu’il faut. Il faut mettre à contribution le secteur qui donne de l’eau, qui installe les populations, celui qui donne l’autorisation de construire et le permis d’habiter. Ces secteurs vont jouer le plus grand rôle pour éradiquer le choléra’’, explique l’expert. 
 
Ainsi, fait-il savoir, le médecin aura moins de boulot, moins d’accusations. C’est pourquoi c’est à lui d’aller travailler avec les autres secteurs pour qu’il ait les résultats et qu’il soit bien vu par la population.
 
Pour gérer une pandémie comme celle-ci, souligne le Dr Barry, on a besoin de l'engagement communautaire, de négocier avec les communautés et de savoir prendre les décisions en commun accord avec elles. ‘’Il faut aussi des experts qui travaillent avec les autorités pour arriver à bon port. Selon lui, les autorités ne sont là que pour faire écho de ce qui est retenu par tout le monde et par les experts. En termes de concept, il y a trois mots qu’il faut retenir. Il s'agit de la confiance, la perception à prendre en compte et l’empathie à intégrer dans notre comportement. Tout ce que l'on doit faire doit être empreint d'empathie, parce qu’il y a des gens qui vont perdre la vie, d'autres qui sont malades et certains qui souffrent’’.
 
VIVIANE DIATTA

 

 

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