Publié le 21 Feb 2019 - 20:30
IDRISSA SECK

Baroud d’honneur d’un sphinx

 

Idrissa Seck est à l’inverse de l’obsolescence programmée. Des versions plus récentes sont apparues dans le champ politique, mais ne sont pas parvenues à limiter sa durée de vie politique.

 

De mémoire de politicien au Sénégal, la providence aura rarement travaillé à faire plus chanceux, plus fortuné qu’Idrissa Seck. Le président du Conseil départemental de Thiès revient toujours par-devant la scène, après avoir touché le creux de la vague. Comme après cette maladresse verbale, il y a plus d’un semestre. En ce temps, il y avait un large boulevard sur lequel il fonçait à vive allure, après les destins électoraux (presque) scellés de Khalifa Sall et de Karim Wade.  Jusqu’au jour où il décida, dans un accès de démonstration religieuse, de disserter sur la dénomination de La Mecque. Et patatras ! L’édifice qu’il commençait à ériger vacilla, réduisant à néant ses efforts de peau neuve politique et offrant, au-delà du répit, du grain à moudre au camp présidentiel adverse qui n’en demandait pas tant.

Idrissa Seck tenait pourtant le gouvernement qui jouait de malchances et enchainait les bévues communicationnelles, suite à la mort de l’étudiant Fallou Sène le 15 mai 2018 à l’université Gaston Berger de St-Louis. En rémission précaire auprès de l’opinion après ses balancements partisans, son exégèse litigieuse, un style oratoire qu’il affectionne particulièrement, braque une partie de l’opinion contre lui qui en (re) vient à douter de l’authenticité de sa pénitence et de sa nouvelle foi mouride qui n’aurait de finalité autre qu’électoraliste. Des anathèmes farouches le poursuivent et l’obligent à une retraite silencieuse qu’il ne brisera qu’en début de campagne.  Mais tout ça c’était avant le début d’une campagne populaire dans son fief et ville natale de Thiès ce 3 février 2018. Emmuré dans un silence lénifiant depuis, son entrée sismique dans la campagne électorale rappelle au bon souvenir du candidat performant à la présidentielle d’il y a 10 ans, alors au sommet de sa carrière politique. ‘’Je suis ébloui par son degré intellectuel et d’analyse et surtout de maturité. Par le passé, il a pris plusieurs coups et en a mûri. Il est devenu beaucoup plus sage. Il ne peut pas être plus mature que ça. C’est pour cela qu’il est le candidat idéal pour ces élections’’, témoigne le capitaine Dièye au lendemain d’une mobilisation exceptionnelle à Thiès.

Obsolescence déprogrammée

Mais depuis, le natif de Thiès a blanchi sous le harnais que même ses sourcils fournis grisonnent au gré de ses 62 piges. Respectant son port vestimentaire, caftan de rigueur dès le début, c’est un code chromatique tout à fait inédit qu’il a adopté avec un blanc immaculé pendant toute la campagne comme symbole d’un renouveau politique qui lui offre la chance de se refaire. Son vécu politique alterne phases de rémission précaire et moments d’opulence. Sa sortie du deuxième gouvernement d’union nationale en 1998 est récompensée deux ans plus tard par la première alternance politique au Sénégal en 2000, pour laquelle il aura été le directeur de campagne important de Me Abdoulaye Wade.

S’ensuit une autre phase de succès-épreuve.  Alors directeur de cabinet redoutable et redouté du président Abdoulaye Wade, puis Premier ministre, une première pelletée est envoyée dans une tentative de mise au tombeau politique qui deviendra anthologique : ‘‘Les chantiers de Thiès’’, une histoire de malversations financières, suivie d’accusations d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Cet ouragan politico-judiciaire, dont la mise en accusation publique a été lue par Macky Sall, alors successeur d’Idy à la primature, accouche finalement d’une brise connue sous le nom de ‘’Protocole de Rebeuss’’.

‘‘Au point de vue politique, c’est un grand gain pour Idrissa Seck’’, défend le docteur en droit public à l’Ucad, Ababacar Guèye. Idy en sort vainqueur, mais les modalités de ‘‘sa’’ libération, rendues publiques après son raz-de-marée de 2007, l’affaiblissent et lui confèrent une décevante quatrième place à la présidentielle de 2012. S’ensuivit une saignée abondante dans son parti Rewmi dont la dernière goutte, Thierno Bocoum, fait surgir les pronostics les plus pessimistes pour son parti. Puis vinrent également les parrainages où il échoue au premier test d’admissibilité pour huit voix.

Mais le destin, comme d’habitude, lui fait passer par les sentiers sinueux afin que s’accomplisse le verbe. Ce tribun hors pair, cristallise le soutien d'une grande partie de la classe politique recalée et revient, contre toute attente, au centre du jeu grâce ou à cause d'une mesure destinée à limiter l'inflation électorale. Juste avant le début de la présente campagne, Idy fait le consensus sur sa personne et aimante le soutien des pontes de l’opposition dont deux anciens Premiers ministres et deux anciens maires de Dakar. A son actif actuellement, une bien ‘‘maigre’’ présidence du Conseil départemental de Thiès, après avoir perdu beaucoup de terrain dans sa commune, lors des dernières législatives.

Zen attitude, discrétion

Haut comme trois pommes, sa petite taille lui vaudra le surnom de ‘‘Ndamal Kadior’’, littéralement le nain du Kadior, la région centre-ouest du Sénégal dont il est originaire.  Son attaché de presse, Pape Abdou Mané, salue le sens de l'équilibre et de la partialité de l'homme dans ses prises de position. Des qualités managériales qui, selon lui, annihilent toute possibilité de formation d'un cercle d’influenceurs à ses côtés. ‘‘Quand on vient se plaindre d'un de ses collaborateurs, il appelle le principal concerné, le met sur haut-parleur et laisse chacun s’expliquer avant de trancher. Depuis, la délation a cessé dans son camp.

On ne voit plus personne venir dénoncer’’, témoigne-t-il. Un sens de l’équilibre et du discernement qui lui vient peut-être de son background. Brillant élève lauréat du Concours général, il truste diplômes et enchaine formations à l’Ecole des hautes études commerciales, à l’Institut d'études politiques de Paris, et une formation à l'université Princeton des Etats-Unis. Un cursus scolaire et universitaire doublé d’humanités coraniques dans lesquelles il excellait, et excelle toujours. ‘‘Le Coran, c’est son livre. Départi de son manteau de politique, chez lui, l’homme se mêle rarement à des mondanités. Il est comme un assoiffé de savoir qui ne se détache jamais du livre saint’’, témoigne Pape Abdou Mané qui assure qu’il n’y a aucune arrière-pensée à but électoral ou pédant dans ses déclamations de versets ou de vers de ‘‘khassaides’’.  Comme pour prouver cette assertion, pendant toute la campagne, sa caravane orange s'arrêtait fréquemment pour qu'il puisse observer les prières canoniques.

Toi aussi, mon père !

Dernière épreuve à surmonter, les névroses d'un compagnonnage ‘‘familial’’ avec son mentor Abdoulaye Wade.  A 95 ans révolus, le père pourrait faire basculer le destin présidentiel de son fils putatif et idéologique avec qui il a cheminé et dont la coupure du cordon ombilical a été plus dramatique. Après une déshérence et un bannissement de la matrice politique en 2004-2005, Idrissa Seck a rendu la monnaie lors de la présidentielle de 2012, en aidant son demi-frère et adversaire irréconciliable, Macky Sall, à battre le Pape du Sopi. ‘‘Il est le tombeur véritable de Wade. Les autres ont voulu usurper sa victoire. Il avait donné des arguments aux opposants d’alors qui avaient saisi la balle de Carcassonne au rebond pour faire tomber le Pape du Sopi. Le processus de la chute de Me Wade a été donc déclenché par Idrissa Seck qui est le véritablement timonier de la défaite de notre candidat en 2012. Tout ce qui s’était passé par la suite n’était que la conséquence de l’initiative prise par Idrissa Seck et Carcassonne’’, s’est récemment offusqué son ancien frère de la maisonnée libérale, Samuel Sarr.

Mais parmi ses proches collaborateurs, on assure que ce coup porté à un père aimant en faveur d’un demi-frère honni (Macky) lui a causé l’une des plus grandes déchirures intérieures. ‘‘C'était une décision qui lui a fait très mal ce jour-là. Il a tellement pleuré qu'on a été obligé de l'évacuer dans sa chambre pour le consoler’’, confie un membre de son entourage. Conscient que la manœuvre doit être très délicate, le candidat d’Idy2019 évite les réponses qui fâchent. ‘‘Quelle est votre réaction à la sortie de Me Wade appelant à saboter le vote ?’’, lui a demandé une consœur en début de campagne à Sokone. ‘‘Aucune !’’. Bien sûr qu'il y en a une. Mais ‘‘Ndamal Kadior’’ a appris, auprès du père et des vicissitudes de la vie, que la gloire la plus haute est faite d'affronts. Et de silence.

OUSMANE LAYE DIOP

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