Publié le 24 Jun 2020 - 02:42

Journée de l’Enfant Africain, non célébrée par les Africains !!!

 

En cette période de multiplication de mouvements mondiaux pour la réhabilitation de l’homme noir, de la race noire, de l’Afrique, à travers des mouvements internationaux de revendication de droits pour les victimes noires… Mais aussi en cette période de (ré)ouvertures, tout azimut, de procès contre les esclavagistes et les colonialistes d’outre-tombe, je ne m’explique pas comment nous, africains d’aujourd’hui, avons pu rater un rendez-vous si historique et si symbolique avec les Africains de demain, victimes aussi.

 

La vie de l’Enfant africain ne vaudrait-elle pas autant que la vie des autres Enfants du Monde ?

Le 16 juin 2020 est bien passé, d’une bonne semaine maintenant. J’ai beau tendre les oreilles, j’ai beau ouvrir grand les yeux : je n’ai rien entendu, rien vu qui appelle ou rappelle l’enfant africain. Vraiment rien de particulier au Sénégal en ce jour, directement ou indirectement qui soit lié à l’enfant tout simplement. Rien d’essentiel, que du sensationnel. En tout cas, rien de social qui intéresse la majorité du peuple, identité non remarquable. Mais comme d’habitude, que de sujets politic(ien)s ne concernant qu’une faible minorité de la population, devenue identité remarquable. Pour preuve, à la une des journaux de ce 16 juin 2020 dernier, était en vedette la garde-à-vue du journaliste Cheikh Yerim Seck dans l’affaire qui l’oppose à Batiplus, autour d’un scandale de 4.000.000.000 de FCfa, supposés non déclarés. Un montant que le pauvre sénégalais, qui se bat au quotidien pour 4000 Fcfa, soit le 100 millième de cette somme, ne pourrait pas et ne saurait pas se représenter dans son esprit.

Pourtant, le 16 juin, date annuelle de la commémoration du 30 ième anniversaire de la Journée de l’Enfant Africain en mémoire de la tuerie des enfants de Sowéto et qui interpelle sur le triste sort de l’Enfant Africain en général et Sénégalais en particulier, a vécu dans l’anonymat le plus total, totalement sous silence. Placé pourtant cette année sous le signe de « l’action humanitaire en Afrique : les droits de l’enfant d’abord », il faut croire que cette journée n’a pas vraiment répondu à son thème. Les organismes humanitaires au service de l’Enfant Africain ont, à cette occasion, brillé par leur in-action humanitaire. Pourtant, les arguments pour une mobilisation humanitaire en faveur des droits des enfants africains en général et sénégalais en particulier, en cette journée particulière qui leur est dédiée, ne manquent pas ; au triple plan contextuel, statistique et symbolique. Car il reste constant que ce sont les mêmes arguments (dont nous esquisserons quelques-uns plus tard) qui ont été brandis par la communauté internationale et la communauté sénégalaise pour réaliser la mobilisation historique du 20 novembre 2019 dernier, journée dédiée à l’enfant du monde, en faveur de la Convention Internationale des Droits des Enfants. Alors cette gestion à deux vitesses face à deux événements uniques dans leur fond nous amène à nous demander et à demander aux instances politiques africaines et sénégalaises de la Protection de l’Enfance et aux organismes humanitaires nationales et internationales de l’Enfance si :

le 30 ième anniversaire de la Journée de l’Enfant africain ne vaudrait-il pas autant que le 30 ième anniversaire de la Convention internationale du Droit des Enfants ?

Nous avons pris comme prisme de comparaison à la Journée de l’enfant africain, notre objet d’analyse, la Convention Internationale des droits des enfants qui, constitue avec lui un évènement, plus ou moins, de même acabit.  Centrés tous les deux sur, quasiment, la même mission de Protection de  l’enfant, avec des rayons d’intervention s’étendant, pour chacun, sur un périmètre géopolitique d’envergure, plus ou moins internationale. En sus, voilà que les actes fondateurs de ces deux circonstances sont survenus, presque, durant les mêmes années 80-90. Donc, en cette année 2020, elles fêteraient toutes les deux (JEA comme CIDE) l’anniversaire de  leurs 30 ans. Or, dans une relation scellée par un contrat explicite ou implicite d’engagement envers l’autre, comme celle qui lie acteurs de l’Enfance aux enfants en souffrance, 30 ans d’union sacrée correspondent à des noces de perle. Dans, le livre de signification des évènements dans la vie de couple, des noces de perle représentent un événement unique qui se doit d'être célébré. En effet, peu de personnes peuvent se vanter d'avoir passé 30 ans de vie commune. Alors dans ce cas, si on parvient à franchir ce tournant délicat dans une relation qui a subi beaucoup de changements déjà et qui va en subir bien d’autres, on est forcément amené à renouveler ses vœux à son partenaire. Certes, pour ces relations dans la durée, elles connaissent des épreuves difficiles. Mais, si cela n’a pas empêché de célébrer la CIDE pourquoi, cela empêcherait-il de célébrer la JAE. A moins que :

La journée de l’Enfant Africain ne vaudrait-elle pas autant  que la journée des autres Enfants du monde ?

D’ailleurs, en parlant d’épreuves subies, c’est justement à l’évaluation des résultats statistiques qui ont découlé de ces  initiatives historiques que je n’étais pas spécialement enthousiaste à l’idée de la célébration des 30 ans de la Convention Internationale des Droits des Enfants le 20 novembre 2019 passé. Ma réserve par rapport à cette, plutôt (dé)fête que fête au (des)honneur plutôt qu’à l’honneur des enfants, se justifiait par les données suivantes :

- plus de 100.000 enfants sont dans la rue au Sénégal, (Rapport HRW, 2019) ;

- 12% des enfants âgées de 15 ans ont été mariées au Sénégal là ou celles de 18 ans étaient de 33% dans la période 2005-2015 d’après Plan international ;

- 32% des femmes sont mariées avant l’âge de 18 ans et 9% sont mariées avant l’âge de 15 ans au Sénégal. (Selon le rapport de l’UNICEF State of the World’s Children 2016);

- 1 enfant sur 2 n’a pas de pièce d’état-civil ; (Rapport Child Right now, 2019)

- 1enfant sur 4 âgé de 5 à 17 ans  effectue un travail préjudiciable à sa santé ou à son développement (Rapport Child Right now, 2019).

Quelle (il)logique, me disais-je alors, y avait-il à fêter des défaites quand on (re)pense au contraste flagrant entre les fastes programmés pour l’occasion et la situation dégradée de l’Enfant. Cet anachronisme m’amenait à ressentir en moi quelque chose de malsain, au cours des séminaires pompeux organisés en vue et pour l’évènement, devant les tournées ‘’touristiques’’ dans toutes les capitales régionales du pays pour construire, à l’intention des enfants, un discours préparé qu’ils apprendront à répéter le jour-j, un mouvement de la Renaissance éclairé de mille feux pour quelques sur-enfants mis en lumière contre la majorité des vrais enfants oubliés dans l’ombre.

Mais, j’avais fini par me (laisser) convaincre au nom de ce symbolisme, fort chargé, des 30 ans et j’ai été convaincu aussi par les efforts que se sont donnés la communauté internationale en général et la communauté sénégalaise en particulier pour mobiliser tous les moyens nécessaires afin de faire de cet évènement un nouveau départ pour l’Enfant et pour l’action humanitaire pour les Enfants. Cette promesse était, par ailleurs persuasive, lorsque dans les faits, il a été réalisé à la faveur des 30 ans de la Convention Internationale des droits des enfants, la prouesse de regrouper toutes les organisations humanitaires de Protection de l’Enfant au Sénégal autour de l’intérêt intrinsèque de l’enfant. Un fait qui semble normal, à priori, dans l’esprit mais qui est inédit dans les faits, sur la lettre. Encore plus lorsque ce sont les plus grandes organisations humanitaires publiques et privées (CAPE, UNICEF, Plan International, Save the Children, World Vision, Terre des hommes) qui ont été à l’initiative. Les 6 majeures, ainsi qu’elles se sont (re)nommées en la circonstance, se sont exceptionnellement octroyé les moyens  humain, financier, intellectuel, de réunir leur force pour se mettre autour de l’enfant du monde fragile et fragilisé.

Mais voilà qu’aujourd’hui la même (il)logique qui m’avait amené à comprendre la forte mobilisation de la communauté internationale et nationale autour de l’enfant du monde, nous empêche aussi aujourd’hui de comprendre pourquoi cette totale démobilisation de ces mêmes acteurs en faveur des 30  ans de la Journée de l’Enfant africain.  Ne serait-il pas plus logique, par la logique du parallélisme des formes, de mettre au même piédestal la JEA et la CIDE, qui partagent un peu plus la même ancienneté, les mêmes motivations, les mêmes défis, le même symbolisme, les mêmes acteurs et qui se différencient un peu moins sur les cibles, sur leur périmètre géopolitique, leurs cadrage législatif, les engagements politique et citoyen des partis en présence. Est-ce à comprendre par là que :

Les Organismes de Protection de l’enfant d’origine africaine ne vaudraient-elles pas autant que les Organismes de Protection de l’enfant d’origine occidentale ?

Vraisemblablement non. A voir cette rupture de légitimité constatée à propos du traitement réservé à la célébration du 30 ième anniversaire de ces deux évènements (ce qui n’est qu’un exemple parmi tant d’autres). Ce « deux poids deux mesures » ne (pro)viendrait-il pas d’un sentiment d’une (pré)supposée déconsidération des africains de la part autres (le reste du monde) et/ou d’une (pré)supposée déconsidération des africains de la part des africains eux-mêmes. Une déconsidération qui a fini par se traduire, grossièrement dans le cas qui nous concerne, par la manière dont a été déconsidéré l’Enfant Africain, déconsidéré la journée de l’Enfant Africain et déconsidéré le 30 ième anniversaire de la Journée de l’Enfant Africain, par les organismes de Protection de l’Enfant internationaux. 

Le rapport entre la sur-considération du 30 ième anniversaire de la Convention Internationale des Droits des Enfants par les Organisations mondiales de Protection de l’Enfant et la non-considération du 30 ième anniversaire de la Journée de l’Enfant Africain est flagrant pour qui a de la considération pour tous les enfants du monde indistinctement, les enfants africains aussi. La raison ne se situerait-elle pas sur le fait que la dissemblance mineure portant sur certaines caractéristiques des en charge de la Protection de l’Enfance organisations finirait par prendre le pas sur les ressemblances majeures ? Probable si l’on relève que des 6 organisations qui ont assuré le portage, à grande pompe, économique, logistique, technique, scientifique de la CIDE au Sénégal… à part la CAPE (Cellule d’Appui à a Protection de l’Enfance) les 5 sont internationales de vocation, occidentales de valeur, mondial d’envergure. Et mieux, si l’analyse se base sur l’historique de leur contexte de création, sur la découverte de l’identité de leur personne fondatrice, sur le périmètre géopolitique de leur zone d’intervention. Il s’agit des Organisations telles :

- Save the children : créée en 1919  ‎par Eglantyne Jebb, Dorothy Buxton, dont le siège international est à Londres, Royaume-Uni ;

- Plan International, créée en 1937 par John Langdon-Davies, qui a pour siège international à Woking, SurreyRoyaume-Uni ;

- L’UNICEF : créée en 1946 par l’ONU, avec siège social New-York, Etats-Unis ;

- World Vision : Créée en 1950 par  Robert Pierce, dont le siège International  est à Londres, Royaume-Uni ;

- Terre des Homme : créée en 1960 par Edmond Kaiser, qui a pour siège International Genève, Suisse.

Sous ce rapport, si les organismes humanitaires majeurs de la Protection de l’Enfant ne se sentent pas fortement concernées par la cause de l’enfant africain, alors cela pourrait se comprendre au vu des arguments avancés supra. Même si l’être enfant qui est, à cette période de sa vie, pas encore totalement fini mais en train de se faire sur les physiologique, psychologique, psychique est unique et identique en tout lieu et en toute circonstance. Il devrait alors, de ce point de vue, susciter chez Tous la même empathie et la même mobilisation en faveur de sa Protection ; indistinctement.

Ainsi que l’a compris le CNAEMO, structure française de Protection de l’Enfance, qui a placé ses 39 ièmes assises de la Protection de l’Enfance sous la thématique de la Protection inconditionnelle et universelle de l’Enfant. Ainsi, face à l’Enfant en souffrance, il ne doit y avoir chez les acteurs aucune asymétrie sur la prise en charge dans le fond.

Quelque soit par ailleurs la nature de l’enfant et la particularité de l’acteur, fussent-t-ils très éloignés l’un et l’autre sur la forme. Donc, le désengagement total face à la Journée de l’Enfant Africain par les organismes internationaux de Protection de l’Enfant, qui étaient pourtant entièrement engagés dans la journée Internationale des Droits des Enfants, est un faux raccord regrettable dans la symphonie de la Protection de l’Enfant qu’ils ont, jusque-là, harmonieusement bien jouée.

Aussi, sur la base du fort actif de leurs interventions au plan comptable au profit du produit Enfant d’une part et sur une supposée souveraineté qui pourrait les amener à laisser aux organismes humanitaires de Protection de l’Enfant d’Afrique la primeur de la célébration de la Journée de l’Enfant Africain au plan légal d’autre part, pourrait-on aussi (ré)interpréter ce  pseudo-désengagement par une possible mise en retrait diplomatique.

Mais que les organismes africains de Protection de l’Enfant d’Afrique, eux, en arrivent à oublier ou à ignorer ou à refouler la célébration de la Journée de l’Enfant Africain, cela est inexplicable. En effet, comment expliquer qu’une personne en soit arrivée à oublier, ignorer ou refouler jusqu’à son moi, son alter-ego, sa propre personne ? autrement dit, comment les organismes Africains de Protection de l’Enfant peuvent en arriver à oublier ou ignorer ou refouler leur date symbole de l’année ; le 16 juin qui coïncide à la Journée de l’Enfant Africain ? Rien ne peut l’expliquer, même la COVID 19 dans ce contexte de pandémie, au contraire.

La Covid 19 ne saurait être une cause de désengagement, mais plutôt un motif  de réengagement des Africains pour la cause de l’Enfant Africain.

De grâce, que personne ne prend comme prétexte la pandémie du coronavirus pour venir nous (ra)conter que la raison de la non-célébration de l’Enfant Africain en général et de l’Enfant Sénégalais, en particulier, serait due à la COVID 19, qui a aujourd’hui bon dos. A contrario, cette pandémie devrait être la meilleure occasion pour les acteurs de la Protection de l’Enfance qui n’ont, jusque-là, pas fait ou mal fait ou défait par rapport à la Protection de l’Enfance, de faire enfin pour l’enfant. Car, flagrant est de constater qu’à ce jour, au Sénégal, l’Enfance reste l’une des rares couches vulnérables pour qui rien n’a été encore, officiellement et techniquement, fait contre la maladie. Si ce n’est officieusement que des tentatives de retrait mal pensées, mal préparées, mal conduites pour des résultats qui ont produit plus de problèmes que de solutions ? A ce propos :

Qu’est devenu le nombre anecdotique de Talibés, médiatiquement, retirés des Daaras (en vérité, plus à la demande des marabouts que sur exigence des autorités de l’Etat) ?

Que devient l’écrasante majorité d’enfants Talibés que leur marabout a refusé de libérer (re)partir et qui sont toujours dans les Daaras ?

Que deviennent les milliers d’élèves (surtout des petites classes et des classes intermédiaires) retirés des écoles ?

Que deviennent les pauvres enfants malades retirés des centres hospitaliers où ils étaient soignés ?

Que deviennent les enfants infectés par la COVID 19 ?

Que deviennent les enfants affectés par le fait que leurs parents sont infectés par la COVID ?

Autant le ciblage de la population des enfants face à la COVID 19 est affiné, autant les questionnements sur la prise en charge médicale, sociale, psychologique, éducative, nutritionnelle…de chaque type d’enfants, selon le segment considéré, pose légitimement question et demande urgemment réponse.

Décidément, à chaque enfant sa peine devant le silence et la léthargie coupables des autorités en charge. Manque de volonté ou défaut de compétence pour gérer la question de l’enfant ou plutôt les questions des enfants face à la pandémie du Coronavirus au Sénégal, la question se pose avec acuité.

Dans cette situation embrouillée où personne ne sait  vraiment pas ce qui est, véritablement, en train d’être fait pour protéger l’enfant, l’opinion doit se poser et poser, à qui de droit, la question suivante.   

Quelle est la politique de protection de l’Enfant contre la COVID 19 définie par l’Etat du Sénégal et ses organismes partenaires ou plutôt, et cela semble être la question la mieux adaptée dans ce cas, quelle est la non politique de protection de l’enfant contre la COVID  19 non définie par l’Etat du Sénégal et ses partenaires ?

Falilou Bâ

Enseignant-chercheur à l’ESEA ex ENEA

Docteur en Sciences de l’Information et de Communication d’Aix-Marseille Université

Spécialiste en communication de changement de comportement

Lauréat du Prix de la meilleure Recherche en Protection de l’Enfance 2019 de France

 

 

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