Publié le 4 May 2021 - 20:41
JOURNEE INTERNATIONALE DE LA LIBERTE DE LA PRESSE

La presse sénégalaise égrène ses revendication

 

A l’occasion de la Journée internationale de la liberté de presse, les journalistes sénégalais ont tenu un sit-in devant le ministère de la Culture et de la Communication, pour dénoncer les violences dont ils sont victimes et réclamer de meilleures conditions de travail.

 

La presse sénégalaise a décidé, hier, de braquer ses caméras sur ses propres déboires. Il n’était pas question de revendications d’enseignants, de médecins, ni d’ouvriers. C’était un rendez-vous national de journalistes pour dire ‘’Non ! Ça suffit !’’. Dakar a donné le ton dès 9 h. La couleur des grands événements était à l’honneur : le rouge. La célébration du 3 mai revêt, cette année, un caractère particulier, du fait des multiples attaques contre la presse au cours du mois de mars. L’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko a débouché sur de graves atteintes à la liberté de la presse (coupure de signal, violences policières, menaces, incendies et casses d’entreprises de presse...). 

Une heure plus tard, la devanture du ministère de la Culture et de la Communication grouille de monde, dans une ambiance bon enfant. La foule s’agrandit sous le regard scrupuleux des forces de défense et de sécurité. Ici, tout le monde se connaît, mais surtout, les plaintes, les difficultés quotidiennes sont les mêmes.  Pour le président de l’Association des professionnels de la presse en ligne (Appel), la liberté de la presse est sérieusement menacée au Sénégal. ‘’Nous voulons que les journalistes travaillent en paix et en toute liberté. Nous avons constaté qu’actuellement, le traitement de l’information est devenu un délit. Ce qui n’est pas normal. Dernièrement, tout le personnel de ‘Dakaractu’ a reçu des menaces, parce que l’entreprise a sorti un communiqué sur une décision de justice. Et durant le mois de mars, beaucoup d’organes de presse ont été attaqués et brûlés’’, martèle Ibrahima Lissa Faye, arborant le tee-shirt rouge conçu pour l’occasion.

L’activiste Guy Marius Sagna abonde dans le même sens, dénonçant les agressions physiques dont sont victimes les journalistes dans le cadre de leur travail. Des agressions qui émanent des forces de l’ordre, mais également de citoyens sénégalais. ‘’Trop, c’est trop’’, lance-t-il. La journaliste et bosse de 7TV, Maimouna Ndour Faye, s’exprimant sous sa casquette de reporter, a invité la corporation à une plus grande mobilisation : ‘’Je suis là pour dire non aux menaces qui pèsent sur nos libertés en tant que journalistes et sur les entreprises de presse. Ces menaces émanent du pouvoir d’Etat, des forces sociales et des forces politiques. C’est le moment de montrer notre détermination à toutes ces forces qui étouffent notre liberté.’’

Les affiches et pancartes du jour ne pouvaient pas être plus claires quant à la situation actuelle : ‘’Menaces - Attaques - Violences - Agressions ça suffit !’’, ‘’Touche pas à mon métier’’, ‘’Presse intimidée, pluralisme en péril’’, ‘’Menaces sur les médias, démocratie en péril’’...

‘’La précarité n’est pas un métier’’

Au-delà des dérives récentes, la commémoration de cette journée organisée par la Coordination des associations de la presse (Cap), a remis sur la table les conditions de travail bien souvent précaires des hommes et des femmes de médias. D’une même voix, ils soutiennent que ‘’la précarité n’est pas un métier’’. Il n’y avait pas meilleure occasion pour égrener le chapelet des revendications : stages à durée indéterminée, mauvais traitement salarial, surexploitation. ‘’Les conditions de travail sont souvent exécrables. C’est pourquoi je voudrais qu’il y ait une intelligence sociale entre l’école de formation et les groupes de presse. Il faut qu’en première année, on essaie d’avoir 70 % de théorie et 30 % de pratique. En deuxième année, 40 % de théorie et 60 % de pratique, et en troisième année, on essaie de mettre l’étudiant dans les conditions optimales d’une rédaction. De ce fait, quand il arrive dans les rédactions, on ne lui demande pas d’aller chercher le savoir-faire, parce qu’il a déjà pratiqué. Souvent, l’exploitation résulte du fait qu’on dise aux jeunes reporters : ‘Vous venez de l’école, donc vous n’avez pas suffisamment de connaissances.’ Dans ces conditions, vous êtes en stage pendant des années’’, propose le journaliste Pape Djibril Fall.

De son point de vue, la responsabilité de l’inspection du travail est engagée. ‘’Il faut que, poursuit-il, l’ensemble des acteurs s’impliquent. Nous avons des médias magnifiques qui font un travail remarquable. Les autorités ont eu l’intelligence de laisser le pluralisme et j’interpelle les journalistes, car le corollaire de la liberté, c’est la responsabilité et je pense que, globalement, les médias sont responsables. C’est un travail colossal, de longue haleine qui nous attend et qui passe par l’application des textes. Les jeunes reporters souffrent beaucoup dans les rédactions’’. 

Le secrétaire général du Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics) rappelle, pour sa part, que la question des salaires ne devrait plus se poser, du moment où la Convention collective est entrée en vigueur depuis janvier 2019. ‘’On ne peut plus payer 50 000 F CFA aux gens. On les fait travailler pendant des années sans régularisation, d’autres font des stages à durée indéterminée. Comment bien travailler, quand on a les poches vides, quand on n’a même pas de quoi se nourrir ?’’, dénonce Bamba Kassé.

Du côté du Forum civil, on se demande où sont passés les fonds de l’aide à la presse. Qui sont les bénéficiaires de la part des médias du Fonds de riposte à la Covid-19 ? Birahime Seck, son coordonnateur, n’a pas manqué de mettre au banc des accusés les patrons de presse qui, selon lui, sont motivés par leur propre profit plutôt que par l’amélioration des conditions de travail du personnel.

En outre, les femmes journalistes ont saisi l’occasion pour revendiquer un traitement égalitaire face à leurs collègues, en ce qui concerne la nomination aux postes de responsabilités. Malgré le travail abattu au quotidien, elles sont laissées en rade. D’ailleurs, la manifestation du jour a montré une fois de plus que le métier ‘’se féminise’’ encore plus.  ‘’Nous sommes compétentes. Il est temps de montrer ce leadership des femmes dans les rédactions. Bientôt, nous allons mettre sur pied une association pour toutes les femmes dans les médias, chargée de prendre en compte les problèmes spécifiques des femmes journalistes’’, a indiqué Marguerite Rosalie Ndiaye.

‘’Soyons unis’’

Meublé par les notes musicales révolutionnaires du célèbre chanteur Alpha Blondy, le sit-in de la presse sénégalaise aura duré trois tours d’horloge. Trois heures durant lesquelles le maître-mot était : la solidarité. Anciens journalistes, techniciens, jeunes reporters s’accordent sur le fait que l’assainissement du secteur passe d’abord et avant tout par la solidarité entre confrères. ‘’La presse est une famille. Elle est indivisible. Nous sommes là pour les citoyens. Nous n’avons qu’une responsabilité : informer les citoyens. Je voudrais rappeler aux patrons de presse le respect de la convention qu’ils ont signée et qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Nous leur demandons le respect des clauses minimales pour notre travail et je pense que les jeunes reporters ont rempli leur part du contrat. C’est à vous de nous donner les conditions nécessaires au respect de la dignité humaine. Restons solidaires. Qu’on ne nous détourne pas de l’essentiel.

Notre mission doit être d’exiger le respect de la Convention collective et nous n’allons pas accepter que ce qui s’est passé pour l’aide à la presse se reproduise pour le Fonds d’appui au développement de la presse’’, martèle le président de la CJRS. Ibrahima Baldé ajoute que ‘’s’il n’y a pas de jeunes reporters, on ne peut parler de grands reporters. Nous vivons tous une situation de précarité. Donc, faisons en sorte que les organisations puissent parler le même langage. Il n’y a pas de presse culturelle, ni raciale. La presse est une seule et même famille ; qu’on refuse qu’on nous divise. Il ne doit pas y avoir d’adversité entre la presse publique et la presse privée ; nous devons être unis et solidaires pour mener le combat.’’

Sur le podium, les messages ne visaient que l’union de la corporation qui se laisse parfois gagner par les germes de la division. ‘’La solidarité est extrêmement importante. Un journaliste qui se fait menacer à cause de son travail, à cause d’une question posée en conférence de presse, doit être défendu par ses confrères. On veut que chacun de nous donne du courage à son confrère d’en face, qu’on marche ensemble pour mener le combat contre la précarité. Pourquoi certains journalistes ont peur de s’afficher dans les directs d’aujourd’hui ? C’est parce qu’on a institué un climat de terreur, un climat d’impunité. Des journalistes ont été frappés sans suite, sans compter les menaces et attaques sur Internet.

Je voudrais que vous soyez mobilisés, que vous soyez solidaires. Soyons unis et étudions ensemble les réformes indispensables pour le secteur des médias au Sénégal, pour qu’on puisse regarder tous ces fossoyeurs de la liberté dans les yeux et leur dire : Nous n’avons pas peur de vous ! Nous allons faire notre travail en toute responsabilité, au bénéfice exclusif du peuple sénégalais. Je voudrais que nous soyons tous ensemble, lorsque certains d’entre nous traversent des difficultés. Préoccupons-nous aussi de la situation souvent très défavorable que vivent nos jeunes frères et nos jeunes sœurs.  Les conditions de travail sont vraiment difficiles, car l’Etat n’est pas à notre chevet’’, sensibilise Bamba Kassé, appelant de tous ses voeux des visites inopinées de l’inspection du travail dans les rédactions.

A l’en croire, l’objectif principal de la rencontre était de resserrer les liens entre les différentes générations de journalistes. Une démarche visant à encourager et donner de la force aux jeunes reporters à la porte d’un métier assez difficile. Une manière de les mettre en confiance, de leur montrer la noblesse de ce métier.  

EMMANUELLA MARAME FAYE

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