Publié le 20 Oct 2020 - 03:54
A LA DECOUVERTE DE VELINGARA POST-CONFINEMENT

A l’épreuve de la rupture sociale

 

Une économie tributaire des échanges transfrontaliers complètement en berne, des familles isolées, des relations sociales en souffrance, la crise sanitaire consécutive à la pandémie de la Covid-19 a bien laissé ses empreintes à Vélingara. Frontalier avec la Gambie et les deux Guinées, ce département abrite une population cosmopolite. Ainsi, au-delà des impacts économiques considérables, c’est la rupture sociale qui a le plus marqué la population.

 

Vélingara, littéralement ‘’il fait bon vivre, viens’’ en pulaar, offre le décor d’une belle ville. L’hivernage bat son plein dans cette région du Sud-Est. Les fortes pluies qui ont arrosé la ville cette nuit ont laissé un climat assez agréable. En cette matinée de jeudi 1er octobre, un ciel gris couvre encore la ville. Ce temps annonciateur de l’imminence de la pluie ne dissuade pas pour autant les habitants à vaquer tranquillement à leurs occupations. L’ambiance est travailleuse. Les nombreuses motos-Jakarta qui assurent le transport urbain, empruntent des pistes cahoteuses. Elles convergent presque toutes vers le marché central. Des piétons pataugent aux abords de la grande voie qui transverse la ville pour joindre le marché central qui concentre l’essentiel des activités économiques de la ville.

Située à 123 km de Kolda et à 311 km de Ziguinchor, la ville de Vélingara fait partie des endroits les plus apaisés de la Casamance.  Elle abrite pour cette raison une population cosmopolite. Avec ses 23 775 habitants (recensement de 2007), la ville concentre l’essentiel des activités économiques de cette partie du Fouladou.   Chef-lieu de département, Vélingara est un carrefour commercial. Sa population, composée dans sa diversité de Peuls, Diolas, Ballantes, Mandingues, bref de presque toutes les ethnies de la Casamance, vit en parfaite cohésion. Les flux humains, occasionnés par les échanges commerciaux, sont à l’origine de ce brassage ethnique. ‘’Vélingara est le carrefour économique du Fouladou et le seul département du Sénégal qui fait frontière avec trois pays, à savoir les deux Guinées et la Gambie’’, fait savoir son maire Mamadou Woury Diallo.

De par sa position géographique, le département de Vélingara est un important espace d’échanges commerciaux transfrontaliers. Cette ville très supranationale incarne l’intégration sous-régionale. On y trouve presque toutes les populations de la sous-région et elles y vivent en parfaite symbiose. Les habitants s’activent essentiellement dans le commerce qui constitue l’activité économique dominante de la localité.

Cependant, si la ville a été longtemps considérée comme le symbole de l’intégration sous-régionale, la crise sanitaire a failli déstabiliser cette stabilité sociale vieille de plusieurs décennies. Les mesures de restriction prises pour contenir la propagation de la pandémie de Covid-19 ont complètement chamboulé le mode de vie des populations. La distanciation et surtout la limitation des déplacements ont eu des impacts considérables sur le quotidien de la population. Mais la fermeture des frontières terrestres encore en vigueur reste la plus dure épreuve pour ses habitants.

C’est toute l’économie de la ville et des localités environnantes qui en pâtit. Et au-delà des impacts économiques, c’est surtout les conséquences sociales qui sont le plus difficile à supporter. En effet, dans cette partie du pays où les politiques de développement sont presque inexistantes, les populations semblent habituées à la vie précaire. Les problèmes économiques font partie presque du quotidien des habitants. Le plus difficile, avec la crise sanitaire, a donc été la limitation des déplacements occasionnant parfois des séparations de familles entières.

Séparation et déchirement

Dans certaines localités du département de Vélingara, comme dans la plupart des localités transfrontalières, les populations vivent grâce aux flux commerciaux entre les différents pays. Certaines familles sont aussi dispersées entre les différents pays. La fermeture des frontières, dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, a donc eu comme conséquence directe une rupture brutale des relations humaines. L’impossibilité des déplacements a entrainé l’isolement de certaines familles.  Des parents se sont trouvés, du jour au lendemain, dans l’incapacité de retrouver leur progéniture. Outre l’interdiction des mouvements, des cérémonies familiales telles que les mariages, baptêmes ou deuils ont été bannies des calendriers.

‘’La Covid-19 a failli déstructurer la société à Vélingara avec les dégâts causés par le confinement et la distanciation. On a certes senti le poids de la maladie sur le plan économique, surtout du côté des femmes qui sont dans le secteur informel. Mais le plus dur a été les impacts sociaux. Des veuves ont fait toutes seules leur deuil, parce que les gens ne circulent plus. Des enfants ont raté l’enterrement de leurs parents qui habitaient dans des villages proches, mais qui sont rattachés aux pays voisins’’, regrette Adama Sow, enseignante en service à l’école 2 de Vélingara.

Priver les gens de leur liberté de déplacement au nom du bien-être général a eu des impacts sociaux considérables dans cette localité. Native du Fouladou et y exerçant depuis des années, Mme Sow est un témoin oculaire de cette déstabilisation sociale jamais notée auparavant. A ses yeux, la crise sociale a été plus angoissante et plus profonde que la crise sanitaire et économique. Et la situation perdure, puisque les frontières terrestres sont toujours fermées. ‘’Il y a eu une rupture sur le plan social, parce que certains ont perdu leurs parents dans les pays voisins et c’était impossible d’y aller. Il est aussi arrivé que des chefs de famille qui étaient partis dans les pays frontaliers pour acheter de la marchandise y soient bloqués. On a vu des familles carrément brisées, avec l’interdiction des déplacements et la fermeture brusque des frontières. Il y a eu, par exemple, des décès ici à Vélingara dont les parents des victimes n’ont pas pu assister aux funérailles, parce que les frontières étaient fermées. Les impacts sociaux ont été les plus durs que ceux économiques’’, argue-t-elle.

 C’est aussi le constat de Madou Ba. Secrétaire municipal à la mairie de Vélingara, réputé très proche de la population, M. Ba garde beaucoup d’anecdotes sur les impacts sociaux de la pandémie. ‘’Mon charpentier était parti chercher sa femme. Mais 10 jours après, les frontières ont été fermées et, depuis lors, il n’est plus revenu. Il y a des polygames dont une partie de la famille est en Gambie ou en Guinée et qui ne peuvent plus faire les va-et-vient dans ces pays.  Ceci montre que les mesures de restriction prises, dans le cadre de la lutte contre la propagation de la maladie, ont créé un véritable déséquilibre social. Avant la pandémie, les différentes nationalités vivaient comme un seul peuple. C’est avec la crise qu’on s’est réellement rendu compte qu’il y avait des frontières entre nos pays’’, indique ce natif du Fouta devenu un ‘’Fouladois’’.

‘’Beaucoup de Gambiens et de Guinéens qui travaillent à Vélingara sont aujourd’hui bloqués dans la ville. Il y a aussi des familles divisées dont certains membres sont dans les pays voisins et ils ne peuvent plus se voir’’, renchérit Mamadou Ndioldé Diallo, Président de la gare routière.

MAMADOU OURY BAILA DIALLO, MAIRE DE VELINGARA

‘’Il est temps de rouvrir les frontières terrestres’’

Ville carrefour encerclée par la Gambie et les deux Guinées, Vélingara souffre énormément de la fermeture des frontières terrestres entérinée dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Dans cet entretien, le maire de la localité, Mamadou Woury Diallo, plaide pour la réouverture des voies terrestres, avec la diminution des cas de Covid-19.

Avec la crise sanitaire, Vélingara a eu à enregistrer des malades de Covid-19 dont des cas importés. Comment vous avez pu gérer cette crise ?

Au début de la pandémie, nous avions enregistré beaucoup de cas importés avec certains qui nous étaient venus de la Sierra Leone et qui avaient transité par Vélingara. Nous avions aussi un cas venu de Thiès, avec une infirmière qui était venue à un mariage et qui a été testée positive le lendemain. Les familles qui étaient en contact avec elle avaient été mises en quarantaine à Vélingara. Il fallait, en ce moment, réagir pour arrêter la propagation du virus qui prenait de l’ampleur.

Pour ce faire, il y a eu une mobilisation générale des autorités administratives locales, des forces de défense et de sécurité, en plus de la vigilance de la population. La prise de conscience du danger de la pandémie par les populations nous a aussi beaucoup aidés à limiter la propagation. Nous avons également mobilisé beaucoup de moyens dans le cadre de la prévention, pour doter l’ensemble des quartiers de produits détergents et de masques.  En ce moment même, nous avons encore une réserve de 500 mille masques disponibles à la mairie.  

Et au-delà de l’aspect sanitaire, il fallait aussi gérer les impacts économiques. Il faut savoir que la gare routière a été fermée pendant plus de deux mois. Le marché fermait à 16 h et c’était un énorme manque à gagner. Et jusqu’à présent le dimanche, on n’ouvre pas. Il y a eu un impact considérable sur le plan économique, surtout dans le domaine du transport avec les motos-taxis qui sont restées deux mois sans rouler. Il fallait les subventionner et nous avons été présents en ces moments difficiles auprès des couches les plus vulnérables qui ont subi durement les effets économiques de la pandémie avec le confinement et les mesures de restriction.

C’est ce qui nous a permis, malgré la vulnérabilité de notre département, de s’en sortir et de contenir la maladie. Nous avons malheureusement enregistré un cas de décès.

Mais aujourd’hui, la vie normale reprend petit à petit son cours.

Vélingara est une ville carrefour, frontalière avec trois pays.  Les frontières terrestres sont aujourd’hui fermées. Quel est l’impact de cette fermeture sur le plan économique et social ?  

Elle est très pénalisante, cette fermeture des frontières. La fermeture avec la Guinée-Bissau et la Gambie est liée à la crise sanitaire. Mais pour la République de Guinée, c’est lié à des questions politiques. La pandémie est là, mais il y a aussi les élections présidentielles en Guinée qui empirent la situation. Cependant, on ne peut pas comprendre que le président de la Guinée ferme ses frontières avec le Sénégal et la Guinée-Bissau, et ne le fait pas avec le Mali, la Côte d’Ivoire et les autres pays frontaliers. L’impact économique est extrêmement considérable. Les commerçants qui traversaient les frontières pour s’approvisionner de part et d’autre en fruits et autres produits sont aujourd’hui paralysés. C’est pourquoi je veux interpeller les ministres concernés pour voir comment accompagner davantage le secteur informel où les gens ont encore besoin d’appui, parce que toutes leurs activités dépendent des mouvements d’échanges transfrontaliers. L’Etat a fait beaucoup d’efforts par rapport aux entreprises, mais il faut aussi penser au secteur informel qui a beaucoup perdu à cause de la crise.

En plus d’être le maire de Vélingara, vous êtes aussi député et membre influent de la mouvance présidentielle. Est-ce qu’avec la diminution des cas de Covid, vous pensez à ouvrir le débat pour la réouverture des frontières, puisque votre localité en souffre énormément ?

Ce qui n’est pas compréhensible, aujourd’hui, c’est la fermeture des frontières terrestres avec certains pays comme la Gambie et la Guinée-Bissau. La Guinée, on peut comprendre que c’est politique.  Mais vu les résultats obtenus dans la lutte contre la pandémie, nous devons faire en sorte que les dispositifs au niveau des frontières soient beaucoup plus stricts pour qu’on puisse rouvrir les passages pour les populations et les marchandises, parce qu’il y a des produits qui ne peuvent pas transiter sans leur propriétaire.

Et quand on dit que les personnes ne passent pas, il n’y aura pas de marchandises. J’ai des parents en Gambie avec qui j’ai discuté et ils pensent comme nous qu’il faut rouvrir les voies. Je pense qu’il faut vivre avec le virus tout en respectant les mesures barrières, parce que nous ne savons pas quand ça va s’arrêter.  Nous avons vu des pays en Europe qui avaient jubilé la fin de la pandémie et qui, aujourd’hui, sont confrontés à une deuxième vague.

Nous sommes en période d’hivernage, les inondations occupent encore l’actualité.  On a remarqué que Vélingara est une grande ville avec un manque criard d’assainissement.

Il n’en a même pas. La politique d’assainissement a longtemps laissé en rade les villes de l’intérieur. Maintenant, il faut l’équité territoriale. Si Dakar ou Thiès a besoin de l’assainissement, c’est que Vélingara aussi en a besoin. Aujourd’hui, grâce à la politique d’assainissement de l’Etat qui promeut l’équité territoriale, nous avons fait des études avec un cabinet pour le réseau d’assainissement de Vélingara. Les fonds sont en train d’être mobilisés et nous espérons bientôt obtenir ces financements pour pouvoir réaliser l’assainissement de Vélingara.

Il y a également le problème du transport. Beaucoup de voies à l’intérieur de la ville sont impraticables.  

Il faut savoir que c’est tout récemment qu’on a eu le goudron à Vélingara. Il n’y en a jamais eu. Nous avons lancé récemment un appel d’offres pour réaliser 4 km de goudron à l’intérieur de la ville. Le marché est déjà attribué à une société de la place et les travaux seront réalisés au courant de 2021 pour une durée de 7 mois. Ce qui va améliorer la mobilité à l’intérieur de la ville.  

Comme vous le savez aussi, le transport urbain est essentiellement assuré par les motos-Jakarta que nous essayons d’organiser. Pour une ville comme Vélingara avec plus de 1 000 motos-taxis, c’est trop. Le secteur est saturé. C’est pourquoi nous avons décidé de ne plus délivrer des permis de transport de Jakarta, parce que c’est ça qui augmente l’insécurité. On travaille beaucoup sur la sensibilisation des conducteurs des motos-Jakarta parce qu’il y a beaucoup d’accidents y compris mortels. Les conducteurs de moto-Jakarta ont un rôle capital dans le développement de la ville. Ce sont eux qui transportent à l’école les enfants qui sont les futures dirigeants de ce pays. Ils participent donc au développement du pays et ils doivent en être conscients.  

Qu’en est-il pour le manque d’éclairage public qu’on note dans la ville ?

Effectivement, vous avez remarqué que le cœur de la ville n’est pas éclairé. Mais les quartiers périphériques sont bien éclairés. Le cœur de la ville est constitué d’un système vétuste qu’il faut reprendre. Cependant, nous avons un bon taux de couverture de l’électricité. Quant au système vétuste qui alimente le cœur de la ville, nous avons décidé de le remplacer par des lampadaires solaires. Nous voudrions que l’éclairage public soit assuré par le solaire, pour lutter contre le réchauffement climatique.

Vous êtes maire de Vélingara depuis 2002. Vous avez donc eu plusieurs mandats. Il y a aujourd’hui le débat sur le troisième mandat pour le président Macky Sall. Quelle est votre position ?

Je suis député-maire, je suis un élu et suis donc libre de dire mes opinions. Il y a les DG et les ministres qui sont soumis au président de la République.  Mais c’est prématuré de parler de troisième mandat. Le Sénégal n’est pas n’importe quel pays. Nous avons des institutions fortes qui peuvent régler la chose sans qu’il y ait des problèmes.

ABBA BA

 

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