Publié le 15 Sep 2014 - 01:42
LIBRE PAROLE

Il y a plus de cinquante ans naissait le P.A.I.

 

«Au fond de chaque cause perdue demeure une sorte  de dépôt géologique, un substrat qui ne s’effrite pas, une morale minimale dont la nécessité ne scintille jamais si bien que lorsque la vague s’est retirée». (Bernard Visage)

 

Le Comité National Préparatoire du Cinquantenaire du Manifeste du P.A.I. CNP 50e organise à l’occasion de l’anniversaire de la parution dudit manifeste en partenariat avec la Fondation Rosa Luxembourg des manifestations les 6, 13, 15, 20 et 27 septembre  2014 à Dakar.

Ces manifestations placées sous le timbre « Septembre mois de la gauche sénégalaise » m’offrent l’opportunité de parler encore du P.A.I., un devoir de mémoire  en même temps qu’un vibrant hommage aux pionniers de la lutte pour l’indépendance.

Lorsque le P.A.I. naissait, le Sénégal vivait sous le régime de la Loi-Cadre ou Loi DEFFERRE du nom du ministre de la France d’Outre-mer de l’époque. Cette loi votée le 23 juin 1956 par le Parlement français confiait en gros l’administration des territoires d’outre-mer avatar des anciennes colonies, à un conseil de gouvernement présidé par le gouverneur du territoire assisté d’un vice-président élu par l’assemblée territoriale.

Le conseil de gouvernement était chargé des affaires locales, celles dites de souveraineté restant du ressort de la Métropole. Au Sénégal. La vice-présidence du conseil était occupée par Mamadou DIA, l’un des leaders avec Léopold Sédar Senghor du B.P.S. (Bloc Populaire Sénégalais) issu pour l’essentiel de la fusion du B.D.S. (Bloc Démocratique Sénégalais) de SENGHOR et DIA d’une part et de l’U.D.S. (Union Démocratique Sénégalaise) de Abdoulaye GUEYE et Thierno BA d’autre part.

Présentée par les thuriféraires de la colonisation comme la consécration de la volonté de la France d’émanciper  ses sujets, la Loi-Cadre était en fait une tentative très vite avortée d’endiguer le puissant mouvement d’émancipation des peuples colonisés à la fin de la deuxième guerre mondiale et même avant.

En effet, les peuples se soulevaient partout contre l’oppression coloniale. Dans les pays de mouvance juridique française, le Vietnam sous la conduite de H-Chi-Minh proclama son indépendance dès septembre 1945 avec comme conséquence la défaite cuisante de l’impérialisme français à Dien Bien-Phu. Ce fut ensuite l’Algérie où le mouvement nationaliste sauvagement réprimé notamment à SETIF, le jour même de la capitulation de l’Allemagne NAZIE avec plus de 45 000 morts déclencha l’insurrection du 1er Novembre 1954 dont la conséquence immédiate fut l’indépendance de la Tunisie et du Maroc avant celle de l’Algérie elle-même. Auparavant, Madagascar se souleva en 1947. Les émeutes consécutives à ce soulèvement causèrent plus de 80 000 morts dont certains jetés du haut du ciel, d’après Robert LAMBOTTE journaliste à l’Humanité.

Dans l’empire britannique, ce sera la libération de l’Inde en 1947 sous la conduite du Mahatma GANDHI et plus près de nous celle de la Gold Coast devenue le Ghana en mars 1957. Déjà  quelques années auparavant les peuples sous domination avaient fait entendre leurs voix à la conférence historique de Bandoeng en Avril 1955, en Indonésie libérée elle aussi du joug du colonialisme Hollandais.

Tous ces évènements ne pouvaient évidemment pas ne pas avoir de profondes répercussions en Afrique noire sous domination française (Fédérations d’A.O.F. et d’A.E.F.)

A Bamako, capitale de l’ex-Soudan Français actuel Mali, à l’appel d’Houphouët BOIGNY et d’autres parlementaires africains se tint du 1er au 3 octobre 1946 un congrès interafricain qui eut un très grand retentissement malgré l’absence remarquée des députés sénégalais Lamine GUEYE et SENGHOR et la tentative honteuse de sabotage de Fily Dabo SISSOKHO, député du Soudan. Dès ce congrès sortira le Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A.) de glorieuse mémoire. Bien que le R.D.A. n’ait pas pris position pour l’indépendance, il n’en combattra pas moins avec un grand courage pour les libertés démocratiques et pour une union française égalitaire et fraternelle. C’est pourquoi une répression féroce s’abattait sur lui au point que Houphouët BOIGNY son président va opérer en octobre 1950 un revirement spectaculaire.

A cette ligne capitularde des membres du R.D.A. conduits par Gabriel d’ARBOUSSIER secrétaire général du mouvement et Abdoulaye GUEYE secrétaire général de la section sénégalaise du R.D.A. s’opposèrent énergiquement mais en vain.

Parmi ceux-ci qui refusèrent la nouvelle orientation imposée par Houphouët figurent en bonne place les étudiants africains en France qui créèrent dans la foulée en 1950 la FEANF (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France) dont les dirigeants corporatistes du début membres du GAREP furent vite remplacés par d’autres plus radicaux qui s’engagèrent dans la lutte anticolonialiste et optèrent pour l’indépendance  immédiate dès le congrès de 1957 à Paris.

L’action de la FEANF sera relayée en Afrique même par l’U.G.E.A.O. (Union Générale des Etudiants d’Afrique Occidentale) crée par les étudiants africains inscrits à Université de Dakar. A l’U.G.E.A.O.

Des jeunes autres que les étudiants mais en pleine synergie avec eux groupés soit au R.J.D.A. (Rassemblement des Jeunesses Démocratique) soit au C.J.A. (Conseil de la Jeunesse d’Afrique) entrèrent eux aussi dans la lutte et participèrent au Festival de Bamako d’où à la veille du referendum de 1958 sortira une déclaration retentissante sur l’indépendance immédiate.

Sur un autre registre, l’industrialisation amorcée déjà vers la fin des années 30 connut une certaine accélération dans des pays comme le Sénégal au cours du second conflit mondial. Du fait de la guerre qui rendait difficile le ravitaillement des colonies en produits manufacturés, les sociétés métropolitaines se virent contraintes de fonder des succursales hors de l’hexagone. Cette semi-industrialisation fut à la base de l’apparition d’une nouvelle catégorie sociale en rupture avec la solidarité familiale, clanique ou villageoise qui fut autrefois la sienne : les ouvriers et les employés du commerce et de l’industrie.

C’est sur ce fond de bouillonnement idéologique, politique et syndical que retentira comme un coup de tonnerre le 15 septembre 1957 à Thiès, le Manifeste du P.A.I., un document de 12 pages dactylographiés par Malick KAMARA qui vient de paraître.

Après une analyse de la situation nationale et internationale, après un constat sévère mais juste de la pratique politique au sein du B.P.S. le Manifeste se termine par un rappel vibrant à la création d’un parti de type nouveau.

Ce sera chose faite le 17 septembre 1957 au cours d’une assemblée générale tenue à Thiès. Les statuts seront déposés par Abdou Anta KA auprès des autorités compétentes.

L’avènement du P.A.I marquait une rupture radicale avec la conception que se faisaient les partis politiques africains traditionnels des rapports avec la France. Pour la première fois un parti africain hormis l’U.P.C, optait pour l’indépendance immédiate. L’autre innovation majeure introduite par le P.A.I était l’adoption du marxisme léninisme comme guide de son action. Le marxisme avait très peu pénétré en Afrique noire même chez les intellectuels. Rares étaient ceux qui comme le sénégalais Lamine SENGHOR, dont l'anniversaire tombe comme par hasard en septembre, se réclamaient ouvertement du célèbre philosophe allemand.

L’adoption du marxisme impliquait la socialisation de l’Economie. Enfin, le P.A.I préconisait l’unité africaine pour d’évidentes raisons historiques, politiques, économiques et culturelles.

Cette option pour l’unité africaine se retrouvera dans les structures du parti. On oublie souvent que le P.A.I était dès le départ un parti fédéral avec des sections dans presque tous les territoires de l’Afrique noire sous domination française.

Parmi les signataires du manifeste et donc les fondateurs du P.A.I qui est une œuvre collective émerge la figure centrale de Mahjmouth DIOP. D’un courage physique à toute épreuve, orateur puissant et parfois même lyrique, Mahjmouth DIOP après sa révocation par l’Administration coloniale d’Afrique Equatoriale ou il servait comme « pharmacien africain » revint s’établir au Sénégal son pays d’origine. Il ouvrira à Dakar au 108 bis rue de Bayeux une librairie « La Renaissance Africaine » qui sera le siège du P.A.I et contribua beaucoup à la diffusion de la littérature progressiste. Détail savoureux, la librairie où trônait le doyen Babacar SOUMARE, vieux loup de mer et vieux révolutionnaire des temps héroïques du R.D.A, voisinait avec la maison de Joseph GOMIS, un ponte du parti au pouvoir dont la fille malgré les  objurgations paternelles était une fidèle militante du P.A.I.

Quelque soit le jugement qu’on portera sur lui, Majhmouth disparu en janvier 2007 restera un monument de la scène politique africaine. Il faut citer également Seydou SISSOKHO, homme de pensée et d’action, l’un des fondateurs du P.I.T, une des nombreuses organisations de gauche issues du P.A.I. Il mourra à la tâche des suites d’une grave maladie contractée durant la clandestinité. On n’oubliera pas LY Tidiane Baïdy brillant orateur lui aussi lié aux masses et aux militants.

MOUMOUNI Abdou, remarquable intellectuel à l’engagement politique sans faille. Malick KAMARA dont la belle plume souvent trempée dans du vitriol en fera un des rédacteurs en chef de la Lutte, l’organe central du P.A.I, Khalilou SALL, aussi compétent et engagé que modeste, SECK Moussé GUEYE, Samba NIANG, Samba NDIAYE qui en compagnie de Amath DANSOKHO fera de la cité universitaire de Fann un bastion inexpugnable du Parti.

Certains dont les noms ne figuraient pas dans le Manifeste prendront cependant une grande part dans la lutte. Ce sera par exemple le cas de Babacar NIANG qui assumera la direction du parti après sa dissolution et le départ en exil de Mahjmouth DIOP.

Aussitôt né le P.A.I va se livrer à une intense activité d’agitation et de propagande. Cette activité qui sera suivie aussitôt d’arrestations sera relayée par ses journaux :  « La Lutte » et le Mom sa rew. Il n’est pas possible faute d’espace dans le cadre d’un article de presse de relater les hauts faits du P.A.I. J’en citerais quand même deux qui me semblent emblématiques :

La manifestation du 26 août 1958 à la place protêt actuelle place de l’indépendance lors de la visite du général De Gaulle venu à Dakar défendre son projet de constitution dont le fer de lance sera le P.A.I en dépit des tentatives réitérées d’imposteurs dont les vrais acteurs et l’histoire ont déjà fait justice,

Les élections municipales de 1960.

Le P.A.I qui avait profondément pénétré les masses populaires décida de présenter les listes aux élections municipales de 1960 dans certaines villes et notamment à Saint-Louis où sa popularité était si grande que la principale place de la ville fut baptisée Place Mom Sa Rew tandis que les tresses des belles Saint-Louisiennes portaient également le même nom. Les élections remportées de haute lutte par le P.A.I. furent cependant confisqués par le pouvoir U.P.S en place, malgré les manifestations du parti qui aboutirent à des arrestations de plusieurs militants dont celle de Majhmouth DIOP. Le pouvoir en profitera pour dissoudre le Parti en août 1960.

L’action du P.A.I aujourd’hui encore plus de cinquante ans après, revêt rétrospectivement dans l’esprit de tous ceux qui y ont participé à un moment ou à un autre de leur vie, le sens et la valeur d’une épopée. Hélas, le P.A.I dont le rôle fut déterminant dans l’accélération du processus d’accession à l’indépendance des pays d’Afrique noire sous domination française mourra de sa belle mort.

Il mourra certes par la faute de ses dirigeants et par ses divisions internes mais aussi et surtout pour n’avoir pas pu réaliser l’unité du prolétariat et de la paysannerie, un duo sans lequel toute tentative révolutionnaire ne sera qu’un solo funèbre comme disait Karl Marx au sujet de la Commune de Paris.

Abdoul Nancy Kane

Ancien membre de la Direction

du Mouvement des Etudiants P.A.I

à l’université de Dakar.

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