Publié le 27 Dec 2022 - 23:13
MACKY SALL REÇOIT DES ACTEURS DES CULTURES URBAINES

Une audience, mille complaintes

 

Le président de la République a reçu, le jour de Noël, les représentants du mouvement hip-hop, à travers l'initiative Tarru Rap Galsen. Cette audience présidentielle a été l’occasion, pour 25 acteurs, qui représentent toutes les générations de rappeurs, de faire part à Macky Sall de leurs doléances. Ce qui a permis au président Sall de prendre des mesures fortes pour répondre à leurs besoins. Seulement, depuis dimanche, sur les réseaux sociaux, les invités du chef de l’État sont attaqués.

 

À travers l'initiative Tarru Rap Galsen mise sur pied par Moustapha Dieng, ancien membre de Da Brains, 25 acteurs majeurs du mouvement hip-hop ont été reçus au palais présidentiel, le dimanche 25 décembre.  Une palette bien belle d’acteurs des cultures urbaines avec une représentation diversifiée. "Ce moment de discussions directes a été l'occasion, pour ces leaders majeurs des cultures urbaines, de défendre avec de solides arguments leur secteur, en formulant des doléances pour tous et des solutions pertinentes", renseigne le communiqué du ministère de la Culture et du Patrimoine historique, comme pour répondre à tous ceux qui ont attaqué les visiteurs de Macky Sall. Sur les réseaux sociaux, les invités du président ont été traités de ''traîtres''. Ils ont trahi leur public et  leur engagement, les accuse-t-on.

Mais, se demande l’un de ceux qui étaient au palais dimanche, ‘’le président a reçu des artistes d’autres pays devant participer à Afrima. Pourquoi ils ne recevraient pas des artistes sénégalais qui participent à une initiative sénégalaise ? À ce rendez-vous, il n’y avait que les acteurs qui prenaient part à la première édition de Taru Rap Galsen’’.

Joint par ‘’EnQuête’’, ce dernier ajoute que ‘’personne de ceux qui étaient là-bas n’y est allé pour des privilèges personnels. On a profité de cette visite pour partager avec le président les problèmes du secteur et ça a porté ses fruits. Nous avons aussi profité de l’occasion qui nous a été offerte pour demander au président de faire libérer un des nôtres qui est malade et incarcéré depuis plusieurs mois. Et on a une non objection à notre demande de liberté du rappeur Abdou Karim Guèye. Tout, dans le respect du principe de séparation des pouvoirs’’.

Et, confirme la tutelle, cette invitation au sein du palais présidentiel a été une occasion pour ces rappeurs d'étaler leurs doléances. Ainsi, un "pont patriotique solide de vérité et de transparence est établi entre la République et le rap, dans le respect de la liberté et de la particularité artistiques dans la responsabilité".

D’ailleurs, pour satisfaire aux demandes des acteurs, Macky Sall a instruit le ministre de la Culture et du Patrimoine historique, Aliou Sow, qui a pris part à l’audience, de changer le statut du Fonds de développement des cultures urbaines (FDCU). Il deviendra, par conséquent, le Fonds de développement des cultures urbaines et des industries créatives (FDCUIC). Il est également prévu la mise en place d’une direction  avec une administration générale et un conseil d'administration. Les acteurs des cultures urbaines y seront fortement représentés et dirigeront un des deux organes.

En outre, la plus grosse satisfaction de Simon, Matador et Docta, qui ont fait partie de la première cohorte de rappeurs ayant amené Macky Sall à mettre sur pied le FDCU doté de 300 millions F CFA, est l’augmentation de l’enveloppe. Depuis plusieurs mois, ils n’ont eu de cesse de réclamer cela. Ils ont eu un premier gain avec son passage à 600 millions F CFA, alors qu’ils demandaient un milliard. Dimanche, leur vœu a été exaucé.  Ainsi, en 2023, les acteurs des cultures urbaines recevront un milliard F CFA à travers des mécanismes spéciaux.

Par ailleurs, le Bureau des cultures urbaines, logé jusque-là à la présidence de la République, sera désormais rattaché au ministère de la Culture et du Patrimoine historique. Il est prévu une mise à disposition d'un siège national des structures et associations des cultures urbaines. Macky Sall a donné son accord pour la mise sur pied  d’une télévision des cultures urbaines, Hip-Hop TV.

À l’intention de Moustapha Dieng, il a promis des mesures d'accompagnement pour la décentralisation du TRG Show dans toutes les régions du Sénégal et plus tard à l'étranger. Aliou Sow donne le ton, en annonçant que le prochain TRG Show se tiendra à Kaffrine, lors du Fesnac prévu en janvier 2023.

Il y a également le recrutement de 150 jeunes par le programme ‘’Xëyu Ndaw Ñi’’ pour des structures du TRG. Les listes seront transmises au ministre chargé de la Culture dans les meilleurs délais. Il est prévu aussi la convention de partenariat entre les ministères de la Culture et de la Jeunesse et les cultures urbaines sur le contenu culturel des maisons de la jeunesse et de la citoyenneté (MJC), ainsi qu’une mise à disposition de bourses de formation aux métiers de la culture et à l'entrepreneuriat par le 3 FPT. Macky Sall a promis aux acteurs une facilitation pour l'accès aux financements de la Der/FJ des artistes et des entrepreneurs culturels. La mise en œuvre de ces mesures nécessite un suivi que va assurer la tutelle.

En attendant, l’État a accepté de financer un voyage d'étude et de production pour 19 artistes dans un pays ami déjà identifié, mais non encore annoncé officiellement. Toujours pour plus de rayonnement au plan international, les artistes sénégalais auront une place de choix lors du prochain Afrima qui commencera à partir du 8 janvier 2023 à Dakar. La concertation et le partenariat entre les ministères de la Culture et du Tourisme sur les problématiques du loisir avec une implication directe des acteurs des cultures urbaines sont annoncés.

MAXI KREZY - RAPPEUR

‘’Ce que je pense de cette audience…’’

‘’Pour avoir pratiqué ce Game pendant plus de 30 ans, et ayant pratiqué les Sénégalais toute ma vie, j’ai pu apprendre une chose : nous sommes la nation la plus hypocrite qui existe sur cette planète. Nous ne nous soucions que de nos intérêts personnels et sommes prêts à changer nos positions au gré des circonstances. J’ai toujours eu du mal à m'intégrer dans ce système et j’ai dû donner corps et âme pour gagner et garder ma place dans ce mouvement.

Revenant sur cette photo et la polémique d’être reçu par le président de la République, je pense que le débat devrait être ailleurs. En tant que citoyen et porteur de voix, ce serait le plus grand privilège pour moi d’être reçu par le président. Parce que je parle avec lui et son entourage pendant des décennies à travers mes textes, mes interviews et je ne suis même pas sûr qu’il a jamais prêté attention à ces messages indirects. Si j’ai l’occasion, en fin 2022, de lui parler, sans intermédiaire pendant trois heures, je lui demanderai s’il est au courant de la famine qu’il y a au Sénégal, de la dilapidation des terres et des biens, des assassinats et des emprisonnements arbitraires. Je lui parlerai des problèmes des Sénégalais et surtout de son troisième mandat.

Et après tout cela, Je lui parlerai du secteur dans lequel j’évolue, le hip-hop.

Parce que nous avons pris l’engagement d’être la voix des sans-voix, une rencontre avec l’autorité suprême devrait s’axer sur les problèmes des sans-voix. Mais à chaque fois qu’on ressort d’une audience avec le président, on est content parce qu’il a alloué des fonds aux cultures urbaines, il a augmenté le montant à un milliard ! Et c’est tout ? À qui profite ce fonds ? Le hip-hop a-t-il avancé, depuis que ce fonds existe ? N’est-ce pas les mêmes personnes qui se partagent ce fonds ? Et la masse reste démunie ! De quoi vit le hip-hop aujourd’hui ? De fonds politiques et pire, de fonds d’ONG impérialistes qui, désireuses d’implanter leur agenda dans les colonies africaines, utilisent les pseudo-leaders (dealers) d’opinion pour le mettre en place. Et on nous impose des termes comme cultures urbaines, inclusion et j’en passe. Les mêmes personnes s’enrichissent au nom de la masse.

Revenant à cette rencontre, à qui profite-t-elle ? Bien sûr au promoteur qui, comme moi, a décidé de démissionner du hip-hop depuis plus de 20 ans. Il observe la situation politique du pays, le parti au pouvoir est en mauvaise posture et les rappeurs sont affamés. Il initie un projet à coups de millions qui rassemblera toutes ces têtes dures. Ça fait l’affaire du président et l’affaire des rappeurs, et le grand gagnant sera le promoteur qui n’a aucune image à préserver et qui, comme moi, ne vit même plus au Galsen.

Et pourtant sur cette photo, il y a des gens très intègres, qui ne sont mus que par de bonnes intentions et je suis triste pour eux. Le hip-hop est mort et enterré depuis des décennies au Sénégal. Je suis désolé. C’est chacun pour soi et Dieu pour tous ! C’est pourquoi des gens comme moi, incapables de vivre dans cette atmosphère et ne désirant pas finir comme ces artistes pour qui on organise des collectes de fonds ou de tendre la main à des ONG douteuses, avons décidé de tout abandonner pour partir ailleurs, le cœur gros, monnayer notre savoir et savoir-faire, gagner notre vie à la sueur de notre front.’’

Mouhamadou Rassoul KANE (STAGIAIRE)

 

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