Publié le 4 Jun 2020 - 17:25
MENACE DE FAILLITE

L’aéronautique maudit le virus

 

En ces temps de pandémie de Covid-19, des lendemains sombres et incertains se dressent devant les nombreux acteurs de la plateforme aéroportuaire, particulièrement de la jeune compagnie nationale Air Sénégal.  

 

Le plus dur reste à venir. Durement éprouvé par la pandémie de Covid-19, le secteur de l’aviation n’entrevoit le bout du tunnel ni à moyen terme, encore moins dans le court terme. A en croire cet employé du gestionnaire de l’aéroport international Blaise Diagne de Diass, Las, ils vont entrer, dès ce mois de juin, en chômage technique.

‘’Les délégués sont en train de discuter avec les responsables de l’entreprise des modalités. Et les choses risquent d’aller de mal en pis, si les restrictions se poursuivent encore pour longtemps’’, confie-t-il, inquiet. Pour lui, il urge que les gouvernements, à l’échelle de l’UEMOA ou de la CEDEAO au moins, se concertent pour envisager l’ouverture du ciel à la fin de ce mois. ‘’Cela nous permettrait d’être immédiatement opérationnels quand les autres pays auront ouvert leur ciel. Beaucoup de pays s’y préparent, mais au Sénégal, rien ne bouge. Aucune communication n’est faite dans ce sens’’, regrette le spécialiste.

A l’instar de tous les travailleurs de la plateforme aéroportuaire, il va devoir prendre son mal en patience. Au moins jusqu’au 30 juin prochain. Mais que se passera-t-il à cette date ? Les airs seront-ils ouverts à nouveau ? Que se passera-t-il dans les différents marchés du monde ? Pour l’heure, c’est le flou total. A Air Sénégal, l’essentiel des travailleurs continuent de se tourner les pouces. Dans l’expectative, ce responsable dans la compagnie déclare : ‘’Pour l’heure, c’est le flou total. Aucune visibilité par rapport à ça. Depuis la dernière nouvelle annonçant le prolongement de la fermeture des frontières jusqu’au 30 juin, il n’y a plus rien. Nous sommes encore dans une grande incertitude. Nous avons hâte, en tout cas, de reprendre le boulot.’’

L’espoir d’une ouverture de l’espace aérien sous-régional pour une sorte de training
 
Il faut savoir que la compagnie nationale dessert jusque-là 18 destinations, dont les plus rentables sont Barcelone et Marseille, mais surtout Paris qui est la destination phare d’Air Sénégal. La compagnie faisait également des chiffres non-négligeables vers certaines dessertes de la sous-région comme Conakry, Bamako et Abidjan. Mais depuis l’arrêt des activités, le 21 mars dernier, toutes les dessertes, y compris les vols internes, ont été suspendues. D’après les chiffres avancés par l’administration de la boite, le manque à gagner serait de 10 millions d’euros au minimum (chiffres d’affaires au mois de février). Un coup dur pour la jeune compagnie qui ambitionnait d’investir, dès juin, Londres, puis New York en octobre. Ces destinations devaient suivre, après les liaisons Dakar - Accra - Lagos (lancées le 16 mars dernier et suspendues depuis lors) ainsi que celle devant desservir Milan (initialement prévue en avril).
 
Dans ce contexte très dur, ils sont nombreux, les experts, à convenir que la compagnie nationale ne saurait survivre sans un appui conséquent de l’Etat, son principal actionnaire via la Caisse des dépôts et consignations. Laquelle a promis une enveloppe de 45 milliards pour aider l’entreprise à tenir debout, au-delà de la crise. 
 
L’entreprise en aura grand besoin, si l’on sait que les prévisions les plus optimistes font état d’un retour correct des voyageurs à l’horizon 2021. D’autres sources parlent même de 2023 ou 2025.
 
En effet, au-delà de la crise de confiance, il faudra aussi faire face à une baisse considérable des pouvoirs d’achat dans les principaux pays pourvoyeurs de passagers. Selon Edouard Moctar Anyim, auditeur externe, pour les petites compagnies, il faudra batailler ferme pour subsister. ‘’Je dis souvent qu’il y aura trois catégories de compagnie au sortir de cette crise. Il y aura les prédateurs qui iront à l’assaut des petites pour les absorber ; il y aura les proies qui ne pourront pas tenir et qui seront obligées de disparaitre. Au milieu, il y a les compagnies qui ne sont pas aussi grandes pour espérer phagocyter d’autres, mais qui ont suffisamment de ressources et de parts de marchés pour continuer à exister. Je pense qu’Air Sénégal pourrait être parmi les proies pour de grandes compagnies comme Air France. A moins, pour elle, de sortir le grand jeu, en misant sur le patriotisme des voyageurs sénégalais’’.
 
Ainsi, estime l’expert, la concurrence va être rude, face à la raréfaction des clients, même à la suite de la levée prochaine des mesures restrictives. Et cette bataille de positionnement, à l’en croire, devrait commencer maintenant. Mais la compagnie nationale ne semble guère au rendez-vous. ‘’Nous constatons un manque de réactivité de la compagnie, qui donne l'impression d'être trop attentiste. Alors que toutes les compagnies communiquent sur les nouvelles actions mises en place pour assurer la santé, le bien-être et la sécurité des voyageurs en vue de regagner leur confiance, Air Sénégal est aux abonnés absents et c'est dommage. On a un réel problème de communication, marketing et expérience client. Demain, ce seront les axes de progrès’’, signale M. Anyim.
 
Par ailleurs, se pose la question de savoir si le pavillon national est en train de mener une action pour un respect strict des mesures édictées par l’OACI. Selon lui, il faudrait des actions sanitaires rigoureuses, basées sur les recommandations de l’organisation internationale, pour tirer son épingle du jeu. ‘’Nous attendons l’ouverture prochaine des destinations dans la sous-région, même si, pour l’Europe, il faudra attendre au plus tôt octobre. Est-ce que nous sommes prêts pour être d’attaque ? J’en doute. Dans tous les cas, des mois difficiles sont devant la compagnie, sachant qu'une ligne long-courrier est plus rentable’’.
 
A propos des recommandations sanitaires préconisées par l’OACI, la task force qui avait été mise en place a publié ses conclusions, lundi. Le protocole ainsi élaboré recommande fortement le port du masque pour tous les voyageurs, la prise de température aussi bien au départ qu’à l’arrivée, la désinfection des avions, entre autres. Mais par rapport à la nécessité de neutraliser un siège sur deux pour le respect de la distanciation sociale, les experts ont été plus flexibles, en laissant un boulevard aux compagnies. Ces mesures sont valables aussi bien pour les avions que les aéroports.
 
Selon l'Association internationale du transport aérien (IATA), les compagnies aériennes devraient brûler 61 milliards de dollars de cash et enregistrer une perte nette de 39 milliards de dollars, soit 433 millions d'euros par jour.
 
Embarquée dans la même barque, Air Sénégal continue, non sans difficultés, de limiter les dégâts avec les supposés vols de rapatriement, transformés selon certaines accusations en vols commerciaux. La compagnie en est à son quatrième pour 180 passagers issus de la liste du consulat. Si l’on sait que, pour chaque vol, il y a au moins 150 passagers, l’on se demande d’où vient le surplus. En sus de ces vols de rapatriement, les injections financières de l’Etat permettent également de garder l’espoir quant à la survie du pavillon national. 
 
Pendant ce temps, la plupart des entreprises privées de la plateforme aéroportuaire menacent de faire faillite, si l’on en croit de nombreux acteurs. ‘’Même si les vols de rapatriement, sanitaires et le fret arrivent toujours, 95 % de l’activité a disparu. Ce qui ne manquera pas d’impacter lourdement les entreprises privées’’, fait remarquer Edouard Anyim.
 
MOR AMAR

 

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