Publié le 7 Aug 2013 - 14:00
MENUISERIE

Les meubles importés pourrissent les œuvres locales

 

A en croire les professionnels du bois, la menuiserie locale est en train de craquer. En cause, les effets combinés de la concurrence féroce des meubles importés et de la cherté des matériaux de fabrication.

Les menuiseries locales sur une mauvaise charpente. En assemblée générale, vers fin juillet à Thiès, l'Organisation nationale des professionnels du bois (ONP/Bois) a révélé que 80% de la commande de mobilier au Sénégal sont importés.

''Depuis 2005, j’avais dit que si on ne fait pas attention, dans deux ans, la menuiserie va disparaître. Et ce qu’on constate actuellement au Sénégal, c’est qu’il n'y a plus de menuisier au Sénégal parce que 90% de la menuiserie a disparu, car 80% de la commande de mobilier sont importés'', s’étrangle Masseck Diop, secrétaire général de l’ONP/Bois. Constat.

Mohamed Barry tient un petit atelier de menuiserie juste derrière le Canal IV, en face du lycée technique Maurice Delafosse, à Dakar. Cet après-midi de samedi, sous un soleil de plomb, il mesure des planches, trace avec son stylo, le range sous son bonnet, puis coupe le bois à l’aide d’une scie, avant de le passer à son jeune frère Ibrahim chargé de le polir. Juste à côté, il a exposé des lits, des armoires, des tables à manger et de bureaux. En somme, tout ce qu'il faut pour équiper une maison et une entreprise. Pourtant, Mohamed soutient que ce mobilier, exposé depuis plusieurs mois, est en mal d’acquéreur. Selon l'artisan, la morosité économique et la concurrence des meubles importés seraient passées par là. Son cadet, lui, met tout sur le compte de l’importation : ''Parfois, nous proposons des lits, des armoires, à des prix abordables : 150 000 francs Cfa, voire 200 000 F Cfa. Pourtant, certains préfèrent ce qui est importé à la production locale'', déplore Ibrahim, l’air dépité.

Pourtant, en dépit de la canicule et du jeûne musulman, les deux frères se tuent à la tâche, espérant qu’il leur arrivera un jour d’écouler leurs œuvres. Leurs principaux clients, d’après Mohamed, sont des enseignants, directeurs d’écoles, qui commandent parfois des chaises en bois, des tables de bureau, etc. ‘’Aujourd’hui, les menuisiers sont dans la galère. D’ici peu, beaucoup d’ateliers seront fermés, parce que nous n’arrivons plus à vendre. Tu exposes, pendant presque un an, une armoire ou un lit sans arriver à vendre. Et tout ce que nous gagnons, c’est pour payer la dépense quotidienne, le loyer et l’électricité'', se plaint Mohamed.

''Plus de qualité'' mais snobée

A quelques dizaines de mètres, se trouve l’atelier de Pape Doudou Diop. Fauteuils en cuir, tables, chaises meublent le décor aux airs de salon d’un prince arabe, tant la beauté des œuvres attire le regard de passants. Pourtant, tout est conçu et fabriqué par le propriétaire du site, Pape Doudou Diop qui dit cependant être en mal de clients.

''Pendant tout un mois, il nous arrive de ne vendre qu’une seule fois. Et parfois, nous vendons même à perte parce que nous investissons entre 200 000 et 250 000 francs en achat de bois, tissus et autres matériaux qui coûtent trop cher. C’est pourquoi on n’en sort presque pas'', explique le menuisier.

A en croire l'artisan, la seule chose qui marche pour eux, c’est la réparation. D'après lui, beaucoup préfèrent acheter des meubles importés qui, usés où endommagés après 7 à 8 mois, sont amenés chez les menuisiers locaux pour réparation. ''Il y a davantage de qualité dans la menuiserie locale parce que nous travaillons avec du bois dur, alors que les meubles importés sont faits avec du carton et se détériorent très vite'', compare Pape Doudou Diop.

Gérant d’un atelier à Gueule Tapée, Baye Seck, abonde dans le même que ses autres camarades menuisiers. Pour lui, il est temps de mettre un terme à ce qu’il appelle ‘’la dictature de l’importation, si on ne veut pas tuer le secteur de la menuiserie locale. Je suis dans ce secteur depuis plus de quinze ans, mais je peux vous assurer que ce n’est plus comme avant (...) Qu’allons-nous devenir si ça continue'', s'interroge-t-il. Le quinquagénaire d'ajouter : ‘’Aujourd’hui, nous n’arrivons plus à payer toutes nos charges d’électricité, d’eau, salaires. C’est difficile.''

Néanmoins, les menuisiers parviennent à écouler des produits lors des grandes fêtes religieuses (Pâques, Noël, Tabaski, Korité), selon Pape Doudou Diop.

Refuge de jeunes en rupture d'école

Le coupable de cette morosité est tout désigné, le gouvernement : ''Un État doit être responsable. On ne peut pas développer un pays en laissant en rade l’artisanat parce que c’est le moteur du développement’’, peste le secrétaire général de l’ONP/Bois, Masseck Diop.

De quoi alerter notamment à l'Assemblée nationale où la député Katy Cissé Wone entend porter le débat par le biais d'une question orale sur l’importation du bois. D'ailleurs, invite M. Diop, le président de la République devrait être saisi de la question et appuyer la députée Katy Cissé Wone pour en faire un enjeu national. D'autant plus que ce sous-secteur de l'artisanat est une niche d’emplois et un refuge pour jeunes en rupture d'école. ''Tous les enfants qui quittent très tôt l’école sont confiés à des menuisiers qui leurs apprennent le métier’’, fait savoir Pape Doudou Diop. Qui lance un appel au pouvoir : ''Tout ce que l’Etat peut faire pour sortir la menuiserie de cette crise, c’est de réduire les prix du matériel : le bois, l’éponge, les tissus, qui augmentent de jour en jour. Mais aussi, il doit un peu freiner les importations.''

 

Une valeur de près de 11 milliards importée en 2010

D'après une étude réalisée sur le marché de l'ameublement et des huisseries au Sénégal par l'organisation non gouvernementale Kora, programmes ressources développement, les importations de meubles vers le Sénégal s'élevaient en 2009 à 10 milliards 235 millions de F Cfa. Au dernier trimestre de l'année 2010, renseigne la même étude, elles s'élevaient à 10 milliards 845 millions. La même source informe que les professionnels du bois sont estimés au Sénégal à plus de 50 000 personnes.

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