Publié le 22 May 2020 - 18:45
Niamatoss UNE CHRONIQUE MÉDIA

Un peuple, un but, quelle foi ?

 

"Les hommes peuvent atteindre un but commun sans emprunter les mêmes voies", dixit Amadou Hampaté Bâ. Heureusement ! Autrement, vu la diversité de voies (de foi ?) qui sont celles des croyants, il y a lieu de penser que les portes du paradis risqueraient d'être bien étroites. Ce n'est pas, à vrai dire, une spécificité sénégalaise. Toutes les religions révélées, que ce soit le judaïsme, le christianisme ou l'islam, ont donné lieu à une foultitude de chapelles et aux querelles qui vont avec.

La décision de l'Etat de faire rouvrir les mosquées, après deux mois de fermeture, a laissé éclater de sérieuses divergences chez les fidèles et leaders religieux des confréries musulmanes, notamment.  Prier ou ne pas prier à la mosquée est devenu un objet de débat jusque sur les plateaux de télé et, surtout sur les réseaux sociaux, de fort inattendue manière et de dangereuses perspectives pour la cohésion nationale.

TIRS CROISES - Les exemples sont sans doute nombreux, mais j'en choisirai un qui, apparemment, a marqué pas mal de téléspectateurs qui ont regardé l'émission ‘’Jakaarlo’’ de la TFM, vendredi dernier. Deux des chroniqueurs ont littéralement pris à partie un de leurs invités, le nommé Mame Ousmane Ndiaye, "professeur théologien en sciences coraniques". Le crime de celui-ci ? Avoir expliqué, en se fondant sur le ‘’fikh’’ (jurisprudence musulmane) le refus d'une partie de la communauté musulmane de retrouver le chemin des mosquées.
 
Disant s'appuyer sur le "fiqh an nawazil" (interprétation temporelle des règles de la charia appliquée aux situations nouvelles) l'invité affirme, sans ambages, que choisir d'ouvrir les mosquées, c'est exposer les gens à la maladie. Mais le Pr. Ndiaye a manqué de doigté, en mettant en lumière un peu trop son appartenance confrérique dans ses explications, - "je salue le khalife général des tidianes, parce qu'il a assumé ses responsabilités", a-t-il dit - et quelques autres ténors de sa confrérie cités au passage. Ce faisant, il a ouvert, de facto, la fenêtre de tir à tous ceux que ses développements insupportaient.  Bang ! Les deux chroniqueurs ont vu rouge, estimant peut-être, que sans la nommer, le théologien mettait en cause l'autre partie de la communauté musulmane qui a fait le choix d'aller prier dans les mosquées, malgré le contexte de pandémie.
 
Les premières salves sont venues du plateau et dans un raisonnement qui a paru bien alambiqué. "Nous sommes en République, et il n'y a pas que des musulmans dans le pays...". Bigre ! Et après ? Mais qu'attend-on d'un théologien islamique sur un plateau de télévision, sinon qu'il donne ce qu'il considère comme la position émanant du droit et de la jurisprudence islamiques ? Encore que même les catholiques que le chroniqueur cite n'ont pas voulu ouvrir leurs églises, en dépit de la nouvelle directive étatique.
 
DERIVES - "Désolé, dit-il, en substance, visiblement enragé, mais tout ce que vous avez dit, vous vous y prenez mal en ne prenant que des références chez les tidianes...". Le chroniqueur a raison sur ce point. Le théologien aurait dû s'arrêter à ce qu'il en sait en tant que connaisseur de la science islamique et faire abstraction de sa sensibilité confrérique. Et de longues explications suivirent de la part du même chroniqueur pour justifier la position de Touba sur le sujet.  
 
Au téléphone, un tonitruant télé-chroniqueur (une corona-innovation ?) allait aussi venir réduire en cendres les idées défendues par le théologien. Un professeur de médecine, Abdoul Kane, présent sur le plateau, rappelle que, a priori, on n'assouplit pas des mesures de confinement quand l'épidémie hausse, quand la transmission communautaire ne recule pas et que l'appropriation par les communautés n'est pas effective non plus. Pour éviter ces dérapages, l'invité aurait pu, à la préparation de l'émission, s'il y en a eu, être bien cadré sur l'essentiel et les pièges à éviter. En ne le faisant pas, le ver était déjà dans le fruit.
 
DIEU POUR TOUS... LE MARA POUR CHACUN - Un débat donc (par procuration ?) entre positions antagonistes pourtant toutes en quête de faire partie des ahl at-taqwa, "les gens de la piété", via un théologien présent sur le plateau et des chroniqueurs mettant en avant leur confrérie. Après le journalisme militant, voici une nouvelle ère !
 
Cet épiphénomène constaté à la télé (et d'autres formes de rivalité entre adeptes de confréries dans des émissions) est témoin de certains dangers qui guettent les médias quand il s'agit de sujets aussi passionnels et sensibles que la religion. D'ordinaire, c'est plus souvent la liberté de la presse qui est mise à mal, quand il est question de traiter de la foi, notamment la faculté, pour les journalistes, de pouvoir se saisir des sujets de la religion ou impliquant des religieux et les évoquer à leur guise. Mais la liberté de la presse est aussi importante que la responsabilité de la presse, celle qui consiste à ne pas favoriser les débats de la division. Les confréries sont un sujet trop sensible au Sénégal.
 
Il y a l'islam et la tarikha pour beaucoup de musulmans sénégalais ; et pour bon nombre d'entre eux, la confrérie ou tarikha passe avant tout. C'est une singularité du ‘’pays de la Téranga’’ que certains considèrent aussi comme un "socle social" et rempart contre l'extrémisme : Dieu pour tous, mon marabout et ma confrérie (intouchables) pour moi ! Quelqu'un insulterait le bon Dieu dans la rue, on le traiterait de fou en rigolant à gorge déployée. Il invectiverait un marabout, gare à sa gorge, cette fois en mode deux morceaux.
 
De grâce, évitons de transformer nos plateaux télés et antennes radios en champs de bataille d'opinions confrériques. La nation en perdrait à tous les coups. Les fondateurs des confréries eux-mêmes se sont toujours distingués par leurs discours faits de respect mutuel et de modération qui devraient inspirer tous leurs disciples.
 
Dans ses ‘’Principes internationaux de l'éthique professionnelle des journalistes", publié en 1983 et qui a inspiré bon nombre de codes de la presse, l'Unesco, en son point 7, indique ceci : "Les normes professionnelles du journalisme prescrivent le plein respect de la communauté nationale, de ses institutions démocratiques et de la morale publique." Et le CNRA dans tout cela ? Pourquoi pas un rappel à l'ordre en temps réel. Cela vaut mieux qu'un bulletin dans deux mois...
 
PÉPESSOU

 

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