Publié le 31 Dec 2018 - 18:28
PAP2, DETTE, PETROLE, GAZ, TENSION TRESORERIE, DER…

Pr. Latif Dramani passe 2018 à la loupe 

 

L’année 2018 a été chargée, sur le plan économique. Elle a coïncidé avec la fin de la 1re phase du Pse et l’élaboration du 2nd Plan d’actions prioritaires (Pap2) pour 2019-2023. Avec ‘’EnQuête’’, l’économiste et enseignant-chercheur au Centre de recherche en économie et finance appliquées à l’université de Thiès, Latif Dramani, décrypte les évènements phares qui ont marqué cette année riche en polémiques.

 

Groupe consultatif de Paris

L’année 2018 a coïncidé avec la fin de la mise en œuvre du Programme d'actions prioritaires (Pap) 2014-2018 du Plan Sénégal émergent (Pse). Le coût global de ce plan était arrêté à 9 685,6 milliards F Cfa. Et le financement attendu des partenaires techniques et financiers (Ptf) était évalué à 1 853 milliards de F Cfa. Le 24 février 2014, lors du 1er Groupe consultatif de Paris tenu par le régime de Macky Sall, ces Ptf avaient annoncé vouloir mettre à leur disposition 3 729 milliards de F Cfa. Ce qui couvrait à 201 % le gap de financement du volet public de ce Pap. A l’heure du bilan de la mobilisation effective de ce montant sur une période de 5 ans, leur engagement a été bien au-delà. Le montant total des financements alloués à l’Etat est de 6 606 milliards de F Cfa répartis en 173 conventions signées, soit un taux de concrétisation des engagements financiers de 177 %.

Etant dans une phase ‘’classique’’, comme tous les pays qui veulent émerger, le Sénégal bénéficie de la ‘’confiance des bailleurs’’, selon l’économiste Latif Dramani. ‘’C’est à mettre à l’actif du gouvernement actuel et tout ce qui a été fait jusque-là, par les gouvernements précédents. En tant qu’économiste, ce qu’on voit, c’est que le Sénégal essaie de suivre sa vision d’émerger à l’horizon 2035’’, poursuit l’enseignant-chercheur au Centre de recherche en économie et finance appliquées de Thiès (Crefat), dans un entretien avec ‘’EnQuête’’.

Toutefois, pour y arriver, le Dr Dramani indique qu’il faut un ensemble d’investissements, d’actions et de réformes. ‘’On a une croissance assez soutenue depuis environ 5 ans. Ce qui signifie que le pays est sur la rampe. Les conditions initiales pour le décollage sont en train d’être consolidées. Mais il faut que dans les 5 prochaines années, le taux de croissance reste au même niveau ou plus. Qu’on puisse aller jusqu’à 8 % pour avoir cette émergence à l’horizon 2035. Il faut maintenir la tendance’’, dit-il.

A ce propos, le président de la République a soutenu, lors de son discours devant les bailleurs à Paris : ‘’Je suis sensible à cette marque de confiance placée en notre pays. Le secteur privé sera au cœur de la deuxième phase du Pse. Et au bout de 5 ans, s’il plait à Dieu, on pourra dire que l’espoir n’a pas été vain.’’

Il convient de noter qu’avec la première phase du Pse, l’Etat s’était engagé à une transformation structurelle de notre économie. Mais malgré les efforts, l’économie continue de dépendre largement des secteurs primaires et tertiaires. Ce que l’économiste considère comme le ‘’déroulement normal’’ des choses. Car, d’après lui, pour un changement structurel d’une économie, il faut au minimum 15 ans. Entre le moment où on prend une décision de politique économique et celui qu’on voit ses fruits, c’est environ 4 à 5 ans. ‘’C’est le retard dans la transition des politiques économiques. Il y a eu des décisions qui sont prises par les autorités pour pouvoir impulser ce changement structurel. C’est au bout de 5 ans au minimum qu’on va commencer à voir leurs fruits. Donc, on ne peut pas dire aujourd’hui qu’il y a eu un échec. On n’est pas encore dans une phase d’évaluation. Il faut laisser le temps au temps, pour voir si les choses vont marcher ou pas’’, a-t-il expliqué.

La dette publique et les infrastructures : ’Il n’y a pas beaucoup à s’alarmer’’

En attendant de voir le fruit de ce travail, il faut rappeler que l’année 2018 a été marquée par la question de la dette publique. Même si, du côté du gouvernement, on la juge soutenable avec un taux de 49 % du Pib contre 47,7 % en 2017, le Fmi, lui, a appelé à la prudence. Et, le Premier ministre, Boun Abdallah Dionne, a soutenu, lors de la 18e session des Assises économiques du Mouvement des entreprises du Sénégal (Meds), le 6 septembre dernier, que ‘’c’est de la bonne dette, celle qui est investie’’.

Ainsi, selon le Pr. Dramani, ‘’il n’y a pas beaucoup à s’alarmer’’. Parce que tout dépend de ce qu’on fait de la dette. ‘’Dans l’histoire des pays africains, il y a eu ‘les éléphants blancs’. Ils prenaient de l’argent public, celui de la dette, pour faire des investissements qui ne servaient pas aux populations. Or, avec ce qu’on est en train de voir aujourd’hui, c’est que le Sénégal et la plupart des pays en Afrique, sous la poussée démographique, on est à une nouvelle époque. Les gouvernements sont de plus en plus soucieux de la demande sociale et du bien-être des populations. Les investissements que nous sommes en train de voir sont structurants’’, dit-il.

Ceci, avec les autoroutes pour la fluidité de la circulation, la mobilité pour aller travailler, etc. Ce qui va, d’après lui, participer à fluidifier l’activité économique et donner un coup de fouet à ceux qui veulent faire leur business. Par rapport au taux d’endettement, l’économiste souligne que les pays les plus riches au monde ont un taux d’endettement élevé. C’est l’exemple des Etats-Unis. ‘’Mais ce que les économistes recommandent, c’est que la dette puisse être productive. Qu’on puisse l’utiliser pour faire des investissements structurants et pour des générations futures. Parce que ce sont elles qui vont payer cette dette. Le taux du Sénégal n’est pas encore très élevé, comparé à la norme de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa). Il faut de la qualité dans les investissements qui vont dériver de cette dette-là’’, exhorte-t-il.

Mahammed Boun Abdallah Dionne a souligné, lors de cette rencontre avec le Meds, que ces infrastructures ‘’appartiennent’’ au Sénégal. Toutefois, même si ces infrastructures sont clés pour la croissance économique, il faut qu’on puisse voir leur coût d’accès. ‘’En regardant les normes, on voit aussi que certaines infrastructures sont mises en œuvre et leur coût d’accès est plus élevé. Ce sont les questions qu’on doit revoir. On fait des infrastructures pour les populations. Mais, à terme, il ne faut pas qu’elles deviennent un bien de luxe. Par exemple, quelqu’un qui doit prendre l’autoroute doit payer 5 000 F Cfa pour faire 100 000 km, alors que dans un pays limitrophe, on paie trois fois moins. Ce qu’on souhaite, c’est qu’on nous donne le juste prix. Parce que c’est l’argent public qui est utilisé’’, préconise-t-il.

Donc, pour le professeur du Crefat, il faudrait que cela puisse profiter à ceux qui sont en train de payer aujourd’hui et ceux qui vont le faire demain.

Il y a cette question de la qualité des infrastructures dont il pense qu’elle doit être évaluée de même que le coût d’accès. ‘’Il faut un coût social qui n’est pas très élevé. Ce qui se passe à Diamniadio a été pensé depuis une quinzaine d’années environ, depuis 2005, avec le premier Compact, le Mca, Mcc, etc. Aujourd’hui, on se rend compte que Dakar a besoin, en tant que vitrine de l’émergence du Sénégal, d’un nouveau souffle. Ce que Diamniadio va apporter. Au-delà, qu’il y ait aussi des Diamniadio dans le centre du pays. On a vu l’expérience qui se passe avec le pôle Casamance. On veut voir quelque chose de la sorte à Saint-Louis, Matam, dans le Ferlo, etc.’’, dit-il. Ainsi, M. Dramani juge nécessaire l’installation des pôles de développement pour permettre à la croissance d’être inclusive, partagée, beaucoup plus proche des populations. ‘’C’est ça notre cri du cœur. On a certes initié un processus, mais il doit se répercuter à l’échelle nationale. C’est une expérience qui est encore à un niveau régional. Diamniadio va apporter un coup de pouce à l’économie. Mais ceci pourrait être un effet beaucoup plus catalyseur, si on avait plusieurs expériences de ce genre à travers le pays’’, fait-il savoir.

Tension de trésorerie

Niée puis reconnue par le ministre de l’Economie le mardi 13 novembre, en marge de la Revue conjointe du portefeuille des opérations de la Banque mondiale au Sénégal, le débat sur la tension de trésorerie soulevé par l’ancien Premier ministre Mamadou Lamine Loum et le parlementaire Mamadou Lamine Diallo a fait les choux gras de la presse, en 2018. Selon Amadou Ba, une telle situation s’explique par la hausse du prix du baril de pétrole de près 80 % et du cours du dollar non répercuté sur les prix du carburant et de l’électricité. Ce qui constitue un manque à gagner de recettes fiscales de plus de 100 milliards par an.

‘’C’est un choix voulu par le gouvernement, du fait de la politique sociale menée par le président de la République’’, a précisé le ministre en charge des Finances.

Mais pour l’économiste, ce débat ‘’fait partie de la rumeur’’. ‘’Même s’il y a eu une tension, elle ne se manifeste pas sur le plan social. Il faut qu’on ait des indicateurs avancés de conjoncture pour savoir si la tension de trésorerie qu’on observe est en train de se manifester sur le secteur réel. On va le ressentir dans le panier de la ménagère. Mais, actuellement, ce n’est pas le cas au Sénégal. Nous n’avons pas souvenance qu’il y a eu un mois où les gens n’ont pas reçu leur salaire. Il y a eu peut-être des retards de quelques jours’’, analyse-t-il.

Selon le Pr. Dramani, il n’y a pas de faits économiques qui montrent qu’au Sénégal, pendant un mois, le gouvernement n’a pas payé les salaires. ‘’Il peut y avoir des tensions liées à la trésorerie publique. Mais cela fait partie de la routine. A priori, ce n’est pas un problème. C’est normal. La trésorerie n’est jamais plate. Elle est assez dynamique. Nous n’avons pas de tension de trésorerie qui se manifeste sur le plan social, avec des grèves pour réclamer des salaires, etc.’’, relève-t-il.

L’exploitation du pétrole et du gaz

Depuis 2014, des découvertes importantes de gaz et de pétrole ont été faites au Sénégal. Il s’agit du puits offshore du champ de Grand Tortue de 560 milliards de mètres cubes ; Teranga 140 milliards de mètres cubes pour le gaz et du bloc Sangomar pour le pétrole. Mais, cette année, les choses se sont plus concrétisées avec la signature d’accords et le vote de lois pour l’exploitation de ces ressources naturelles.  Le gouvernement a lancé, le 2 octobre, un appel d’offres afin de céder les blocs Sénégal offshore sud (Sos) et Sénégal offshore profond (Sosp). Et une loi n°16/2018 autorisant le président de la République à ratifier l’accord de coopération inter-Etats portant sur le développement et l’exploitation des réservoirs du champ Grand Tortue Ahmeyim entre le Sénégal et la Mauritanie, signé le 9 février 2018 à Nouakchott, a été voté le 1er juin. Après cette disposition de la loi, les gouvernements mauritanien et sénégalais auront chacun 50 % de ces ressources. Et ce 21 décembre, le chef de l’Etat Macky Sall et son homologue Mouhamed Ould Abdel Aziz ont signé des accords dans ce cadre. ‘’Ce travail est mené en parfaite coordination entre les deux pays, sous l’égide des président Macky Sall et de son homologue mauritanien Mouhamed Ould Abdel Aziz. Et ce, d’une part, avec les compagnies pétrolières internationales Bp et Kosmos, d’autre part’’, informe le communiqué du ministère du Pétrole et de l’Energie du Sénégal.

En fait, ce travail porte sur 4 points essentiels. Il s’agit de la Convention régissant la fiscalité applicable aux sous-traitants, de l’Accord de financement, du Protocole d’accord de commercialisation du Gnl et de l’Autorisation d’exploitation.

Pour le Pr. Dramani, il s’agit d’une question géostratégique. ‘’Les gisements découverts sont à l’intersection des deux pays. Naturellement, c’est le droit international qui s’applique avec les conventions. Ce n’est pas quelque chose on-shore. Sinon, le Sénégal n’aurait pas pensé à signer quelque chose avec la Mauritanie’’, explique-t-il. Mais vu que c’est presque à la frontière, le plus important, ce sont les questions de cohésion sociale. Pour lui, avant qu’on ait la croissance, la plus grande réussite que les pays ont, c’est la stabilité et la paix. ‘’Donc, c’est une bonne initiative que ces pays puissent s’entendre et qu’il ait un climat apaisé pour pouvoir exploiter les ressources, en vue de permettre aux populations respectives d’en bénéficier. On espère qu’il y aura des mécanismes pour y arriver. Car c’est des biens publics générationnels’’, soutient-il.

Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca)

En dehors, des accords signés entre le Sénégal et la Mauritanie pour l’exploitation de ces ressources naturelles, il convient de souligner que sur le plan commercial, le pays en a signé un autre pour le processus d’intégration de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). A ce propos, des réunions ont été organisées entre les acteurs du privé national et les responsables du ministère du Commerce, notamment la Direction du commerce extérieur. Sur ce point, notre interlocuteur a rappelé que, dans la sous-région, le Sénégal est le 4e pays le plus puissant. On a le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal ; et au sein de l’Uemoa, il est le 2e. ‘’Un pays avec cette allure doit pouvoir montrer ses ambitions. Sur le plan stratégique et géostratégique, la question de la signature d’une convention ne pose pas de problème. L’essentiel, c’est de se dire, en signant la convention, le pays se met avec des gens d’autres pays qui sont plus ou moins puissants. Ce n’est pas un jeu à somme nulle’’, a-t-il souligné.

MARIAMA DIEME

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