Les raisins de la corruption***
« Le Calvaire ou Golgotha, c’est le nom du mont situé près de Jérusalem sur lequel le Christ aurait été crucifié. En référence au martyre qu’a souffert le fils de Dieu, le terme a évolué pour désigner une souffrance ou une situation insupportable. Et de ce point de vue, on peut dire effectivement ce qu’ont vécu que les populations de certains quartiers de Dakar et de sa banlieue au cours des deux dernières semaines constitue un calvaire. Rien que la canicule qui frappe la capitale depuis le milieu de ce mois de septembre est déjà insupportable. Alors quand ses effets sont aggravés par un manque d’eau qui s’étale sur plus de quinze jours au cours desquels ces mêmes habitants ont vécu une diète totale, n’ayant pas la moindre goutte d’eau à boire, ne parlons pas de cuisine et de faire leur toilette, y compris intime, on comprendra effectivement les souffrances indicibles vécues par ces Dakarois et ces banlieusards(…) ». Ces propos de notre brillant confrère, Mamadou Oumar Ndiaye, Directeur et éditorialiste de l’hebdomadaire, « le Témoin », décrit dans son dernier numéro (1138 du 26 au mercredi 2 septembre) avec une rare pertinence les conséquences d’une pénurie inattendue qui affecte gravement l’image de la capitale sénégalaise tant vantée pour sa prétendue beauté. A cette crise de l’eau, s’ajoutent les délestages intempestifs. Par manque du précieux liquide, la Sénélec ne parvient plus à conditionner le fuel destiné à ses centrales.
Tuyau, mensonges et exaspération populaire
Le summum de l’exaspération émane de la communication des sociétés d’eau et du gouvernement. Tergiversations, atermoiements, et mensonges délibérés ont fini de mettre à bout des populations tolérantes et laborieuses. Ils ont promis tous les jours le rétablissement de la fourniture d’eau. Aucune goutte dans les robinets quinze jours durant. Dans toute école de journalisme ou de communication digne de ce nom, on enseigne aux journalistes en devenir que la pire des erreurs que peut commettre un communiquant dans un contexte de crise est le mensonge. Dans le cas qui nous intéresse, le mensonge initial aux premiers jours de la pénurie a été fatal à la crédibilité de la Sde et de la Sonees. Se souciant peu de leur discrédit, les plus hautes autorités ont persévéré dans les dénégations. Comme rien de durable ne se bâtit dans le mensonge, leurs dernières illusions se sont envolées avec l’explosion du tuyau due à une forte et imprévue pression de l’eau. Si l’explosion du tuyau était envisagée, il n’aurait pas dû « péter ». Malheureusement, tel a été le cas.
« Dans le cas précis de ce faux accident de Keur Momar Sarr, les politiques ont encore infligé aux citoyens contribuables de ce pays une formidable démonstration de mauvaise foi. Quand il s'agit pour eux de vivre aux crochets de nos pauvres impôts, c'est normal puisque, eux aussi, ils rendraient service à la collectivité nationale. Mais lorsqu'il est question qu'ils jettent l'éponge pour incompétence avérée, ça devient une autre affaire ! De fait, de ce drame entretenu des populations dakaroises pendant une dizaine de jours, rien ne semble devoir en ressortir : tous les éléments du «système» liés à la chaîne du fiasco sont encore en place, rien ni personne ne bouge. Zéro sanction. Normal : ils sont tous responsables, mais personne d'entre eux n'est coupable. Nous sommes là en présence d'un signe extraordinaire de complicités enchevêtrées, de relations d'affaires imbriquées quelque part dans et à la périphérie de l'Etat, et de copinages, au-dessus des intérêts nationaux. » S’offusque à juste titre notre jeune confrère Momar Dieng, rédacteur en chef du quotidien « L’enquête » dans son blog. Scandalisé, notre brillant analyste accable le pouvoir et met à nu les dysfonctionnements et le système de corruption qui nous a valu ces inoubliables déboires qui ont durablement ruiné l’image du pouvoir marron et beige : « Si les autorités de ce pays, sur cette affaire bien précise, étaient mues par les principes de bonne gouvernance, elles auraient tenu un langage de vérité sur la réalité de cet accident imaginaire, en lieu et place de ce cumul inarrêtable d'annonces fausses destinées à rassurer à tout prix. Si elles étaient courageuses et en accord avec les principes déclamés, elles auraient agi depuis longtemps, à deux niveaux : punir la chaîne opérationnelle technique et administrative à l'origine du désastre ; et limoger la chaîne dépositaire de la responsabilité politique. Mais rien !
Il y a autre chose, un sous-scandale dans le scandale : comment est-il possible qu'une conduite payée 11 milliards de francs Cfa, chiffre lâché par le ministre de tutelle Pape Diouf, pour une durée de vie de 30 ans, a-t-il pu défaillir à plusieurs reprises après 9 ans de services ? Accident ? Surtout pas ! Le terme a été manipulé en outil de communication de masse pour laisser une porte de sortie au gouvernement. Car véritablement, il s'est agi de mal gouvernance pour que ce qui est arrivé ait pu être possible. En l'espèce, cette affaire nous renvoie à ces routes (et aux autres infrastructures) inaugurées en grandes pompes et qui se transforment en latérite après quelques passages de véhicules. Corruption… »
Corruption. Le mot est lâché. En fait, tous nos malheurs, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté, trouvent leur source dans cette corruption insidieuse ou ouverte qui gangrène nos élites politiques, économiques, culturelles et parfois religieuses. Les marchés se concluent souvent par des dessous de tables même si la tendance est à la baisse avec l’avènement de l’Agence de régulation des Marchés publics
(ARMP). La frénétique compétition sociale contraint certains cadres supérieurs, des fonctionnaires de la haute administration, des généraux, des diplomates et des citoyens lambda à se perdre dans les abîmes de la corruption, des malversations, de la concussion et autres magouilles. Même certains parents catholiques réputés intègres succombent à la tentation. Le détournement récent dans une célèbre librairie de la place en est une parfaite illustration. Tout cela pour dire in fine qu’il est temps qu’on se ressaisisse si on veut être un pays émergent respecté par la communauté internationale. Que valent une villa cossue dans les quartiers huppés, une luxueuse 4x4, des comptes bancaires dans les paradis fiscaux et des appartements dans les grandes villes occidentales par rapport aux intérêts des populations assoiffées, délestées, et paupérisées ? Certaines élites, abonnées aux malversations, doivent relire s’ils sont des musulmans convaincus ces versets coraniques tirés d’ IZA ZOULZILATI « Fa man yakhmal miz khala zaratin khayeran yaraho, Fa amal yakhmal miz Khalati zaratin charan yaraho » (traduction littérale : Celui fait du bien du poids d’un atome sera récompensé à l’au-delà, celui qui fait du mal du poids d’un atome sera châtié ». A bon entendeur….