Publié le 22 Feb 2020 - 20:40
PLASTIQUE, ENSEIGNEMENT SUP, TABAC…

L’Etat impuissant face aux lobbies et à l’argent

 

En principe, nul n’est censé ignorer la loi. En réalité, tout le monde l’ignore. Même le gouvernement qui, quand il s’agit d’élaborer des textes, de ratifier des traités, fait office d’un grand champion en Afrique et même dans le monde. Mais quand il s’agit de les mettre en œuvre, le Sénégal se retrouve à la queue du classement.

 

Dans la jungle, c’est la loi du plus fort. Dans les sociétés civilisées, c’est plutôt le règne de la règle de droit. Laquelle régit les rapports entre les individus, mais aussi entre l’Etat et ces derniers. Au Sénégal, des lois sont votées à tort et à travers. Mais souvent, elles sont rangées au placard. Face au veto des lobbies religieux, économiques et sociaux, l’Etat, à des fins politiques, voire politiciennes et pour des motifs financiers, renonce à l’application de certaines lois dont les effets positifs ne peuvent souffrir d’aucune contestation sérieuse.

Le ras-le-bol des enseignants du supérieur

Ce n’est pas le chargé de revendications du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes) qui dira le contraire. Il s’appelle David Célestin Faye. Il est presque au bord de l’effondrement, quand il parle des menaces permanentes de grève dont fait état son organisation. La voix étreinte, il déclare : ‘’Je vous assure hein… Ne croyez pas que nous allons en grève de gaieté de cœur. Bien au contraire !’’ Très dépité et amer, il explique que le dernier préavis du Saes n’a pour finalité, ni plus ni moins, que de demander au gouvernement de respecter, d’appliquer les lois qu’il s’est volontairement dotées. Parmi ces dernières, il y a le décret 2016-1805 abrogeant et remplaçant celui de 2013 relatif à l’orientation et à l’inscription des bacheliers dans les universités publiques et les établissements publics d’enseignement supérieur.

Lequel était motivé par les nouvelles dispositions contenues dans la loi 2015-26 du 28 décembre 2015. Aujourd’hui encore, ni l’un ni l’autre ne sont effectifs. Ce qui eut le mérite de placer les syndicalistes du Saes dans tous les gonds. Ces derniers, qui ne tolèrent pas du tout que l’Etat s’assoie sur ses propres lois, promettent d’être sans état d’âme, car il est hors de question de laisser les pouvoirs publics continuer de violer la législation. ‘’Nous prenons l’opinion publique à témoin. Nous avons tout fait pour amener l’Etat à la raison. Nous discutons depuis 2017, mais l’Etat continue de trainer. Or, c’est lui qui a fait sa proposition, qui l’a fait voter à l’Assemblée nationale par sa majorité, qui a fait prendre le décret. Pourquoi, depuis 2016, on refuse de passer à l’ultime étape qui consiste en son application effective ? Encore une fois, nous ne tirons aucun profit financier de cette loi, mais il y va de la qualité du service de l’enseignement supérieur qui nous intéresse au plus haut point’’, a dénoncé Célestin avec vigueur, le week-end dernier.

Outre le recrutement des recteurs par appel à candidatures, ces textes prévoient que l’orientation des étudiants doit se faire en collaboration avec les services pédagogiques des universités et selon les places disponibles.

Les ravages du péril plastique

Pendant que les enseignants bandent les muscles pour réclamer l’effectivité des lois régissant le secteur de l’éducation, d’autres secteurs pleurent les lois qui leur avaient, pourtant, donné tant d’espoir. Dans le domaine de l’environnement, ils étaient nombreux à applaudir des deux mains l’adoption de la loi 2015-09 du 21 avril 2015, relative à l’interdiction de la production, de l’importation, de la détention, de la distribution, de l’utilisation de sachets plastiques de faible micronnage et à la gestion rationnelle des déchets plastiques.

Si, aux premiers jours de son entrée en vigueur, le 4 janvier 2016, il était devenu difficile de trouver de petits sachets, aujourd’hui, les sachets pullulent comme des champignons, partout à travers le territoire national.

Dans un article du célèbre journal américain ‘’The Gardian’’ intitulé ‘’Where does your plastic go ?’’, repris par Greenpeace, en juillet dernier, il était révélé que le Sénégal était une des destinations privilégiées des déchets plastiques américains. ‘’Le Sénégal aurait, à lui seul, importé mille tonnes de déchets plastiques par mois, au cours des trois premiers mois de cette année. Une décision qui, selon la même source, fait suite à l’interdiction d’entrée des déchets plastiques en provenance des Etats-Unis, par la   Chine’’, dénonçait l’ONG, non sans regretter que cela allait à l’encontre de la volonté affichée par le gouvernement sénégalais.

En outre, si ces dernières années, les échanges entre la Turquie et le Sénégal ont évolué de manière exponentielle, les gouvernements le doivent aussi au plastique qui figure parmi les produits les plus importés avec le fer, les barres en acier, entre autres. Parallèlement aux importations qui augmentent d’année en année, il y a aussi l’industrie nationale qui continue sa production, malgré les vociférations du gouvernement. Dans la même période, l’Etat, qui peine à appliquer sa législation a minima, tente de faire croire qu’il va passer à une vitesse supérieure, en interdisant tout bonnement tous les sachets plastiques, de même que les gobelets, les assiettes à usage unique et des couverts.

Le gouvernement, par le biais de son ministre Abdou Karim Sall, jure d’être ferme sur son application, à partir du 4 avril prochain.  

Tabac, la loi impossible à appliquer

Pour leur part, les combattants du tabac risquent, également, de pousser des cheveux blancs, avant d’entrevoir un début d’application de la loi n°2014-14 du 28 mars 2014 relative à la fabrication, au conditionnement, à l’étiquetage, à la vente et à l’usage du tabac. Il a fallu trois longues années, après moult plaidoyers auprès d’organismes internationaux et nationaux, notamment les religieux, pour en voir les décrets d’application. Dans ses dispositions, cette loi interdisait, notamment, la vente du produit à 200 m des écoles, universités, centres de formation, structures sanitaires, entre autres. Aussi, prévoyait-elle une autorisation préalable quant à la fabrication et la commercialisation du tabac. Entrée en vigueur le 26 août 2017, la loi n’est toujours pas effective.

Ainsi, le processus d’encadrement de l’usage du tabac, impulsé depuis 2005 avec la ratification, par le Sénégal, de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte anti-tabac, n’a toujours pas produit les résultats escomptés. Cette semaine encore, la Ligue sénégalaise contre le tabac a rué dans les brancards pour rappeler au gouvernement la nécessité d’appliquer cette loi dans toute sa rigueur.

Le mirage des locataires

C’était en 2014. Le gouvernement venait de faire adopter, à grand renfort médiatique, la loi 2014-03 du 22 janvier 2014 portant sur la baisse des prix du loyer. Ce qui était présenté comme une urgence sociale, est plutôt devenu un cauchemar national. Au lieu de faire baisser le loyer, le texte a, dans certains cas, contribué à son renchérissement. Les bailleurs ont profité des failles de la nouvelle législation pour sortir leurs clients et relouer leurs immeubles à des coûts encore plus élevés.

Dans son exposé des motifs, le gouvernement expliquait : ‘’La situation difficile pour les ménages, induite par la cherté des loyers, fait qu’il devient nécessaire, afin de préserver l’ordre public, de procéder à une diminution des taux des loyers en termes de pourcentage. Ceci permettra aux Sénégalais, pour qui la méthode d’évaluation basée sur la surface corrigée est difficile à mettre en œuvre, de pouvoir profiter des baisses induites par la modification des textes régissant la matière.’’ 

Aujourd’hui, plus que jamais, les locataires du Sénégal souffrent énormément à cause du prix exorbitant de l’immobilier.

Déclaration de patrimoine, cette chimère

Feu Mouhamadou Mbodj ne doit pas être content de son ‘’allié’’, le président de la République Macky Sall. Le Forum civil, son organisation qui avait beaucoup œuvré pour la mise en place de l’Ofnac via la loi 2012-30 du 28 décembre 2012, de la loi sur la déclaration de patrimoine via la loi 2014-17 du 2 avril 2014 et ses décrets d’application, continue encore de se battre pour demander l’effectivité de ces dispositions.

Aux termes de cette législation en vigueur sur la déclaration de patrimoine, tout ordonnateur de recettes et de dépenses, et tout comptable public dont le niveau d’opérations porte sur un total annuel supérieur ou égal à un milliard de francs CFA, doit être assujetti à cette obligation. Depuis son entrée en vigueur, cette loi est confrontée à beaucoup d’obstacles. Tout comme la loi sur l’Ofnac qui ne fait plus rêver, à cause d’une gestion discréditée de ladite institution. Même le respect de la loi par le président de la République a soulevé des vagues, au lendemain de sa réélection à la magistrature suprême.

Macky Sall a-t-il fait sa déclaration de patrimoine ? L’on ne saurait le dire, puisque cette dernière n’a pas été, cette fois, rendue publique, comme en 2012 et conformément aux prescriptions légales.

Pourquoi autant d’insuffisances ?

Entre l’enclume des bailleurs et partenaires internationaux, et le marteau de certains lobbies socioreligieux, l’argent des industriels grands commerçants, l’Etat semble dans un dilemme permanent. Epinglé dans presque tous les rapports de Human Rights Watch et de l’ONUDC, le Sénégal peine à sortir les enfants de la maltraitance. Pourtant, des lois existent depuis les années 2000, pour lutter contre l’exploitation de ces couches vulnérables de la société.

Un autre projet portant sur le statut des ‘’daara’’ dort dans les tiroirs du chef de l’Etat, depuis 2013. Mais ce dernier semble un peu frileux, face au bouclier que constituent les religieux, hostiles à tout bouleversement dans ledit secteur. En attendant que l’Etat prenne son courage à deux mains, les enfants, dans certains ‘’daara’’, continuent de mourir.

Par ailleurs, pour ce qui est des manquements, notamment l’application de la loi sur le tabac, les sachets plastiques, entre autres, l’Etat va devoir non seulement faire face aux lobbies économiques, mais aussi et surtout renoncer aux mannes financières non négligeables qu’il tire de ces produits…

Ainsi donc, la violation de la loi s’avère la seule ‘’loi’’ qui ne souffre d’aucune violation. 

MOR AMAR

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