Publié le 12 Apr 2020 - 20:45
POLITIQUE, SANTE, EDUCATION

Le coronavirus, révélateur de priorités 

 

La pandémie de la Covid-19 a redistribué les cartes dans les priorités nationales. Une situation exceptionnelle qui n’aurait peut-être pas dû l’être.

 

Lorsque le président de la République Macky Sall recevait au palais, le 24 mars dernier, ses opposants politiques les plus farouches, beaucoup ont ‘’apprécié’’ que la menace sur la nation entière réussisse à taire les divergences politiques au Sénégal. Ce que le dialogue national, lancé depuis bientôt un an, n’a pas réussi à faire. Idrissa Seck, arrivé deuxième à la dernière Présidentielle, Mamadou Lamine Diallo, dépeint comme faisant partie de l’aile dure de l’opposition, de même qu’Ousmane Sonko de Pastef/Les patriotes, ont répondu à l’appel à l’union sacrée lancé par le président.

Une sorte de solidarité nationale contre un adversaire commun s’est alors mise en place. Presque toutes les mesures prises par le chef de l’Etat ont été acceptées par ses opposants sans sourcilier. Mieux, dans l’actualité des médias, la politique est même reléguée au second plan, laissant la lutte contre la Covid-19 et les médecins qui s’en occupent prendre les devants.

Habituées à occuper la place de choix dans l’espace ‘’médiatico-social’’ sénégalais, les divergences politiques laissent désormais place à l’urgence de sauver le pays de la menace du coronavirus. Avec une seule priorité : trouver les moyens sanitaires adéquats pour faire face à la situation. L’exceptionnalité des moments sombres que vit le Sénégal, à l’image du monde, amène à se demander si, ‘’en temps normal’’, le pays ne vit pas un déni de ses priorités ? Quels enseignements la classe politique devrait tirer de cette situation pratiquement inédite ?

‘’L’épidémie de la Covid-19 a sonné, pour la première fois, la fin de récréation politique’’

Des questions qui interpellent le docteur El Hadj Malick Sy Camara, enseignant-chercheur au Département de sociologie de l'université Cheikh Anta Diop. Car, estime-t-il, ‘’la pandémie de la Covid-19 soumet à rude épreuve le politique, référence faite aux hommes qui exercent le pouvoir politique, à qui il revient de prendre en charge les questions de santé publique. L’épreuve de la santé est très redoutable, surtout quand on a affaire à des citoyens responsables qui font de l’’accountability’ (le devoir de rendre compte) un principe de gouvernance.  L’épidémie de la Covid-19 a sonné, pour la première fois, la fin de récréation politique, mais surtout de la politique politicienne. La pandémie a montré, à suffisance, que les acteurs politiques, pour l’essentiel, ne se sont presque jamais préoccupés des priorités qui engagent l’avenir de la nation’’.

Une analyse que son collègue Moussa Diaw, enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, concrétise par le constat que face à l’adversité de la Covid-19, ‘’l’on peut tirer des leçons pour dire que les choix politiques et économiques n’ont pas été judicieux. On voit, aujourd’hui, que les priorités sont la santé et l’autosuffisance alimentaire. C’est vrai que les infrastructures sont importantes. Là, on se rend compte que les choix portés sur la construction d’un train express régional et de stades de sport n’étaient pas des priorités. Nous devons construire plus d’hôpitaux et les équiper. Aussi, conduire une politique agricole nationale pour satisfaire nos propres besoins’’.

Si le pays ne paye pas encore un lourd tribut dans sa lutte contre la Covid-19, il le doit beaucoup à la qualité de son personnel médical. Loin de pouvoir soutenir une arrivée massive de malades dans les structures sanitaires insuffisantes, le Comité national de lutte contre le coronavirus a très tôt fait le choix judicieux de la prévention avec des résultats très encourageants. Mais un développement incontrôlable de la pandémie expose toujours le Sénégal à un confinement de sa population, scénario catastrophe dans un pays où la majeure partie des citoyens vit au jour le jour.

Nouveaux défis pour les politiques

Beaucoup d’enseignements peuvent être tirés de cette situation. Comme celle qui amène le socio-anthropologue, Dr Camara, à rappeler que ‘’tous les Sénégalais, sans distinction aucune, ont salué l’élan de solidarité nationale pour vaincre le coronavirus. Cela dit qu’en temps normal, nous devrions assister à cette ferveur de solidarité pour résoudre les urgences nationales dont la santé et l’éducation constituent les plus importantes. (…) Nul ne doute que les milliards mobilisés dans la contribution sénégalaise pour le Force-Covid-19 pouvaient sortir des milliers de Sénégalais qui tirent le diable par la queue dans la pauvreté, avec une gestion saine et efficiente’’.

La crise que traverse le monde a fini de convaincre que la politique néolibérale a montré ses limites. Partout, l’urgence est axée sur la nécessité d’en finir avec les économies extraverties, pour inaugurer le développement autocentré. Un défi de taille pour les pays africains auxquels le professeur Moussa Diaw exhorte de remettre au centre de l’actualité ‘’tous ces paradigmes de panafricanisme pour faire un bloc capable de peser plus sur l’ordre mondial’’.  

Ces réalités révélées au grand jour montrent que, dans la situation que l’on vit, ce n’est pas la politique qui est reléguée au second plan. Comme l’affirme le Dr Camara, la vraie politique est plus que jamais au cœur de cette crise sanitaire, mais ‘’c’est plutôt l’entreprise de diversion et de divertissement qui prend congé d’un espace public et médiatique qu’elle a fini de polluer’’.

Lamine Diouf

 

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