Publié le 22 Apr 2020 - 04:03
PORTEURS ASYMPTOMATIQUES ET TRANSMISSION COMMUNAUTAIRE DE COVID-19

Pr. Ahmad Iyane Sow suggère le test massif, pour éviter le confinement général

 

Comme l’a avoué le ministre de l’Intérieur, le Sénégal n’est pas encore prêt pour le confinement général. Médecin microbiologiste, chef de service du Laboratoire de bactériologie et virologie médicale à la faculté de Médecine de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le professeur Ahmad Iyane Sow donne la voie à suivre pour réduire les possibilités d'une propagation silencieuse par des personnes infectées, mais asymptomatiques. Entretien

 

Qu'appelle-t-on un cas asymptomatique, dans le cadre du coronavirus ?

Il s’agit d’une personne qui est contaminée et qui ne présente aucun signe de la maladie. Ce phénomène n’est pas propre à la maladie Covid-19. C’est même fréquent en infectiologie et en particulier dans les maladies virales. Il faut rappeler qu’il ne suffit pas de contracter un agent infectieux pour tomber malade et présenter des signes de la maladie. La maladie infectieuse est le résultat d’un combat entre l’agent infectieux (virus, parasite ou bactérie) et le système de défense de l’organisme, combat gagné par le microbe.

Par contre, si l’organisme l’emporte, il n’y aura pas de maladie, mais la personne peut rester ‘’porteur’’ et transmettre l’agent infectieux. C’est ce qui peut se passer avec le coronavirus : certaines personnes peuvent être contaminées sans le savoir, en l’absence de test de laboratoire, et transmettre elles-mêmes le virus à d’autres personnes.

Est-ce qu'on peut avoir une idée du nombre qu'il peut en avoir présentement au Sénégal ?

Non ! Personne ne sait. Par définition, eux-mêmes ne savent pas qu’ils sont porteurs du virus tant qu’un test de dépistage n’est pas fait. Ils ne présentent pas de signes, donc ne se présentent pas à une structure de soins. On aurait pu avoir une idée, si un dépistage de masse était organisé.

A quel point ils sont dangereux dans la propagation de la Covid-19 et des cas communautaires ?

Je mettrais dangereux entre guillemets, mais effectivement, ils peuvent jouer un rôle très important dans la transmission communautaire, pour des raisons évidentes : ces personnes n’étant pas détectées, parce que n’ayant pas de signes de maladie, continuent à vaquer à leurs besoins, à fréquenter d’autres personnes et souvent prennent peu ou pas de mesures préventives. Dans un pays comme le nôtre, où le port du masque n’est rendu obligatoire qu’hier, ces cas asymptomatiques ont pu avoir largement le temps et l’occasion de contaminer d’autres personnes sans le savoir.

Comment s'en protéger le mieux ?

Il faut toujours avoir à l’esprit le mode de transmission principal du coronavirus, à partir des gouttelettes de salive émises lorsqu’on parle, lorsqu’on tousse ou éternue, par voie rhinopharyngée ou alors par l’intermédiaire des mains souillées. Ne sachant pas qui est porteur et qui ne l’est pas, il faut systématiquement être ‘’méfiant’’ et prendre soi-même les dispositions de prévention édictées, à savoir les gestes barrières : limiter les sorties, se mettre à distance de plus d’un mètre avec ses interlocuteurs, se laver régulièrement les mains à l’eau et au savon ou utiliser la solution hydro-alcoolique. Il y a aussi le port du masque, mais dans le cadre d’une stratégie non pas individuelle, mais collective.    

Quelle est la meilleure stratégie pour les maîtriser ?

Qui parle de stratégie parle de dispositions à l’échelle nationale qui, de mon point de vue, devraient reposer essentiellement sur deux volets à prendre tôt, dès que la maladie commence à s’étendre dans le pays. Le premier est de tester le plus largement possible. Les porteurs asymptomatiques n’appelleront jamais le Samu ou un quelconque numéro vert et n’iront pas non plus dans une structure de soins, parce que n’ayant aucun signe. Dès lors, il faut aller les ‘’débusquer’’, en testant le maximum possible de personnes. A ce moment-là, toute personne testée positive pourrait être mise en quarantaine pour voir comment va évoluer l’infection et elle sera plus conscientisée pour prendre les mesures adéquates.

Donc, il faut vraiment tester largement. Les pays qui ont procédé au confinement général sans ce préalable ont aujourd’hui un gros problème pour sortir de ce confinement, après avoir essuyé un grand nombre de cas, puisque le confinement de porteurs inconnus et de non porteurs a favorisé la contamination. Et plus le nombre de cas augmente, plus les chances d’avoir des cas graves augmentent et donc le nombre de décès aussi !

Le second volet est de Rendre obligatoire le port du masque pour tous ceux qui sortent, après avoir réduit au strict minimum nécessaire les va-et-vient. Quand on sort peu, on a peu de chance de croiser des porteurs asymptomatiques. De plus, le port du masque dit ‘’grand public’’ est réellement plus efficace, lorsque tout le monde l’applique. Lorsque je porte ce genre de masques (chirurgicaux ou en tissu), je bloque les projections de salive que j’émets, donc je protège l’autre. Si le port est généralisé, alors chacun protège l’autre. De mon point de vue, la stratégie devrait donc consister à rendre les masques disponibles et accessibles, et leur port obligatoire, même pour ceux qui sont à pied dans la rue, pas seulement dans les moyens de transport en commun, les lieux de travail et les lieux de commerce. Des pays se sont appuyés sur ces deux éléments de stratégie et n’ont pas eu besoin de confinement. Il va de soi que ces deux piliers stratégiques viennent en sus des mesures barrières que nous devons adopter individuellement.

Lamine Diouf

 

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