Publié le 10 Sep 2012 - 22:05
PR. MOUSTAPHA KASSÉ, ÉCONOMISTE

''Il faut un État extrêmement souple et efficace''

 

Abdoul Mbaye se présente aujourd'hui devant les députés pour la présentation de sa déclaration de politique générale (DPG). Même si, comme l'a révélé EnQuête, Macky Sall le laisse dérouler, Abdoul Mbaye aura fort à faire face à une écrasante majorité des députés issus du même bord politique que lui et quelques poignées d'opposants réunis autour du Parti démocratique sénégalais (PDS) et ses dérivés. Pour son grand oral 5 mois après son installation, il est attendu du chef du gouvernement beaucoup de la part des populations, notamment celles de la banlieue qui sont aujourd'hui confrontées à des inondations.

 

En un mot, la question de la demande sociale tout comme les orientations claires et précises qui mettent le Sénégal sur le véritable Yoonu yokkute (le chemin du développement et de la prospérité par ricochet). Mais pour le Pr Moustapha Kassé, ''la marge de manœuvre était très limitée (et) il faudra attendre le nouveau budget'' pour savoir exactement où l'on va. Car, ''le gouvernement précédent a complètement échoué sur le pan social'' et il y a beaucoup à faire dans l'emploi, l'éducation, la formation, l'agriculture, entre autres. Mais pour le journaliste Mame Less Camara, cette situation est ''peut-être une chance pour le Premier ministre qui a devant lui un champ de ruines que lui a légué l’ancien régime''. Seulement il ne manque pas de prévenir Abdoul Mbaye qu'''il a des adversaires politiques, notamment ceux du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui vont chercher la petite bête, qui vont lui dire des méchancetés''. Par contre, le Mouvement Y'en a marre attend des actions concrètes et non des discours. ''Y en a marre des déclarations pileuses et des discours fleuve'', a confié Fadel Barro, coordonnateur national du mouvement éponyme pour qui ''les 'on va faire, on va faire...' n’ont pas leur place ici. Ils l’ont suffisamment dit pendant la campagne électorale''. Ce qu'il attend d'Abdoul Mbaye, c'est qu'il dise ''comment, quand et avec quel argent le président de la République et son gouvernement comptent créer 500 mille emplois au cours de ce premier mandat de Macky Sall (...) Le Premier ministre doit aussi nous dire comment, quand et avec quel argent il compte rendre la couverture médicale totale et gérer convenablement l’agriculture''.

 

Politique économique

 

''C’est vrai qu’en un temps aussi bref, on ne voit pas effectivement les lignes directrices de la politique économique. Probablement, le Premier ministre les précisera un peu plus. Mais il faut quand même comprendre -beaucoup de Sénégalais oublient- que la deuxième alternance a bénéficié d’une situation calamiteuse si bien qu’il fallait régler les problèmes les plus urgents. (…) À cela s’ajoutent les audits et l’arrière-fond d’une massification de l’endettement, sans oublier les catastrophes naturelles. Si on met tout cela ensemble, le gouvernement était obligé de travailler dans l’urgence. Par conséquent, il ne pouvait pas voir ce qu’il fallait faire (…)''

 

Marge de manœuvre

 

''La marge de manœuvre était très limitée. Il faudra attendre le nouveau budget. Quand vous héritez d'une situation en fin de budget, vous êtes obligés de travailler avec le budget précédent, c’est-à-dire les dépenses qui ont été engagées et les recettes que vous pouvez mobiliser. C’est alors dans le prochain budget qu’on va voir ce qu’on peut faire dans un, deux ou trois ans. On dégagera les grandes priorités et on verra comment allouer les ressources en conséquence. Ce sera l’exercice du Premier ministre. Rien que pour régler conjoncturellement, je dis bien, il faut mobiliser 10 à 15 milliards pour sortir les populations de l’eau alors que c’était pas prévu dans le budget. Voilà autant de goulots d’étranglement qui ont certainement plombé les 100 jours de Macky (Sall). Mais la volonté clairement affirmée de prendre toutes ses questions en charge et de leur trouver une solution adéquate est rassurante. (...)''

 

Trois leviers pour booster la croissance

 

''Il y a trois leviers qui sont très importants que nous retrouvons dans les programmes en présence. Le programme de son parti Yoonu Yokkute, le programme des Assises nationales, les programmes qui étaient en cours. Par exemple, les engagements pris dans les documents stratégiques de réduction de la pauvreté et le programme de croissance accélérée. Macky est venu au moment où au moins deux programmes fonctionnent. Si nous essayons de voir les priorités, il y a un axe fondamental : c’est de ''re-prioriser'' l’économie autour de l’agriculture. Il faut une autre politique agricole qui permet d’en faire un secteur, un moteur et une croissance extrêmement forte, d’autant plus que l’agriculture connaît des problèmes liés à l’excès de pluviométrie. On peut en revanche atteindre une autosuffisance alimentaire. Si nous regardons les importations alimentaires qui grèvent notre balance commerciale, particulièrement le riz, il y a nécessité de réorientation de l’agriculture vivrière. Cela va amoindrir les importations en denrées alimentaires, et profiterait aux agriculteurs et à l’État du Sénégal. (...) Mais aussi le foncier qui a été abîmé par le régime précédent ; cette distribution absolument illogique à des fonctionnaires qui ne les utilisent jamais. Cela a entraîné une dépossession de fait des agriculteurs. Ensuite, il y a le crédit qu’il faut redynamiser de sorte qu’il puisse accompagner la formation attendue au niveau de l’agriculture. Il y a, enfin, les techniques agricoles à valoriser. Bref, il faut sortir de l’agriculture paysanne et aller vers une agriculture plus modernisée. A côté de l’agriculture, il y a l’industrie. Ce secteur a pris un coup extraordinaire. Rien n’a été fait depuis l’échec de la nouvelle politique industrielle. (...) Il va falloir restructurer ce secteur-là comme il va falloir reprendre le secteur tertiaire. Ce secteur est extrêmement important, particulièrement le secteur informel qu’il va falloir appuyer encore pour qu’il devienne formel, ce n’est pas très facile. Aujourd'hui, le secteur informel nous donne plus de 60% des activités productives dans le pays. Dans ce secteur tertiaire, il y a le transport qui constitue un nœud gordien. Quand les gens parlent de transport, on ne voit que des accidents, c’est certain. Car si vous avez un parc (automobile) extrêmement vétuste, vous ne pouvez pas mettre les gens à l’abri. Cela veut dire qu’il va falloir revoir complètement les transports pour en faire une véritable dynamique de la croissance. Derrière cette question de transport, il y a la question des infrastructures routières. Enfin, dans le secteur tertiaire, il y a le tourisme. C’est un secteur qui peut être une source importante de devises, mais on n’y croit pas. Dernière composante et non la moins importante, c’est certainement les nouvelles technologies de l'information et de la communication. La croissance de demain dépendra des investissements que nous ferons dans ce secteur (...)''

 

L’influence des ''deux banquiers'' du gouvernement

 

Il est heureux que nous ayons deux banquiers dans le gouvernement. Probablement, les restructurations du système bancaire pour un meilleur fonctionnement peuvent être envisagées par le Premier ministre et le ministère des Finances. Or, si nous voulons promouvoir un développement accéléré, nous ne pouvons négliger le financement. Et ce financement ne peut s’appuyer uniquement sur l’aide extérieur, mais le volet le plus important, c’est le financement interne. Les banques peuvent mobiliser l’épargne et la transformer en investissement productif.

 

Des institutions ''abîmées''

 

L’État a été abîmé par Abdoulaye Wade. Je suis sûr qu’il est en train de réfléchir sur les 12 ans qu’il a passé à la tête du pays. Comme Louis XV, l’État c’est lui. Les institutions n’ont aucune autonomie, à telle enseigne qu’il faut les redynamiser et ensuite confier à l’État son rôle d’animateur de l’activité économique. Cela ne veut pas dire une présence massive et coûteuse, mais avoir un État extrêmement souple et efficace. Souvent, on enveloppe toutes ces questions institutionnelles derrière la bonne gouvernance. La bonne gouvernance suppose des institutions solides, que nous ayons un État fort, des politiques publiques maîtrisables en rapport avec les développements que nous voulons opérer. Là encore, les institutions doivent être revues. Quand un président à une caisse noire comparable à celle des pays développés, c’est inexplicable pour un petit pays comme le nôtre ! (…)''

 

La demande sociale

 

Le gouvernement précédent a complètement échoué sur le pan social. Il n’a pas eu de politique sociale. C’est d’abord la montée du chômage, surtout le chômage chez les jeunes. Et parmi les jeunes, ceux qui sont diplômés. Le problème ne peut pas être éternellement ouvert, il faudra le fermer. Le modèle proposé par les institutions internationales ne peut pas régler le chômage, nous le réglerons à partir des politiques sectorielles. Il faut y ajouter un volet que les inondations ont révélé, c’est l’urbanisation chaotique. Dakar se développe à une allure beaucoup trop élevée. Le gonflement de nos villes est dû à la mauvaise qualité de notre politique agricole, c’est le produit de l’exode rural. En fait, il faut trouver un moyen de désengorger Dakar progressivement, d’autant plus qu’ils ont dilapidé le capital foncier (…)''

 

Éducation : ''Où sont passés les 40%''

 

Aujourd’hui, les pays qui investissent dans l’éducation sont ceux-là qui connaissent des taux de croissance très élevés. Autrement dit, pour avoir une bonne ressource humaine, il faut avoir une bonne école. Quand on dit qu’on a investi 40% du budget national, cela n’a pas de sens, c’est un bavardage politique sans intérêt. Malgré ce chiffre, les acteurs de l’éducation n’ont pas tardé à manifester leur insatisfaction. Les infrastructures ne suivent pas. Où sont passés les 40% ? Évidemment, si vous avez un mauvais schéma, vous aurez consacré tout le budget du monde, vous n’aurez que de mauvais résultats. Cela veut dire qu’il faudra repenser complètement le système éducatif de la maternelle au supérieur. Et faire en sorte qu’il y ait une adéquation entre la formation et l’emploi. Le système L-M-D (Licence, master, doctorat) n’est pas bon. C’est mon opinion. (...) Or, notre système éducatif est caractérisé par l’immobilité des acteurs. C’est difficile de voir des centres d’excellence au Sénégal qui recevraient des Burkinabés, des Ivoiriens... spécialisés en même temps. La preuve, les inscriptions sont discriminatoires. Dans toutes nos universités, on demande aux étrangers de payer 150 000 F Cfa alors que les nationaux ne payent que 10 000 F Cfa. Cela veut dire qu’on n’est pas pour la mobilité. A cela s'ajoutent le contenu (du programme), le taux d’encadrement... (...).

 

 

PAR DAOUDA GBAYA

 

 

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