Publié le 23 Jul 2020 - 01:07
PROGRAMME D’AIDE ALIMENTAIRE

Les chiffres de la pauvreté sous Macky Sall

 

Après avoir parcouru les 552 communes que compte le Sénégal pour distribuer des vivres aux nécessiteux, le ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale a fait face à la presse, hier, pour dresser le bilan des opérations.

 

La pauvreté avance ou recule ? On s’attendait à avoir une idée précise, au sortir de ‘’l’opération inédite’’ de distribution de vivres aux populations, dans le cadre de la lutte contre les effets de la Covid-19. Mais il faudra encore prendre son mal en patience. A la tête de ce processus, le ministre du Développement communautaire, interpellé sur l’état de la pauvreté, déclare : ‘’Les dernières enquêtes de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) sur la pauvreté remontent à 2011 et faisaient état de 47,5 % de pauvres. Mais selon les chiffres de la Banque mondiale, on peut dire que, jusqu’avant cette pandémie en tout cas, la pauvreté a baissé. Les politiques sociales développées par l’Etat ont contribué à réduire la pauvreté. Jusqu’avant la Covid, le taux était de moins de 40 %.’’

‘’EnQuête’’ a essayé d’en savoir davantage. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le ministre n’a pas dit toute la vérité.

D’abord, il convient de rappeler que, selon l’enquête de l’ANSD de 2011, le taux de pauvreté était de 46,7 % et non 47,5 % comme annoncé par Mansour Faye. Ensuite, la comparaison entre l’enquête de l’ANSD en 2011 et les estimations de la Banque mondiale est un peu biaisée.

En effet, l’institution internationale utilise le seuil international qui est de 1,90 dollar par jour. En 2011, partant des mêmes données issues de l’enquête de l’ANSD, la Banque mondiale évaluait le taux de pauvreté à 38 %, selon le seuil international d’extrême pauvreté. Selon les dernières estimations faites par son personnel au Sénégal, l’incidence de la pauvreté extrême a certes baissé, mais de manière assez lente. Aussi, les inégalités en termes d’actifs persistent. ‘’Les projections les plus récentes indiquent qu'environ un tiers de la population (33 %) vit en dessous du seuil international d'extrême pauvreté de 1,90 dollar par jour, contre 38 % en 2011. Comparativement à d’autres pays, et compte tenu de la croissance rapide de ces dernières années, le rythme de réduction de la pauvreté au Sénégal a été relativement lent’’, estiment certaines sources.

Dans tous les cas, selon le ministère en charge du Développement communautaire, il y a 1 080 502 ménages bénéficiaires de kits alimentaires, dans le cadre de la lutte contre les effets de la Covid-19. Parmi eux, il existe 588 045 ménages sur la base du Registre national unique, 411 955 ménages issus du ciblage communautaire et 100 000 autres provenant de groupes spécifiques. Selon les services du ministère, c’est, au total, entre 8 et 10 millions de Sénégalais qui ont eu à bénéficier de l’aide alimentaire.

A moins que l’aide n’ait pas été donnée qu’aux Sénégalais pauvres, on peut estimer qu’entre 50 et 62 % de la population est dans une situation de vulnérabilité, pour ne pas dire pauvre.

Toutefois, il convient de retenir que certains ménages ont été directement victimes de la pandémie et des mesures de restriction prises par le gouvernement. Autrement dit, il faudrait encore attendre pour faire le réparti entre les ménages dus à la conjoncture et ceux d’ordre structurel. Toujours est-il que le critère de vulnérabilité a été prépondérant dans la définition de tous les bénéficiaires. En attestent les critères suivants qui ont été pris en compte. Il s’agit notamment de ménages sans revenu salarié fixe et ou régulier, de ménages dont le niveau de consommation alimentaire, les moyens d’existence et la situation nutritionnelle sont fortement affectées par les conséquences de la pandémie de la Covid-19.

D’ailleurs, le général de division François Ndiaye espérait que la mission de collecte de données menée par le comité devrait permettre d’avoir ‘’une meilleure cartographie de la pauvreté et de la vulnérabilité dans le pays’’. Ce qui permettrait d’ouvrir la voie à ‘’une transformation structurelle’’ de l’économie nationale ‘’tout en améliorant la gouvernance sanitaire’’.

Par ailleurs, il est aussi à noter que, dans beaucoup de localités, à quelques exceptions près, le constat est l’insuffisance des kits.

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PROGRAMME D’AIDE ALIMENTAIRE

La dépendance alimentaire mise à nu

Même s’il aurait préféré ravitailler les pauvres avec des produits sénégalais, Mansour Faye a été confronté au déficit structurel dans tous les produits alimentaires inscrits au programme.

Si ça ne dépendait que du ministre du Développement communautaire, tous les produits distribués dans le cadre de l’aide alimentaire seraient des produits locaux. Hélas, sur presque tous les produits objet de la distribution (riz, huile, sucre, pâtes alimentaires notamment), il a fallu recourir à l’étranger.

D’abord, en ce qui concerne le riz, le ministre Mansour Faye confie s’être rapproché du directeur de la Saed (Société nationale d’aménagement et d’exploitation des terres du delta du fleuve Sénégal et de la Falémé). C’était dans l’optique d’aller chercher le riz auprès des fournisseurs de la vallée. ‘’La quantité disponible était très insuffisante par rapport à nos besoins. Il y avait moins de 1 000 tonnes (900 tonnes) de riz décortiqués disponibles. En plus, c’était dispatché au niveau de plusieurs fournisseurs’’. Mais, tente-t-il de justifier : ‘’Cela voudrait dire que le riz local est consommé. C’est la raison pour laquelle les quantités disponibles étaient faibles.’’

Mais pour beaucoup, c’est parce que les programmes d’autosuffisance en riz se sont soldés par un échec cuisant.

Pour l’huile, même constat. Avant de recourir aux produits étrangers, Mansour Faye a contacté le directeur général de la Sonacos. Mais là également, le stock disponible était faible. ‘’Dans un premier temps, ils avaient un volume disponible très faible. Par la suite, ils ont été recontactés, parce qu’ils ont eu un arrivage’’, assure le ministre. Même procédure pour le sucre. Mansour dit avoir contacté la Compagnie sucrière sénégalaise (CSS), mais elle n’avait à disposition que le sucre en morceaux pour un volume de 500 tonnes. Pour le sucre cristal, seuls des sacs de 50 kg étaient disponibles. Et la CSS ne voulait pas reconditionner à 5 ou 10 kg. Ce qui les a poussés à recourir au sucre importé.

‘’Mais, dans l’ensemble, on n’a travaillé qu’avec des Sénégalais. Même si la plupart des produits sont importés’’, se défend le ministre Mansour Faye.

Dans le cadre de cette opération inédite, son département a distribué 110 millions de kilos de riz, soit près d’un mois de la consommation mensuelle des 16 millions de Sénégalais ; 11 millions de kilos de pâtes alimentaires, soit la consommation annuelle pour les 16 millions de Sénégalais. Mais le plus important, estime la tutelle : ‘’Tous les bénéficiaires ont reçu leurs kits. Nous en rendons grâce à Dieu parce que ce n’était pas évident. C’est une opération jamais réalisée au Sénégal et en Afrique.’’

Les chiffres de la campagne de distribution

Lors de sa conférence de presse, hier, le ministre du Développement communautaire, de l’Equité sociale et territoriale est largement revenu sur le caractère inédit de l’opération qu’il a eu à conduire. Au total, au sortir de cette opération, 60 709 694 520 F CFA ont été dépensés, compte non tenu des prestations ‘’non encore facturées’’. Aux bénéficiaires évalués à 1 080 502 ménages, il a été distribué près de 110 millions de kilos de riz, près de 11 millions de kilos de sucre, près de 11 millions de kilos de pâtes alimentaires, près de 11 millions de litres d’huile 19 800 000 morceaux de savon de 300 g. Cette quantité a été distribuée dans les 552 communes que compte le Sénégal.

‘’A l’heure où je vous parle, toutes les communes ont déjà bouclé leur programme de distribution. Seuls quelques bénéficiaires retardataires ou introuvables ont été notés çà et là, dans certaines collectivités territoriales. C’est pour ainsi dire que le chemin était long, mais pas impossible. Pour l’acquisition des denrées, plus de 57 milliards F CFA ont été dépensés. Pour le transport et la manutention, c’est un montant de 1 599 595 586 F CFA. Pour l’appui aux producteurs d’oignon, 1 milliard F CFA a été dégagé. Pour les dépenses diverses, 820 809 642 F CFA qui ont été dépensés par les services de Mansour Faye.

A ceux qui soutiennent que le Sénégal aurait pu faire des transferts aux bénéficiaires, le ministre a invoqué des arguments économiques et financiers. Selon son collaborateur en charge du Haut-Commissariat à la sécurité alimentaire, faire des transferts d’argent aurait coûté plus d’argent. Pour en arriver à cette conclusion, le collaborateur de Mansour Faye a juste fait une simulation sur le produit entre le nombre de bénéficiaires et le montant de chaque transfert estimé à un prix forfaitaire de 2 500 F. Ainsi, on se retrouverait, selon lui, à près de 3 milliards.

Mor AMAR

 

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