Concert de récriminations de la diaspora

La décision de l’État de transférer le consulat général du Sénégal de Madrid à Barcelone est une pilule dure à avaler pour nos compatriotes vivant en Espagne. Ils parlent d’une décision inopportune, injustifiée et insensée qu’ils comptent combattre. Dans cette bataille, ils ont le soutien des députés de la diaspora.
‘’Nous avons pris la décision de transférer le consulat du Sénégal de Madrid à Barcelone. On s’est rendu compte qu’il y a plus de Sénégalais à Barcelone qu’à Madrid. À cela s’ajoute que les difficultés sont plus nombreuses à Barcelone qu’à Madrid. Le chef de l’État a donné des instructions fermes, quand je lui ai expliqué la raison de déménager le consulat. Ce sera effectif, d’ici deux à trois mois. On ne va plus parler de consulat de Madrid, mais de Barcelone’’.
Ainsi parlait Me Aissata Tall Sall, lors du vote du budget du ministère des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur. Cette information est tombée comme un couperet sur le cou de nos compatriotes sénégalais vivant en Espagne et plus particulièrement ceux de Madrid.
Dans la foulée de cette déclaration, le bureau de l'association s'est réuni et envisage de dérouler un plan d'action pour dire non à ce dessein.
En effet, ouvert en septembre 2002, soit deux ans après la première alternance, le consulat général du Sénégal à Madrid avait apporté du baume au cœur des milliers de Sénégalais résidents et travaillant en Espagne. Ces derniers étaient obligés, auparavant, d'aller jusqu'en France pour avoir un passeport ou une carte consulaire, même s’il y avait des consuls honoraires à Malaga, à Barcelone et aux îles Canaries. Le Sénégal n’avait pas non plus d’ambassade en Espagne. Cette grosse épine ayant été enlevée de leur pied, selon nos compatriotes, il est hors de question qu’ils retournent à la case de départ.
Le président de la Fédération des associations sénégalaises vivant en Espagne dit non au transfert du consulat général à Barcelone, mais oui pour un consulat à Barcelone et l’implantation de bureaux consulaires.
D’après Momar Dieng Diop, lors de sa toute dernière visite en décembre 2015, le président de la République avez promis d’implanter un consulat à Barcelone, une manière de décongestionner le consulat général qui a largement dépassé sa capacité d’accueil. Promesse accueillie en grande pompe. Mais avec l’usure du temps, la montagne a malheureusement accouché d’une souris.
‘’Depuis sa création, avec l’avènement de l’alternance en septembre 2002 à la Calle Ayala, le consulat général a favorablement répondu aux multiples sollicitations de nos compatriotes, faisant de cette juridiction une de référence dans le monde, car n’oublions pas que nos compatriotes du Portugal dépendent également de celle-ci. Son seul et unique handicap était l’instabilité des chefs de juridiction. Au crépuscule de votre mandature, si vous n’êtes pas en mesure de consolider les acquis de Me Wade, s’il (Macky Sall) vous plait, ne les détruisez pas. Nous sommes tous d’avis que Barcelone doit avoir un consulat, car, au niveau de la Catalogne, vivent plus de 10 000 Sénégalais. Les consulats honoraires de Barcelone, de Las Palmas et de Malaga ont démontré leurs limites, en plusieurs occasions, d'où la nécessité d'implanter des consulats et/ou des bureaux consulaires renforcés dans les zones de forte concentration sénégalaise comme en France et en Italie, car, il faut le rappeler, l’Espagne abrite la 3e forte colonie sénégalaise, après les deux pays précités et aucune initiative n’a été prise dans ce sens et la communauté ne cesse d’augmenter, avec surtout le phénomène de l’émigration irrégulière et les déplacements de nos compatriotes vers l’Espagne constatés ces dernières années’’, confie M. Diop à ‘’EnQuête’’.
À ses yeux, vouloir transférer le consulat de Madrid à Barcelone, c’est indirectement essayer de créer une scission en leur sein et ils vont refuser cela. ‘’Non à la division de notre communauté souvent laissée en rade. Ces décisions injustes et impopulaires prouvent à suffisance que l’actuel régime n’a aucune considération pour les Sénégalais d’Espagne et que le pilotage à vue est comme, par le passé, leur domaine d’excellence. Si le passage d’Aïssata Tall Sall était très attendu par bon nombre de nos compatriotes, nous sommes au regret de vous dire, cher président, que nous sommes restés sur notre faim, car aucune décision de grande envergure n’a été prise, si ce n’est cette mesure impopulaire, car aucune des parties prenantes (administrateurs et administrés) n’a été associée en amont comme aval. Si en politique, les erreurs se paient cash, Madrid ne devrait pas pour autant payer les contre-performances de la coalition Benno (Bokk Yaakaar). Les Sénégalais d’Espagne devront encore prendre leur mal en patience, en attendant de voir jaillir des lueurs d’espoir en 2024. Plus de respect et de considération pour les Sénégalais d’Espagne qui ont déjà trop souffert sous votre magistère. Oui pour des actions unitaires et concertées pour faire face à cette forfaiture’’, tonne Momar Dieng Diop.
‘’Une décision impertinente, impopulaire, injuste et irréfléchie’’
Le SG de l’Association des émigrés Sénégalais vivant en Espagne juge cette décision qui est venue à la surprise générale comme un couteau poignardé dans leur dos. D’après Ndiawar Seck, il s’agit d’une décision impertinente, impopulaire, injuste et irréfléchie. Il souhaite que l’État revienne sur cette décision, car elle ne rend pas service à la diaspora sénégalaise vivant en Espagne.
Selon lui, on ne peut pas prendre une aussi grande décision sans consulter les concernés au préalable. ‘’En France où le président a des proches parents, il a mis plusieurs consulats à Mantes-La-Jolie, Paris, Marseille, Bordeaux... Pourquoi il ne fait pas la même chose pour l’Espagne ? Il doit avoir une pitié et une considération envers nous. Nous sommes des citoyens qui ne lui posent aucun souci, mais à chaque fois, on a constaté qu’il prend des décisions qui ne l’honorent pas. Il doit arrêter les décisions politiques. Qu’on aille au-delà des considérations politiques. Nous sommes tous des Sénégalais, de dignes fils de la nation. Que Macky parle à son ministre pour revenir sur cette décision. Nous allons être soudés comme un seul homme pour combattre cette décision. Tout ce que la loi nous permet, nous allons l’utiliser. Nous allons faire des pétitions, manifestations, points de presse pour dénoncer cela avec toute notre énergie. Mais aussi, puisqu’il s’agit d’une réponse politique, ils vont avoir une réponse politique. C’était une vieille promesse électorale qu’il avait tenue à la Catalonia‘’, dénonce celui qui vit en Espagne depuis 20 ans.
L’émigré souhaite qu’on rende à la diaspora ce qui lui revient de droit. Qu’on lui donne la place qui lui revient de droit. Il ne peut pas comprendre qu’on leur dise que l’État du Sénégal n’a pas les moyens de payer deux consulats. ‘’On doit nous mettre dans de très bonnes conditions. Ce que nous faisons entrer au Sénégal est largement supérieur à l’aide de la coopération internationale. La diaspora fait entrer au Sénégal plus de 1 000 milliards F CFA par an. Une chose qui peut être justifiée. Sans oublier les autres dépenses que nous faisons pour ce pays. Tant que l’État ne nous respecte pas, il n’aura jamais une satisfaction chez nous. Cette décision va beaucoup nous impacter, si elle est effective. On va voir des gens qui vont faire 2 000 km pour se rendre à Barcelone et d’autres faire 16 heures. Vous imaginez ? Alors que Madrid est plus accessible pour tous. Cette décision va avoir un grand impact social. Prenons les moyens qu’il faut pour régler cette question. Imaginez que des gens seront obligés de prendre trois jours de permission pour récupérer un papier à Barcelone. Donc, je ne vais pas vous faire dire que beaucoup risquent de perdre leur travail’’, tonne M. Seck.
Un autre compatriote, sous le couvert de l’anonymat, fait remarquer que le premier consul général, Alassane Cissé, a abattu un travail remarquable pour satisfaire les problèmes consulaires des Sénégalais d'Espagne. Il a aussi tout fait pour que ses compatriotes puissent avoir des passeports et autres documents administratifs, surtout les extraits de naissance. Il en est de même de ses successeurs, surtout les commissaires Ibrahima Diallo et Alassane Ndoye.
‘’En 2012, avec l'arrivée de Macky Sall, le nouveau consul Mactar Belal Ba a continué sur la même lancée, avant d'être à son tour lui aussi remplacé, après les douloureux événements de Lavapies, un quartier populeux de la capitale madrilène. C'était en mars 2018, avec la mort de deux Sénégalais, suite à des échauffourées avec la police municipale. Aujourd'hui, avec une population estimée à plus de 100 000, les Sénégalais vivant et travaillant en Espagne de manière légale, sans compter les clandestins, ont besoin d'un second consulat et Barcelone est la province la mieux placée pour l’abriter. Mais au lieu de satisfaire cette demande, l'État se permet de faire dans la diversion et la division, en parlant de transfert de l'unique consulat à Barcelone’’, fulmine notre interlocuteur.
Des députés de la diaspora promettent d’écrire une lettre au président la République
Dans tous les cas, des députés promettent de se battre pour que cette décision puisse être annulée. Les députés Mame Diarra Fam, Mame Bousso Guèye ont émis des idées dans ce sens.
D’ailleurs, lors du vote du budget du ministère des Finances et du Budget, des députés de la diaspora ont promis d’écrire une lettre au président la République pour protester contre cette décision.
Dans ce combat aussi, l’ancien député libéral de la diaspora va prêter main-forte à la diaspora sénégalaise établie en Espagne. De l’avis de Mor Kane, c’est un combat qu’il va mener jusqu’au bout, pour obtenir gain de cause. ‘’Au lieu de transférer ce consulat, je propose des annexes dans plusieurs endroits. Ils seront dirigés par des fonctionnaires de l’État. Ils pourront prendre en charge toutes les préoccupations de nos citoyens. C’est mieux de que de laisser des gens faire plus de 2 000 km pour venir récupérer un document à Barcelone. L’État doit décentraliser ses actions. Donc, c’est impensable qu’on fasse bouger ce consulat, mais au contraire, qu’on l’étoffe avec des annexes. Quand on dirige des gens, il faut avoir une vision claire. Tout ce qui va dans le sens de créer des frustrations, il faut l’éviter. Cette décision est la pire qu’ils ont prise, depuis qu’ils sont au pouvoir, pour la diaspora. Il faut aider la diaspora à être dans de bonnes conditions et non le contraire. Nous allons mener ce combat. Il est hors de question que cette mauvaise décision passe’’, prévient l’ancien député.
Contacté par nos soins, le consul du Sénégal n’a pas répondu à nos sollicitations. Il n’a pas donné suite à nos différents messages.
CHEIKH THIAM