Publié le 30 Jun 2022 - 21:51
RÉPONSE AU PROFESSEUR ABDOU AZIZ DIOUF

Un cours de droit du Professeur ou une profession de foi ?

 

J’ai lu la contribution du Professeur Abdou Aziz Diouf intitulée : « Faut-il brûler les Facultés de droit au Sénégal : Propos irrévérencieux d’un universitaire citoyen sur l’actualité politico-judiciaire »

Son argument vacille à mon avis entre l’épistémologie et la théorie juridique. Il y est, en effet, plus philosophe que juriste. Ce qui soumet l’essentiel de l’article à la réflexion philosophique parce que tout simplement en la matière, l’absence de démarches scientifiques et en particulier celle juridique de l’imputabilité par excellence rend inopérante la réfutabilité au sens poppérien du terme et au nom de la science juridique plus exactement.

Ce serait beaucoup plus intéressant pour l’étudiant juriste de lire dans l’article la réponse à la question de savoir comment la magistrature manipule-t-elle le droit à travers des arguments juridiques que de justifier la démythification de la justice par une causalité relevant plus d’un autre domaine que des sciences juridiques. Causalité qui d’ailleurs reste à désirer dans la mesure où « la multiplicité des facteurs peut entraîner dans ce domaine la confusion d’une coïncidence avec un déterminisme. ».

Ainsi, à la suite de Durkheim qui concluait que « le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration de la société religieuse, de la société domestique, de la société politique », Maurice Halbwachs faisait observer certains faits qui ne seraient sans conséquence sur le fait social étudié (le suicide) : à l’époque de Durkheim, seules la Prusse et la Suisse notaient l’appartenance religieuse des suicidés, et que la plupart des catholiques prussiens étaient d’origine polonaise et vivaient à la campagne. Alors, à Halbwachs de s’interroger si ces catholiques prussiens se suicidaient moins que les protestants, est-ce à cause de leur religion, de leur origine polonaise ou de leur situation de campagnard ?

Par conséquent, les assauts des juridictions notées au mois de mars 2021 doivent être prises de connivence avec ceux des intérêts français et d’autres facteurs qui échapperaient aux lentilles de l’homme du sens commun pour établir leurs causes au sens durkheimien et leurs fonctions au sens Spencérien des termes.

Pour ce qui est de la question du positivisme juridique évoqué et dans laquelle le Professeur déplore « la promotion d’une autonomisation du droit de la morale par les universités », il apparaît clairement une posture de jusnaturaliste. Intéressant pour le débat doctrinal mais assimilable à un filet de pêche lancé dans des eaux troubles vu le contexte politico-judiciaire

Ce plaidoyer au profit du droit naturel, dont les expressions comme « force reste au peuple et non à la loi » font implicitement référence parce que tout simplement le droit tirerait son fondement à la nature humaine ou parfois même de Dieu et non du pouvoir constitué, représente le plus grand danger qui guette ce pays.

On dirait que les adeptes de la Maxime « force reste à la loi » sont automatiquement classés du côté du pouvoir et les autres, à la solde de l’opposition sont justement pour celle plus populiste : « force reste au peuple ». Qui est le peuple ? Que sont les pouvoirs constitués dans une démocratie ? Les citoyens lambda comme ceux et celles investis de pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire) ne jouissent-ils pas de la même dignité et de la même probité ? Est-ce vraiment que les premiers sont bons et les seconds mauvais ?

Vouloir substituer l’autorité de la loi à celle du « peuple » relève du chimérique. Vouloir mesurer les lois à l’aune du « juste » reste tout autant dangereux. C’est quoi le « juste » ? Qui en décide, quand et comment ? C’est là que réside tout le danger parce que tout simplement, résister à la loi « injuste » deviendrait impératif. Pascal avait raison à cet effet de dire qu’« il est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes, car il n’y obéit qu’à cause qu’il les croit justes »

En ce qui concerne les Facultés de droit, je suis d’avis que les universitaires manifestent une réticence notoire quant à l’animation du débat public. Mais, Est-ce parce qu’ils sont de mauvais produits d’un mauvais établissement au point d’assimiler les Facultés de droit à des « cadavres » (j’emprunte le terme au Professeur) ? Ou est-ce parce qu’ils préfèrent garder leur mythe en échappant aux effets du débat contradictoire ? Ou simplement parce que la rigueur scientifique à laquelle ils sont soumises les empêche d’être au même pied que l’actualité bouillonnante et changeante d’une seconde à l’autre ?

Quoiqu’il en soit, ce que nous attendons des voix autorisées des Facultés de droit c’est des interventions juridiques de par leurs démarches scientifiques et la méthode qui leur est propre. Cette méthode « permettrait, aux yeux des juristes (étudiants surtout), non seulement de connaître le droit en vigueur, mais de comprendre la politique, dès lors qu’il est admis que celle-ci obéit au droit ». A défaut, tout autre discours de leur part serait soumis à la méthode sociologique ou autre. Ceci permettrait même d’analyser « le discours des Professeurs de droit, qui ne s’expliquerait pas par la rationalité de leur démarche scientifique, mais par leurs positions que ces Professeurs entendent occuper dans le champ du savoir, c’est-à-dire, comme chacun sait du pouvoir. » Michel TROPER, Professeur à l’université Paris X - Nanterre

Dans ce contexte sociopolitique où le droit et la science juridique sont au banc des accusés, tous les juristes devraient se solidariser afin de défendre la noblesse de leur science et la réalité de son objet d’étude qu’est la règle de droit. Montrer au peuple que la contradiction basée sur la démarche scientifique est un salut qui relève du normal et non du pathologique devrait en être les premiers jalons car même les sciences exactes connaissent « les révolutions scientifiques » et la matière judiciaire des revirements de jurisprudence. Ce combat devrait commencer au degré le plus ultime de l’échelle. Ainsi l’apprenant serait confiant et motivé à poursuivre le chemin épineux des études juridiques. Quand les Facultés de droit du Sénégal forment des éminents qui sont dans les plus hautes sphères juridico-politiques du monde, c’est tout simplement parce qu’il y a de quoi être fier.

Le droit, instrument de la politique permet de donner une « expression formelle, dotée en principe de force obligatoire » à la manifestation des volontés et à la satisfaction des intérêts des hommes politiques. En effet, il est gage de stabilité et surtout de prévisibilité des rapports sociaux et politiques en particulier. Son respect devient ainsi une obligation pour tous.

Il arrive cependant, et c’est d’ailleurs là les coups que la politique (les politiciens du pouvoir comme de l’opposition) donne au droit et aux juristes, comme le constatait Pierre - Marie Dupuy en matière des relations internationales, que lorsque la conformité à la règle juridique à laquelle le sujet est obligé ne permet plus de satisfaire son intérêt, il opte « soit à réinterpréter le contenu ou la portée au mieux de son intérêt soit à en contester l’applicabilité à une situation donnée ». Ainsi, autant qu’il s’estime fort, son penchant vers la défiance s’accroît. Il faut par conséquent admettre que dans cette dynamique, les rapports de force constituent un facteur d’affaiblissement et de désacralisation juridique. Et cela les juristes comme tous les citoyens doivent le considérer comme non pathologique ; comme le crime, il va de concert avec l’evolution de toute société. Le droit est fait pour être transgressé et l’action judiciaire relève de l’œuvre humaine donc imparfaite.

Ni brûler les facultés de droit, ni les considérer comme déjà mortes mais, objectiver les interventions.

Ousmane Diène Faye

(le Cosmopolite !), Juriste, Politiste.

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