Publié le 4 May 2020 - 22:13
RECRUDESCENCE DU CORONAVIRUS DANS LA RÉGION DE DIOURBEL

Le marché Ocass installe la 2e vague de contamination à Touba

 

Après une accalmie de plus de deux semaines, la région de Diourbel connait une recrudescence exponentielle de la Covid-19.  Elle est à 144 cas, aujourd’hui, et se classe derrière Dakar qui a le plus grand nombre de malades. Une situation inquiétante, surtout dans la ville de Touba, avec les cas issus de la transmission communautaire. Entre déni de réalité, défiance des règles, ignorance des gestes barrière, le docteur Mamadou Dieng explique comment le marché Ocass a occasionné la 2e vague de contamination dans la ville qui avait pourtant réussi à s’en défaire une première fois.

 

Diourbel est la deuxième région la plus affectée par le coronavirus, au Sénégal. Nous sommes le 10 mars 2020. A 17 h, le directeur de cabinet du ministère de la Santé et de l’Action sociale, Docteur Aloyse Waly Diouf, livre l’information. ‘’Le Sénégal vient d’enregistrer son 5e cas positif. Il s’agit d’un ‘modou-modou’ (émigré) sénégalais résidant en Italie et âgé de 55 ans, habitant à Touba. Il est arrivé le vendredi 6 mars à l’aéroport international Blaise Diagne. Il est pris en charge au Service des maladies infectieuses de Fann’’. Quelques semaines plus tard, il est déclaré guéri. Auparavant, il a eu le temps de contaminer 25 personnes. Entre le 10 et le 24 mars, Touba cumule 26 cas. Mais l’équipe médicale parvient à étouffer le mal dans l’œuf. La région traverse une accalmie qui fait naitre les espoirs d’une guérison complète : deux semaines sans nouveaux cas. Du 24 mars au 10 avril exactement, indique le médecin-chef de la région médicale, Docteur Mamadou Dieng.

Malheureusement et paradoxalement, poursuit M. Dieng joint par ‘’EnQuête’’, les déplacements inter-régionaux, pourtant interdits, étaient en train de devenir le vecteur d’une 2e vague de contamination. Beaucoup de gens voyagent en empruntant des voies détournées, nonobstant l’évolution de la maladie dans d’autres parties du pays. ‘’On s’est rendu compte que ce sont les commerçants et autres hommes d’affaires du marché Ocass qui faisaient ces voyages. Donc, après cette période, tous ceux qui ont voyagé et qui étaient en incubation se sont contaminés dans ces zones de voyage, avant de revenir. Au moment où nous parlons de cas importés que nous allons bien gérer, nous alertons parallèlement sur ce phénomène avec les Allo-Dakar (NDLR : covoiturage de Dakar vers les autres régions ou inversement)’’, explique le médecin-chef.

Près d’un mois après, les faits semblent accréditer cette hypothèse. ‘‘Vous avez vu que tous les cas qui ont infecté les autres zones viennent de Touba. Quand ces personnes sont revenues, simultanément, elles ont fait leur durée d’incubation et il y a eu une éclosion de cas. Tous les 16 premiers cas découverts sont des personnes qui officient au marché Ocass’’, informe-t-il.

A partir du 10 avril, et pour le reste du mois, la région enregistre quotidiennement de nouvelles contaminations issues notamment de la transmission communautaire. Beaucoup de personnes répertoriées ou infectées dans certaines régions ou zones, viennent de cette région Centre et plus précisément de Touba qui en devient l’épicentre.

Mbacké a aussi son lot. Alors qu’il n’y avait que 26 cas le 24 mars, le bilan a pratiquement quintuplé, entre le 10 avril et ce 3 mai, passant à 144 cas positifs.

Casse-tête

L’accroissement des cas communautaires constitue un véritable casse-tête dans la lutte contre cette pandémie. De l’avis de docteur Mamadou Dieng, ils ont alerté sur la nécessité de faire cesser les déplacements, mais aussi de réglementer l’accès au marché Ocass. Malheureusement, ils n’ont pas été suivis. Finalement, c’est Ocass qui a enregistré le 2e départ de feu. ‘’Nous avons diagnostiqué un premier malade ; un commerçant du marché. Au départ, les gens du marché avaient nié, disant que ce n’est pas un commerçant. Mais nous avons localisé son étal.  Par la suite, ils ont reconnu qu’il était bel et bien un commerçant officiant dans ce marché. On a renforcé le plaidoyer pour demander la fermeture du marché. Mais, malheureusement, il y a de puissants lobbies au sein du marché. Ils ont laissé continuer et la propagation s’est poursuivie’’, explique Dr Dieng.

Ainsi, les agents de santé ont découvert quotidiennement d’autres cas positifs dans le marché dont il était évident qu’ils ont véhiculé une transmission secondaire. ‘’C’est à partir du marché que la maladie a essaimé dans la ville. Parce qu’un commerçant infecté et qui continue de mener son activité est en contact avec énormément de monde. Nous sommes en train de découvrir dans la ville des cas communautaires qui ne savent pas où est-ce qu’ils ont pris la maladie. Ce sont des gens qui séjournent au marché et parfois plus de 4 heures, sans masque, ni rien. Ils vous disent qu’ils ont croisé tellement de personnes qu’ils ne peuvent pas identifier les contacts. Voilà le modèle qui fait que Touba connait aujourd’hui cette éclosion’’, souligne-t-il.

‘’Certains ne croient pas à l’existence de la maladie’’

Mais en dehors de ce diagnostic préoccupant, le corps médical est en bute à un autre phénomène : il doit faire face au déni de la maladie. Docteur Dieng souligne qu’il y en a qui ne croient même pas à l’existence de la maladie. ‘’Ils théorisaient, au début, pour dire que ’Serigne bii aar na fii, fii dara doufi amm’’ (NDLR : les bénédictions du marabout nous protégeront). Ces gens n’adoptent pas les gestes barrières. Jusqu’à présent, ils continuent de nier la présence de la maladie à Touba. C’est un faisceau de facteurs qui explique cette propagation. Aujourd’hui, non seulement il y a ceux qui ne croient pas à l’existence de la maladie, d’autres se laissent aller. Ils pensent que les gens veulent combattre Touba et le mouridisme. Il y a toute une théorie autour’’, fait-il savoir.

D’ailleurs, pour preuve, il donne comme exemple les agissements du malade qui, à partir du centre de traitement, a fait des messages audio pour dire qu’il n’a rien. Autre exemple, c’est celui du fils du défunt qui refuse de croire que son père est décédé du coronavirus.

Le transport aussi constitue l’un des autres facteurs favorisant la propagation rapide de la maladie. Selon Dr Dieng, les transports publics ne sont pas réglementaires dans cette ville. Ce sont des véhicules de transport de marchandises qu’ils modifient et dans lesquels ils installent des bancs en bois.  Les passagers, dit-il, s’assoient sur ces bancs, donc côte-à-côte et, souvent, ces véhicules sont bondés. ‘’Il y a un fort mouvement de population se déplaçant entre Touba et Mbacké, Touba et les quartiers périphériques. Il y a un ensemble d’éléments qui explique que, malgré tous les efforts fournis, la situation reste compliquée’’, regrette docteur Mamadou Dieng.

Les transports publics non réglementaires

Le directeur général du Service national de l’éducation et de l’information pour la santé (Sneips), Docteur Ousmane Guèye, ne dit pas le contraire, lorsqu’il souligne que la transmission communautaire est partout dans le pays, mais la prédominance est à Touba. C’est pour cette raison qu’il demande à la population de rester sur place. ‘’Le virus ne circule pas. Ce sont les gens qui le font circuler. Il faut que les gens restent chez eux, pour un meilleur respect des mesures administratives données par le président Macky Sall, avec l’arrêté du ministre de l’Intérieur. C’est fondamental. Si la transmission communautaire commence à avoir de l’ampleur dans le pays, c’est parce que les gens ne restent pas sur place’’, fustige-t-il. Avant de préciser qu’ils ne sont pas encore débordés à Touba.

‘’On contrôle la situation. Certes, les cas augmentent, mais le personnel n’est pas débordé. Il y a un appui. Le ministère de la Santé a augmenté les moyens à ce niveau, que ça soit en ressources humaines et en équipements. Notre équipe est, depuis la semaine dernière, dans la ville pour appuyer la sensibilisation, surtout dans l’engagement communautaire. Avec tous ces moyens conjugués, nous pensons pouvoir maitriser la situation’’, rassure Dr Guèye.

Docteur Mamadou Dieng se montre aussi optimiste. Il souligne que la région de Diourbel dispose d’assez de ressources humaines. En plus, dès le départ le ministère a dépêché des équipes sur place. Il y a des médecins, des épidémiologistes, le laboratoire de l’Institut Pasteur. En plus, dit-il, les analyses sont effectuées sur place. Il y a, souligne Dr Dieng, des équipes de la surveillance épidémiologique, des équipes psychosociales et des psychiatres. Du point de vue de la capacité d’hospitalisation, ils ont ouvert un autre centre. Mais celui-ci, dit-il, sera plein, dans les jours à venir. En attendant, ils sont en train de cibler d’autres sites où seront érigés des centres de traitement.

 ‘’Il y a un appui de l’armée. Des médecins militaires qui viennent d’arriver, pour appuyer la prise en charge. Ce qui nous pose problème, c’est souvent les mesures d’accompagnement pour les maisons qui sont en quarantaine. C’est vrai que, du point de vue de cas confirmés, les deux centres seront bientôt érigés. Il se posera le problème d’hospitalisation des cas confirmés. Donc, pour le moment, on envisage d’ouvrir le nouveau bâtiment de Matlaboul Fawzeyni qui est un bâtiment à étage. Les deux premiers paliers sont terminés. C’est-à-dire le rez-de-chaussée et le premier étage où on pourra mettre plus de 200 lits’’, renseigne le médecin-chef de la région. 

Autre solution soutenue par docteur Mamadou Dieng, c’est l’ouverture d’un autre site dans les nouveaux postes de santé de Touba Ci Kanam. 

Selon lui, ce sont des structures déjà réceptionnées.  Il manque juste le petit matériel pour y recevoir des malades.  Pour ce qui est des cas graves, ils sont référés comme d’habitude. Parce que, ‘’pour ces cas, il faut avoir de la réanimation spécifique. Même les cas instables, on n’attend même pas que ça soit grave. Quand on dépiste tout cas instable, on le conditionne et on l’évacue. Depuis le début, on a évacué 5 personnes’’, éclaire Dr Dieng.

‘’Il faut faire comme les Coréens’’

La virologue professeur Coumba Touré Kane préconise, elle, la solution appliquée par les Coréens, pour venir à bout de tous ces cas communautaires. Ce sont les MTTT. ‘’Le M pour masquer, le T pour tester, l’autre T pour traquer les gens qui sont en contact et le dernier T pour traiter. Si on applique cela, on pourra y arriver. Mais il faut que tout un chacun sache que ce n’est pas seulement l’affaire du ministère de la Santé ou des acteurs de la santé, encore moins du gouvernement. 

C’est l’affaire de tout Sénégalais. Même à l’intérieur des maisons, il faut faire des efforts, parce que chaque personne vaque à ses occupations dans la journée. Ils se retrouvent le soir dans la maison. Donc, il faut faire très attention et surtout renforcer le lavage des mains. Si ce lavage est fréquent, on peut vraiment réduire la chaine de transmission. On peut même la rompre’’, estime Pr. Kane. Qui fait remarquer que cette propagation ne concerne pas seulement Touba, car presque toutes les localités sont concernées au Sénégal

‘’Il y a beaucoup de points chauds dans le pays. Même à Dakar, il y en a. Touba et l’est du pays, c’est la même chose actuellement. Si tout le monde y met du sien, en respectant les gestes barrières et qu’on dépiste le maximum, on pourra espérer rompre la chaine de transmission’’, tempère Pr. Kane.

Selon elle, il faut que chacun essaie de redoubler d’efforts et qu’on sensibilise davantage. Il faut également, dit-elle, que les règles d’hygiène soient vraiment respectées. ‘’Il n’y a que ces gestes barrières qui peuvent nous sauver. Si vous rapportez le taux de positif au nombre de tests réalisés, ce n’est pas très différent. Mais pour les avoir assez tôt, il faut renforcer le nombre de tests pour que les patients asymptomatiques ne continuent pas à propager l’infection. Le port du masque doit être indispensable à tout niveau’’, conseille la virologue.

VIVIANE DIATTA

 

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