Publié le 26 Mar 2021 - 00:17
RELANCE DU SECTEUR CULTUREL

Les récriminations des artistes, les réponses de la tutelle

 

Les artistes vont à nouveau pouvoir se produire dans les salles de spectacle, avec la levée des restrictions sanitaires. Hier, le ministre de la Culture et de la Communication, Abdoulaye Diop, a invité les acteurs du secteur autour des modalités de reprise.

 

Fermées depuis un an pour barrer la route à la propagation de la Covid-19, les salles de spectacle sont enfin rouvertes. Les artistes et les acteurs culturels qui n’avaient eu de cesse de dénoncer les restrictions qui leur étaient imposées, vont enfin pouvoir reprendre leurs activités.

Mais malgré la levée de l’état de catastrophe sanitaire, cette reprise ne se fera pas sans accompagnement. Pour cause ! La Covid-19 n’est pas encore vaincue. D’ailleurs, pour le moment, les salles de cinéma et les grandes salles de spectacle ne sont pas concernées par la mesure de réouverture. 

Afin de définir, avec les acteurs, les conditions optimales de cette reprise des activités culturelles, le ministre de la Culture et de la Communication, Abdoulaye Diop, a invité, avant-hier, les acteurs culturels et les artistes à une séance d’information et de partage. ‘’Aujourd’hui, certaines restrictions imposées sont levées. Mais la maladie est toujours là. Hélas ! Il faut donc avoir conscience que la seule mesure qui vaille, avec la vaccination, c’est l’autoprotection’’, leur a dit le ministre de la Culture.

Ainsi, il leur demande de continuer à respecter les mesures sanitaires et d’accompagner le gouvernement dans la prise de conscience collective. ‘’Vous nous avez reçus au Grand-théâtre, pendant trois jours, pour qu’on réfléchisse, qu’on anticipe sur ce que doit être l’après Covid-19. Nous devons prendre en compte que la Covid-19 a été, quelque part, pour la culture en tout cas, un mal pour un bien’’, a dit le président de l’Association des métiers de la musique du Sénégal (AMS) Daniel Gomes, s’adressant au ministre de tutelle qui a été assez ouvert. ‘’On a compris aujourd’hui, que ce n’est pas l’artiste de premier plan qui fait la culture. Beaucoup ont réalisé qu’on était plus nombreux que ça. Lors de la répartition des dernières aides, on a pu comptabiliser plus de 20 mille bénéficiaires (ceux qui sont inscrits quelque part)’’. Ainsi, que fait-on de ceux inscrits nulle part et qui restent malgré tout, des artistes ?

Statut de l’artiste, copie privée, relance…

Monsieur Gomes estime que le ministère de la Culture, avec les organisations professionnelles, peut travailler avec l’Agence nationale de la statistique pour mener une vaste étude, afin de mieux évaluer le nombre d’artistes et acteurs culturels. A cet effet, il a évoqué le statut de l’artiste dont il dit que beaucoup d’artistes en ignorent le contenu, même si le gouvernement a déjà examiné le texte en Conseil des ministres.

Pour le ministre Abdoulaye Diop, il n’y a aucune inquiétude à nourrir à ce propos. Il considère que ce qui devait être fait l’a été. La démarche ayant mené à la rédaction du texte de loi a été inclusive. ‘’Nous, en tant qu’Etat, on essaye d’offrir un cadre d’amélioration. Et ce cadre-là, de manière inclusive, a été discuté. Je crois qu’il faut se féliciter du processus qui nous a menés à la rédaction d’un texte de loi. Tout ce qui est contenu et contenant dans le statut de l’artiste, c’est au cours de séminaires où les gens ont donné des idées que cela s’est décidé. Et de manière commune, on est arrivé à mettre cela sur pied et la loi est passée’’, assure-t-il. ‘’La deuxième phase de travail est entamée. Il s’agit des décrets d’application. Et cela se fait, d’une part, avec le ministère du Travail, et, d’autre part, avec le ministère des Finances’’.

Daniel Gomes, par ailleurs, se dit préoccupé par l’état d’avancement du dossier sur la copie privée. ‘’Les projections disent que la copie privée peut générer 8 à 12 milliards F CFA. Pendant un an, on n’a pas travaillé. Mais aussi, il y a de l’argent qui est en train de fondre comme neige au soleil au niveau de la douane’’, dit-il.

‘’Il nous faut absolument nous asseoir et voir ce qu’on va faire de cette fameuse copie privée, à partir du moment où toutes les étapes ont été franchies. Il faut juste savoir comment la mettre en œuvre. Il faudrait que tout le monde arrive à se l’approprier’’, insiste-t-il.  

En effet, la rémunération sur copie privée est celle qui est due sur tous les appareils et supports de musique qui entrent dans le pays. C’est une taxe payée par les commerçants et versée au niveau de la douane pour le préjudice subi sur les enregistrements qui sont faits et les appareils tels que le téléphone portable, les disques durs et les clés USB. Le ministre s’est voulu rassurant quant à cette question. ‘’Une commission a été mise en place. Elle travaille d’arrache-pied pour qu’on arrive à quelque chose de consensuel avec nos amis de la douane et du ministère des Finances’’, informe-t-il.

Concernant la relance du secteur, Daniel Gomes est d’avis qu’il faut faire de sorte que les employeurs ‘’ne continuent pas à exploiter les artistes’’, sous prétexte de la crise sanitaire. A cet effet, il a sollicité un premier accompagnement pour aider les entreprises employant les artistes. L’on se demande alors à quoi ont pu servir les 4,5 milliards octroyés à la culture depuis le début de la crise au Sénégal. ‘’Nous avons fait des propositions qui ne sont peut-être pas complètes, mais qui peuvent être une bonne base de travail. Ce qui est très difficile pour la relance. Nous nous retrouvons aujourd’hui avec plein de dettes (fiscales). Aujourd’hui, les entreprises culturelles n’ont plus rien.

Quand l’aide du président de la République est arrivée, elle a été distribuée individuellement aux artistes. Les entreprises ont des problèmes pour relancer leur travail’’, selon un des acteurs culturels présent à la rencontre. Encore que, selon le chanteur Mame Gor Diazaka, certains artistes n’ont pas reçu leur part du Fonds Force Covid-19. ’’Il y a beaucoup de jeunes artistes qui m’appellent pour me dire qu’ils n’ont pas encore reçu leur part de l’aide octroyée par le président Macky Sall’’, a-t-il souligné. Il a aussi demandé une remise gracieuse de l’impôt, vu que les artistes sont restés plus d’un an sans travailler.

Ils ont eu un écho favorable. ‘’Nous avons eu une première rencontre avec le ministère de la Coopération pour voir comment faire pour vous aider. La question n’est pas compliquée. Il est clair que nous avons levé le pied là-dessus durant la crise sanitaire. Ce n’est pas énorme, les impôts que ça nous rapporte. Donc, compte tenu de la solidarité nationale qui doit y avoir autour de cette coopération très impactée, il faut accompagner les entreprises culturelles’’, a défendu le ministre de la Culture.

Abdoulaye Diop : ‘’La Sodav est une société viable qui se respecte’’

Pour les artistes qui se seraient inscrits et n’auraient pas encore reçu leur part des 2,5 milliards remis par l’Etat, les transferts se faisaient via un service dédié et un téléphone mobile. Certains des artistes inscrits ont effacé le message du service de transfert, pensant que c’était de l’arnaque. D’autres n’avaient pas de carte d’identité.

Cependant, d’après la directrice des Arts, Khoudia Diagne, ‘’une deuxième liste est ouverte pour les réclamations’’. Par conséquent, ceux qui n’ont pas reçu leur appui ont pu s’y réinscrire et recevoir leur part. ‘’Le processus se poursuit toujours. Le dernier paiement va se faire cette semaine, après le traitement des réclamations’’, ajoute-t-elle.

Sur un autre registre, Mame Gor Diazaka a évoqué, une fois encore, la gestion de la Sodav. ‘’Nous aimerions savoir où on en est avec l’audit de la Sodav. Nous avons besoin de savoir. Je ne demande pas parce que j’ai un problème avec la structure. Je parle au nom des artistes qui m’appellent et m’interpellent’’.

Le ministre s’est voulu clair.  ‘’L’audit, dit-il, c’est pour voir les points forts et les points faibles. Et c’est même souhaitable’’. La Sodav est une société viable qui se respecte et doit être auditée’’. Une manière de dire que l’audit était programmé comme cela se fait dans toutes les sociétés privées. D’ailleurs, il a porté à la connaissance des artistes que celui de la Sodav a commencé depuis le 19 février dernier. ‘’Et encore une fois, il ne faut pas s’attendre forcément à attraper un voleur. Je veux être très clair là-dessus’’, a-t-il insisté sur un ton ferme.

Comme le ministre aime souvent le dire, l’artiste, à l’image d’un footballeur, a un métier libéral qui doit lui permettre de pouvoir gagner sa vie grâce à son talent. Et le rôle de l’Etat, souligne-t-il, c’est de l’accompagner.  ‘’Si on a des talents, il faut leur créer un cadre. Aujourd’hui, il faut se féliciter, quand même, qu’au Sénégal, dans le cadre de la culture, il y a une forte volonté politique de construire, d'accompagner et de réformer’’, dit-il. ‘’Nous avons des infrastructures dignes de ce nom. Prenons l’exemple du musée des Civilisations noires ; il est le 5e des 250 musées du monde. Nous avons, à côté, les travaux de Gorée-Almadies pour le mémorial. Nous avons aussi des événements phares, qui sont une réalité dans le monde culturel. Je peux citer la Biennale qui fait partie des sept biennales du monde. Tout cela, on est parvenu à le faire par la combinaison de deux choses : le talent de nos concitoyens et la volonté politique réelle que nous avons pour la culture’’. 

BABACAR SY SEYE

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