Publié le 22 Dec 2020 - 05:23
REPORT DE VOIX ÉLECTORALES

Ces écueils qui faussent le calcul de Macky Sall

 

Le report de voix n’est pas automatique en politique, même si le président de l’Alliance pour la République annonce que la majorité capitalise 85 % de l’électorat, avec ses nouveaux alliés.  

 

Le leader de l’Alliance pour la République (APR) se sent fort et puissant avec ses nouveaux alliés. Macky Sall a, en ce sens, annoncé récemment que la majorité pourrait capitaliser 85 % de l’électorat, s’il réussit à rallier d’autres anciens candidats à la dernière Présidentielle, en plus de ceux qui le soutiennent déjà.  En avançant ce pourcentage, le chef de l’Etat fait référence au nombre de voix que pourraient lui apporter des leaders comme Idrissa Seck, Aissata Tall Sall, Oumar Sarr…

Seulement, l’addition ne se fait pas aussi facilement et le report de voix n’est pas si automatique. L’histoire l’a déjà démontré.

On est en 2000 et Djibo Leyti Ka, arrivé 4e au premier tour de la Présidentielle avec 7,8 % de l’électorat, décide de soutenir le candidat du Parti socialiste, 1er du scrutin avec 41,3 %. A l’époque, le leader du l’Union pour le renouveau démocratique (URD) théorisait le changement et était prêt à s’allier, au 2nd tour, avec le candidat qui en ferait l’engagement.  

‘’J’adresse à mes compatriotes qui m’ont accordé leur suffrage mes sincères remerciements. Je prends l’engagement devant la nation de faire du suffrage un instrument et un moyen pour le changement auquel aspirent toutes les Sénégalaises et tous les Sénégalais (…) Les termes du changement se conjuguent aujourd’hui en réformes institutionnelles majeures pour réhabiliter toutes les institutions de la République’’, déclarait Djibo Ka dans l’entre-deux tours. Un appel bien saisi par le président sortant qui avait invité Djibo Ka à le rejoindre pour concrétiser ce changement. 

‘’J’invite Djibo Leyti Ka, SG de l’URD, à se tenir prêt pour amener à mes côtés et avec toute l’équipe victorieuse les changements de politique, de structure et de méthode que veut le pays. Je demande également au Renouveau démocratique, qui est une réalité politique significative, de se mobiliser en synergie avec le PS, les autres partis et mouvements qui me soutiennent, la société civile, pour relever ensemble ce défi’’, lançait Diouf.

Mais ce fut la désillusion et la fin de décennies de règne socialiste. Abdoulaye Wade et son allié Moustapha Niasse sortirent vainqueurs de cette échéance.  

En 2012, également, le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais, candidat à sa propre succession, avait bénéficié d’une consigne de vote du guide des ‘’Thiantacounes’’, feu Cheikh Béthio Thioune, qui se prévalait de millions de talibés. Maitre Abdoulaye Wade lui avait fait une cour assidue, espérant des retombées politiques. Il avait été défait par son ancien Premier ministre Macky Sall.  

Frustrations et rebellions 

Des exemples qui montrent, d’après l’enseignant-chercheur à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, que le calcul mécanique fait par le président de la République, comme quoi il va capitaliser 85 % de l’électorat avec ses alliés, ne reposent sur aucun fondement. 

‘’Historiquement, cela ne se justifie pas. Dans l’histoire, il y a des cas de revirements spectaculaires. Il y a l’exemple de Djibo Ka entre les deux tours de la Présidentielle de 2000 où l’électorat n’a pas suivi. Djibo Ka a failli compromettre la première alternance de 2000, si son électorat l’avait suivi. Ses militants ont décidé de voter pour l’alternance. Il y a eu aussi des ‘’ndigeul’’ électoraux, des consignes de vote qui ont été données par des marabouts’’, rappelle le Dr Pape Fara Diallo.  

Il ne faut pas également perdre de vue que les ralliements entrainent souvent des frustrations des deux côtés. Il y a, d’une part, les militants de la première heure du parti au pouvoir qui se voient souvent rétrogradés au profit des nouveaux venus. Ce qui crée ainsi des frustrations internes et réduit l’électorat, avec des possibilités de votes-sanction.  

Ainsi, dans le contexte actuel, l’enseignant-chercheur à l’UGB estime que tous ceux qui ont été débarqués de leur poste de ministre ou de présidente du Conseil économique, social et environnemental peuvent créer une forme d’opposition interne à l’APR. ‘’Certains se sont clairement braqués. D’autres se sont emmurés dans un silence assourdissant qui en dit long. Et d’autres aussi ont décidé de montrer à l’opinion qu’ils sont toujours en phase avec le parti. Mais personne ne peut nier qu’ils ne sont pas contents d’avoir été défenestrés et leurs militants le font savoir, à travers des communiqués et manifestations via les médias, pour expliquer leur mécontentement. De ce point de vue, on peut soupçonner des remous au sein du parti présidentiel, du fait que le chef de l’Etat a préféré se séparer d’eux pour faire de la place à des opposants’’, indique le Dr Diallo.   

De l’autre côté, les nouveaux alliés n’embarqueront pas facilement dans leurs bagages tous leurs militants. Certains ne seront pas forcément d’accord de suivre la trajectoire choisie par leur leader. L’exemple le plus patent est sans doute celui de l’ex-n°2 du parti Rewmi, Déthié Fall, qui a continué d’émettre des critiques contre le régime en place, à l’Assemblée nationale, alors que son président vient de juste de rallier la majorité. Une position qui lui a d’ailleurs coûté son poste au sein du bureau du Rewmi.  

‘’C’est sans compter avec la liberté de ton et d’engagement des uns et des autres. Les gens qui vous suivent ne sont pas des moutons de panurge qu’on peut manipuler à gauche et à droite. Ce sont aussi des gens qui ont des stratégies de positionnement, qui ont leur conviction, des principes qu’ils défendent’’, souligne Pape Fara Diallo. Pour qui, si certains militants suivent un leader, c’est parce qu’ils se retrouvent dans les idéaux qu’il défend, un programme commun qu’ils portent ensemble. ‘’Si un jour, parce que vous avez décidé de négocier de manière officieuse avec le chef de l’Etat pendant X mois, sans informer vos principaux lieutenants et que, du jour au lendemain, ils apprennent que vous avez rejoint l’autre camp, alors que vous aviez, jusqu’à une époque, défendu des thèses opposées à cela, eux aussi ont la liberté de ton de pouvoir s’exprimer et de dire : nous n’allons pas vous suivre. Quand Idrissa Seck a décidé de rejoindre la majorité, il y a beaucoup de militants du parti Rewmi qui ont clairement décidé d’aller rejoindre soit Sonko ou d’autres partis de l’opposition ou de suspendre leurs activités au sein du parti’’, fait savoir l’enseignant-chercheur à l’UGB.  

D’après notre interlocuteur, l’électorat est assez fluctuant. En effet, argue-t-il, quand la figure qui incarnait le parti change de cap, soit il peut emporter une minorité qui a des intérêts à suivre, alors que la majorité silencieuse qui est dans les coordinations départementales ou dans les zones les plus reculées et qui constitue la base électorale du parti, peut décider de ne pas suivre.  

’Au Fouta, on vote majoritairement pour le parti au pouvoir’’

Toujours est-il que, relève Pape Fara Diallo, l’électorat n’est pas quelque chose de définitivement figé. Il est dynamique, même s’il y a des permanences en termes de comportement électoral. Il renseigne d’ailleurs que des études ont démontré, par exemple, que dans le Fouta, on vote majoritairement pour le parti au pouvoir, depuis Senghor jusqu’en Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade. ‘’Cela peut s’expliquer par au moins deux éléments : le premier est l’existence dans le Fouta de ce qu’on appelle, en science politique, les médiateurs en politique. Il y a des notables, des émigrés qui sont dans la diaspora et qui participent avec leurs envois à structurer le comportement de ceux qui sont restés au village. La deuxième chose, ce sont les médiateurs locaux, notamment les notables et chefs de village qui jouent un rôle de tampon entre les candidats et les populations. En général, ces médiateurs, que ce soient ceux de la diaspora ou locaux, sont généralement en faveur de la majorité au pouvoir’’, explique l’enseignant-chercheur.

Il relève, en outre, un troisième aspect lié au fief de certains leaders politiques. Des hommes, dit-il, comme Idrissa Seck ont contrôlé Thiès pendant longtemps ; Moustapha Niasse a fait pareil pour Keur Madiabel et Ousmane Tanor Dieng à Nguéniène. Ce qui fait que, sur un temps long, l’électorat de ces zones est stable dans ses choix électoraux. 

HABIBATOU TRAORE 

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