Publié le 24 Apr 2024 - 13:39
REPORTAGE

Quand la photographie fait sa mue

 

Au Sénégal, comme partout dans le monde, l'évolution technologique a profondément transformé de nombreux secteurs y compris celui de la photographie. Jadis animés par le cliquetis des appareils argentiques et le charme des longues attentes pour le développement des films, les boutiques et studios photo traditionnels se font de plus en plus rares, cédant la place aux technologies numériques qui offrent instantanéité et facilité. Reportage.

 

Dans les rues de la banlieue de Dakar, les enseignes des studios photo qui proclamaient fièrement les services de photographie pour les événements, les portraits de famille ou les photos d'identité sont progressivement remplacées par des boutiques de téléphonie et d’accessoires numériques. Les photographes eux-mêmes, autrefois détenteurs d'un savoir-faire transmis de génération en génération, doivent aujourd'hui s'adapter à une ère où les smartphones et les appareils photo numériques règnent en maître.

La commodité des appareils numériques permettant à chacun de capturer des images de qualité à moindre coût a indéniablement révolutionné la pratique de la photographie. "Avant, chaque famille venait au moins une fois par mois pour des portraits ou pour immortaliser des occasions spéciales", se souvient Mamadou Ndoye, un photographe de studio au quartier Escale à Ziguinchor. “Aujourd'hui, les gens préfèrent utiliser leur téléphone, ce qui est moins coûteux et plus rapide".

‘’Je ne me rappelle pas la dernière fois où je me suis rendue dans un studio pour prendre des photos. Je prends des poses avec mon smartphone’’, renseigne Kadjatou Ba, une étudiante en hôtellerie. Cette affirmation est la ritournelle des dizaines de personnes interrogées sur cette question. Ils se contentent de faire des ‘’selfies’’ ou autoportraits et les publient directement sur la toile.

Pour ce spécialiste des nouveaux métiers, Mountaga Cissé, l’évolution technologique a permis d’avoir plusieurs fonctions dans les appareils téléphoniques, dont la photo avec des images de qualité. Est-ce une menace à l’avenir des studios photo ? Une thèse probable pour Ousmane Ndiaye, ancien gérant d’un célèbre studio à Yeumbeul. Une notoriété qui lui a valu le nom de l’arrêt bus ‘’studio’’ dans ce quartier populeux. Une visite dans ce coin de la banlieue a permis de voir plus clair. Depuis 2006, l’atelier est fermé. ‘’J’ai noté une baisse des recettes quotidiennes. Chaque jour, je pouvais gagner entre 6 000 et 8 000 F CFA. Mais avec l’avènement du numérique, les clients sont devenus plus rares’’, explique-t-il. Cependant, pour ce père de famille, cette profession est un amour et un legs. La photo, c’est avant tout de l’art, avant de rappeler qu’il a hérité de son père dans ce lieu depuis 1987. Reconverti en agent de distributeur de réseau de télévisions câblées depuis cinq ans, il pense que l’adaptation aux nouvelles technologies est essentielle pour la survie de cette profession. Une idée que partage le spécialiste de l’image : ‘’La photographie va rayonner, mais le métier de photographe risque de disparaitre, sauf dans les médias où l’on en a toujours besoin pour illustrer les articles.’’

Photoshop et illustrateur

Cependant, certains professionnels ont déjà anticipé cette mutation technologique. Tahur Diop, gérant du labo Tahur à Yeumbeul-Sud et autodidacte, précise qu’il a appris à utiliser les logiciels d’image Photoshop et Illustrator pour se conformer à la demande d’une nouvelle clientèle tournée vers le numérique.

Malgré cette mise à niveau, cet homme d’une trentaine d’années d’expérience présage un avenir peu reluisant pour des studios photo. ‘’On pouvait gagner par semaine presque 300 000 F CFA, mais maintenant, il est difficile d’avoir 150 000 F CFA’’, relève-t-il.

Dans cette banlieue dakaroise, nombreux sont les ateliers de photo qui ont déjà jeté l’éponge. Et la descente aux enfers risque de s’accentuer, note le formateur au Cesti, Mountaga Cissé.

D’après lui, l’évolution numérique est à son paroxysme. D’autant plus qu’il immortalise les événements et sauvegarde bien des données. En outre, l’accès facile des imprimantes, tablettes et caméscopes dû à un coût bas sur le marché des outils numériques à accélérer ce désintéressement dans les studios, informe Cheikh Kane, professeur de multimédia dans une école à Fann.

Par ailleurs, la fonction de partage des photos dans les réseaux sociaux raréfie les albums familiaux. Leur développement a amplifié cette tendance, chaque moment pouvant être instantanément capturé, partagé et célébré en ligne sans l'intervention d'un professionnel.

Pour Ndèye Awa Ndiaye, pas question de se payer un album auprès des studios. Elle garde ses images de souvenir dans son compte Facebook. Les cérémonies comme les mariages et les baptêmes suffisent pour appeler le service des photographes. C’est l’avis de Tahur Diop : ‘’Nous profitons des événements comme (les baptêmes ou la Tabaski) pour en tirer le maximum de profit. Surtout les weekends où l’on peut tirer un rouleau de trois mille clichés’’, glisse-t-il sous un air taquin. Avant d’ajouter que ‘’ceux qui viennent solliciter leurs services, c’est pour des photos de carte d’identité’’.

En revanche, même s’il faut saluer cette avancée technologique dans ce domaine, il est évident que la qualité de la photo au Sénégal reste lamentable par rapport aux pays occidentaux. ‘’Le matériel électronique est coûteux et il y a peu de techniciens dans ce domaine’’, conclut le formateur.

Vers un futur numérique intégré

La disparition progressive des studios photo traditionnels au Sénégal est symptomatique d'un changement culturel plus large. Elle soulève des questions importantes sur la préservation du patrimoine photographique et les compétences artisanales.

Néanmoins, elle illustre également la capacité de résilience et d'innovation des professionnels du secteur.

La photographie, qu'elle soit réalisée par un appareil argentique ou un smartphone dernier cri, reste une forme puissante de communication et de conservation de la culture. En embrassant à la fois le passé et le futur, les photographes sénégalais continuent de capturer l'essence d'un pays riche en histoire et en transformation.

Amadou Camara Gueye

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