Publié le 24 Oct 2021 - 16:58

Saint-Louis en plein désarroi

 

Le secteur de la pêche à Saint-Louis souffre de nombreux maux. Il s’agit, entre autres, de la rareté des ressources halieutiques, du manque d’infrastructures de conservation et de transformation, du manque de financements et de formation des femmes transformatrices, de l’insuffisance des licences de pêche, du changement climatique, de la future exploitation du gaz et de la surexploitation des ressources halieutiques par les bateaux étrangers. De multiples difficultés qui font le lit du mal-vivre des pêcheurs de la Langue de Barbarie.

 

A la Langue de Barbarie, dire que la pêche traverse des moments difficiles est un secret de polichinelle. Les pêcheurs de cette localité ne savent plus à quel saint se vouer, pour trouver de réponses sérieuses à leurs nombreux problèmes. La rareté des ressources halieutiques, des licences de pêche, des financements et les effets néfastes du changement climatique sont autant de facteurs qui ont pratiquement anéanti leurs activités. A Saint-Louis, l’érosion côtière, l’avancée de la mer, la disparition d’habitats côtiers, de plages de débarquement et de sites de transformation sur le littoral sont une parfaite illustration du phénomène impactant négativement le secteur de la pêche.

De l’Hydrobase à Goxu Mbacc, en passant par Guet-Ndar et Santhiaba, les sous quartiers de la Langue de Barbarie sont très affectés par le phénomène et les dégâts sont énormes. « Les impacts des changements climatiques ont fini de bouleverser la vie de la plupart des communautés de pêche, surtout à Saint-Louis. Car, on a l’habitude de dire que : quand la pêche va bien, tout marche à merveille à Saint-Louis, parce que c’est le secteur qui tire l’économie locale vers le haut. Malheureusement, ce n’est plus le cas, depuis belle lurette », regrette Moustapha Dieng. Pour le secrétaire général du syndicat national des pêcheurs du Sénégal (SYNPS), les possibilités de pêche ou de signatures de protocoles se sont amoindries avec les pays voisins et l’expansion des activités des pêcheurs guet-ndariens sont très limités.

"Au Sénégal, plus de 23 000 pirogues sont répertoriées, Saint-Louis en compte le plus grand nombre, mais aussi, le plus grand nombre de pêcheurs en activité. Dans tous les sites de pêche du pays, vous trouverez des saint-louisiens et des pirogues de la Langue de Barbarie. Le nombre de licences octroyées par la Mauritanie est insuffisant par rapport à la forte demande. C'est la même situation qu'on note dans les autres pays de la sous-région. Tous ces ingrédients combinés avec la rareté des ressources halieutiques sur nos côtes, constituent un véritable handicap dans les activités de nos braves pêcheurs. A Saint Louis, il y a un déficit criard d'infrastructures de débarquement et de conservation des prises. Les quais de pêche n'obéissent à aucune norme de sécurité et les chambres froides sont inexistantes", dénonce Tapha Dieng. 

Les bateaux étrangers au banc des accusés

Revenant sur la longue liste des dures conditions de vie et de travail des acteurs de la pêche de la Langue de Barbarie, le secrétaire général national de l'Unapas fustige, également, l'oubli volontaire dont  l'un des plus vieux quartiers de la commune est victime. "Les populations sont confrontées à d’énormes difficultés. La brèche continue de tuer quotidiennement et menace dangereusement l’existence de la Langue de Barbarie.  La rareté des licences de pêche et des ressources halieutiques ont accentué le chômage, la pauvreté dans le quartier et multiplié les incidents avec les gardes côtes mauritaniens. Plusieurs centaines de familles sont dans le désarroi total entre l’Hydrobase, Guet-Ndar, Santhiaba et Goxu-mbacc, parce qu’elles ont tout perdu et, malheureusement, laissées à elles-mêmes. Une situation qui oblige certains à violer les eaux maritimes de la Mauritanie pour des raisons de survie. Puisqu’il est très difficile pour un responsable de famille de voir ses enfants et autres membres de sa famille rester des jours sans manger ou ne pouvoir régler les besoins les plus élémentaires", se désole M. Dieng. 

Malheureusement, pour le syndicaliste, les difficultés des pêcheurs de Saint Louis et du Sénégal en général continueront, tant que le gouvernement n'arrêtera la délivrance de licences de pêche aux  bateaux étrangers, surtout ceux de l'Union Européenne. "Notre mer est vidée de ses ressources halieutiques par les bateaux étrangers. Pour trouver du poisson, les pêcheurs sont obligés d'aller très loin et c'est la cause de plusieurs disparitions et d'accidents en mer. Les 34 bateaux de l'EU, censés pêcher le thon et le merlu, raclent dangereusement le fond de nos eaux maritimes. Si on permet à ces bateaux, en dehors de leur quota du thon et du merlu, de pêcher 5% de crustacés, de 15% d'autres espèces dorsales, cela veut dire que les autorités n'ont pas mesuré la dangerosité de ces licences octroyées aux bateaux étrangers et les effets négatifs qu'elles engendrent sur la pêche artisanale. Non seulement, les bateaux européens pillent nos recherches, mais aussi, utilisent des appâts vivants via les alevins. A cause de ces bateaux, les pêcheurs paient un lourd tribut à la mer, plus de 40 morts par an sont recensés", déplore le SG de l'Unapas. 

La découverte du gaz une autre menace de leurs activités 

A côté des menaces des bateaux de l'UE et de la rareté du poisson, les pêcheurs de Guet-Ndar doivent faire, également, face aux effets négatifs de la découverte du gaz dans les côtes saint louisiennes. Dans la commune de Saint-Louis, malgré l’espoir suscité par les gains économiques immédiats, les acteurs de la pêche font part de leurs inquiétudes quant aux impacts négatifs de l’activité extractive sur l’environnement marin et par voie de conséquence sur le secteur de la pêche qui constitue la principale source de revenus des populations.

"A l'opposé des retombées positives de l'exploitation du gaz, il y aura beaucoup d’impacts négatifs. D’ailleurs, cela a commencé avec les recherches et l’exploration au fond de l’océan. Avec l’exploitation, il est demandé aux pêcheurs de s’éloigner des installations d’un périmètre de 500 mètres à un kilomètre, ce qui réduira davantage les côtes de Saint-Louis. Pourtant, c’est à cause de l’étroitesse de la côte que les pêcheurs guet-ndariens ont souvent eu des accrochages avec les garde-côtes mauritaniens, si on y retire encore 500 mètres voire un kilomètre, c’est tuer la pêche dans cette partie du pays", martèle Moustapha Dieng. Avant d'ajouter que d’autres impacts négatifs peuvent survenir, telles que la nuisance sonore qui éloigne les poissons, le déversement éventuel dans les eaux de produits toxiques, entre autres.

"Ces effets occasionneront beaucoup de pertes d’emplois directs et indirects dans les secteurs et sous-secteurs de la pêche. C'est pourquoi, les acteurs que nous sommes devons tenir un plaidoyer fort auprès des autorités pour que ce manque à gagner des travailleurs de la  pêche soit pris en charge dans les retombées financières", dit-il.

Dures conditions de travail des femmes transformatrices

Les femmes transformatrices de la Langue de Barbarie qu'on surnomme les "jambar-sine" ne sont pas mieux loties que leurs hommes. Malgré leur bravoure, elles peinent à trouver des financements et des formations pour mener à bien leurs activités. Pire, elles travaillent dans des conditions très artisanales sur des sites qui ne respectent aucun code d'hygiène.   "Le site de transformation de Guet Ndar, qui était acquis dans le cadre de la coopération espagnole, est dans un état de délabrement très avancé. Toutes les installations sont hors d'usage. Celui de Goxu Mbacc ne peut pas contenir toutes les femmes et il n'est pas bien équipé. Les femmes transformatrices de la Langue de Barbarie sont complètement ignorées dans l'octroi des financements et ne bénéficient pas de formation pour se moderniser dans la production et pour pouvoir s'ouvrir au marché international", regrette une des responsables du site de Guet Ndar. 

Ainsi, pour toutes ces difficultés vécues quotidiennement, les populations de la Langue de Barbarie invitent les autorités sont à se pencher sérieusement sur les effets de l’érosion de la langue de Barbarie, à régler les effets dévastateurs de la brèche, à sécuriser les outils de travail des pêcheurs et des femmes sur les berges et sites de transformation et à engager des négociations franches avec les autres pays voisins de la sous-région pour l'obtention de nouvelles licences de pêche. Mais aussi, de tenir compte dans la perspective de l’exploration et l’exploitation, dans le futur, des hydrocarbures découvertes au large de côtes saint louisiennes et des inquiétudes qu’elles suscitent chez certains acteurs.

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L’aquaculture, une alternative pour faire face à la problématique

A part le tourisme, la pêche artisanale constitue l’un des deux piliers sur lesquels repose l'économie de la commune de Saint-Louis. Avec la rareté des ressources halieutiques en mer et les multiples problèmes que traversent le secteur, les autorités ont inscrit l'aquaculture comme secteur prioritaire à développer pour renverser la tendance. 

Saint-Louis dispose d’un potentiel aquacole et d’opportunités inestimables pour faire de l’aquaculture, un levier de développement et de lutte contre le sous-emploi des jeunes. Des opportunités de l’aquaculture que la structure d’appui à la maîtrise d’ouvrage communale a partagées avec des jeunes issus de différents quartiers de la ville et de la Langue de Barbarie. "Le nombre réduit de licences de pêche octroyées aux milliers de pêcheurs de la Langue de Barbarie par la Mauritanie et la rareté des produits halieutiques dans les côtes sénégalaises font que l’aquaculture peut constituer une alternative et des réponses à la problématique de l'emploi au Sénégal  aux jeunes", déclare le directeur de l’agence communale de développement (ADC) de Saint-Louis.

A en croire Boun Daouda Soumaré, l’exploitation de ce sous-secteur à fort coefficient de main d'œuvre peut participer, d’une manière très efficace, à la lutte contre l’émigration clandestine, à l’emploi des jeunes et à la réinsertion des pêcheurs de la Langue de Barbarie touchés par les effets des changements climatiques.  "A l’horizon 2023, l’aquaculture permettra de produire environ 10% du volume de pêche de capture et de fournir plus de 20 000 emplois directs et indirects. C’est pourquoi, nous informons et sensibilisons les jeunes, surtout ceux de la langue de Barbarie sur les conditions de réalisation d'une aquaculture commerciale privée, compétitive, capable de générer des profits intéressants, tout en étant socialement équitable, respectueuse de l'environnement et techniquement maitrisée", renseigne M. Soumaré.

Ainsi, les 100 premiers jeunes ciblés, dont les 50% sont des jeunes pêcheurs de guet-Ndar, seront accompagnés financièrement, grâce à la coopération allemande pour la réalisation de quelques projets.

Ibrahima Bocar SENE (Saint-Louis) 

 

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