Publié le 28 May 2024 - 12:27
VERS UN NOUVEL ÉQUILIBRE FRANCO-SÉNÉGALAIS

Diplomatie, échanges commerciaux et multipolarité

 

Depuis son élection, le président Bassirou Diomaye Faye s'efforce de rassurer la communauté internationale sur l'engagement du Sénégal à rester un partenaire fiable. Alors que des accusations de propagande anti-française entourent le parti Pastef, Faye prône un discours de rupture mesurée. En vue d'une rencontre avec Emmanuel Macron, cette visite à Paris marquera la première interaction en personne entre les deux chefs d'État, ouvrant la voie à une redéfinition des relations bilatérales dans un contexte de diversification économique et de concurrence internationale.

 

Ils sont nombreux les observateurs de la scène politique et les acteurs politiques à accuser le parti Pastef de propagande anti-française et de discours nationalistes. Pour d’autres, le nouveau gouvernement promeut un discours de rupture et des actes qui vont dans ce sens.

Pourtant, les relations entre la France et le Sénégal n’ont jamais été linéaires, au regard des différentes péripéties.

Lors de sa première allocution tenue le 26 mars, c’est-à-dire avant de prendre fonction, le président Bassirou Diomaye Faye a tenu à rassurer la communauté internationale en ces termes : "Je voudrais dire à la communauté internationale, à nos partenaires bilatéraux et multilatéraux que le Sénégal tiendra toujours son rang." Selon lui, le Sénégal "restera le pays ami et l’allié sûr et fiable pour tout partenaire qui s’engagera, avec nous, dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive". Ce clin d’œil n’excluait aucune nation, y compris la France.

Il a aussi prévu de se rendre à Paris le 20 juin, pour participer à un sommet de l’Alliance du vaccin (Gavi) co-organisé avec l’Union africaine (UA), visant à accélérer leur production sur le continent. Il doit être reçu par Emmanuel Macron, en marge de ce sommet. Cette rencontre sera la première entre les deux chefs d’État, qui ne se sont parlé jusqu’à présent qu’au téléphone – notamment lors d’un appel de félicitations de Macron à son nouveau pair après son élection le 24 mars.

Les deux chefs d'État de la même génération devraient discuter de la relation bilatérale entre la France et le Sénégal. L’avenir des bases françaises, la réforme du franc CFA, entre autres, seront aussi abordés. Par ailleurs, Emmanuel Macron devrait profiter de sa rencontre avec Bassirou Diomaye Faye pour le convier, le 15 août, aux 80es commémorations du débarquement des Alliés en Provence, durant lequel les tirailleurs sénégalais jouèrent un rôle essentiel.

Cette rencontre sera la première sortie en dehors du continent, après avoir visité huit pays africains. Elle devra déterminer les nouvelles relations entre Paris et Dakar.

Pour autant, même si Macky Sall est réputé très conciliant avec les différents chefs d’État français François Hollande et Macron, il a su pérenniser le legs de Wade en matière de diversification de la diplomatie économique.

Une coopération multilatérale dans un contexte de compétition internationale

Même si le pays continue d’offrir un potentiel attractif pour les entreprises françaises, la France est un partenaire commercial majeur du Sénégal. Les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à 1 059 M EUR en 2022, selon les douanes françaises (en hausse de 18 % en g.a). L’excédent commercial en faveur de la France s’établit à 877 M EUR, en hausse de 17,6 % en g.a, en raison de la hausse des exportations françaises (+17,8 %, à 968 M EUR). Le Sénégal est le 56e client de la France en 2022 et le 3e en Afrique subsaharienne, derrière l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire.

Selon l’Agence nationale des statistiques et de la démographie (ANSD), malgré la hausse de ses exportations vers le Sénégal, la France perdrait sa place de premier fournisseur du pays pour les biens avec des parts de marché à 9,2 %, après environ 12 % en 2021, au profit de la Chine (10 %) qui reste stable.

Le volume des échanges commerciaux entre les deux pays était de l’ordre de 540 millions de dollars (plus de 313 milliards de francs CFA) en 2021, d’après Erdogan. Très présente sur le continent africain, la Turquie est devenue un partenaire privilégié du Sénégal : construction de stades de football et de basket, gestion de l’aéroport international Blaise Diagne, l’’attribution du gisement ferreux de la Falémé au sidérurgiste turc Tosyali.

Dans cette ouverture des marchés, la Chine a aussi multiplié sa présence au Sénégal en un temps record, bousculant la France qui ne cesse de perdre du terrain. D’autres pays comme le Maroc ont également tissé leur toile dans plusieurs secteurs comme ceux de l’éducation, de l’immobilier et de l’agroalimentaire.

Au cours du magistère de Wade, les relations ont connu quelques incidents diplomatiques comme celles des bases militaires agitées par l’ancien président et l’expulsion de la correspondante de Radio France internationale (RFI) à Dakar, Sophie Malibeaux, un an après son installation au Sénégal, en 2003. Officiellement, le pouvoir lui reprochait sa couverture ‘’tendancieuse’’ des assises du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC, indépendantiste).

Le 26 juillet 2007 à Dakar, lors de sa première visite en Afrique subsaharienne, Nicolas Sarkozy a prononcé son discours fondateur de la nouvelle politique africaine de la France. Le président français a tenu des propos qui ont profondément blessé les Africains. Le ‘’paysan africain’’, selon Sarkozy, qui ‘’ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles...’’

Il s’en est suivi un ouvrage de plusieurs intellectuels africains qui qualifiaient les propos de Nicolas Sarkozy de clichés racistes.

Malgré tous ces incidents, les liens entre le Sénégal et la France demeurent particuliers. Les agitations d’une rupture totale entre ces deux États restent utopiques, si l’on se fie à l'histoire et aux intérêts.

Vers un dégel entre la France et le Mali

Pour autant, la vague de contestations dans les pays du Sahel et en Centrafrique qui voue aux gémonies Paris depuis quelques années est à relativiser. Même s’il n’y a pas encore de dégel, la délivrance de visas Schengen aux ressortissants maliens pourrait reprendre. Elle était suspendue depuis août 2023. Les deux pays pourraient normaliser leurs relations, selon certaines sources maliennes. Un premier pas vers la décrispation avec Bamako qui pourrait désamorcer les tensions avec les autres États du Sahel (Niger et Burkina Faso) dans un contexte de compétition aiguë entre les puissances, renseigne un journaliste malien.

Le nouveau conseiller Afrique d’Emmanuel Macron, Jérôme Robert, manifeste de meilleures dispositions vis-à-vis des trois États.

Les contacts ont repris avec les journalistes et les chercheurs français qui n’étaient pas toujours dociles aux injonctions de l’autoritaire service de communication de l’Élysée.

Amadou Camara Gueye

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